L’espoir renaît en Europe (par Jean-Claude Lefort, PCF)

mercredi 18 juin 2008.
 

Le référendum sur le Traité de Lisbonne en Irlande, obligatoire dans l’île alors qu’il a été littéralement "interdit" - c’est le mot qui convient - pour tous les autres peuples européens, donne un résultat sans appel. C’est "non" !

Il en résulte une première conséquence. Dès lors qu’il s’agit d’un traité international celui-ci supposait l’adhésion de tous les pays signataires pour être mis en œuvre. Ce funeste traité n’existe donc plus. Il est mort. Il n’a plus d’existence juridique. Il est "éteint", selon les termes mêmes de la Convention de Vienne relative aux traités, convention qui s’impose de manière impérative à tous.

Pourtant, alors que la démocratie a clairement parlé sur le sol irlandais, des dirigeants européens, qui n’ont cure du peuple et qui n’ont rien appris des "non" français et hollandais, imaginent déjà des scénarii divers pour passer en force, coûte que coûte et imposer ce traité qui n’est plus.

Il est vrai que le Traité de Lisbonne était, en lui-même, un passage en force puisqu’il n’était ni "simplifié" par rapport au projet de Constitution européenne pas plus qu’il n’était "nouveau". C’était, selon Giscard d’Estaing soi-même, en son auguste personne, la même chose.

Ce Traité de Lisbonne, enfant non légitime de Sarkozy, était tout sauf respectueux du suffrage universel. Mais les tenants du « marché libre et non faussé » avaient bigrement faim et n’en tenaient plus de voir deux peuples s’opposer à leurs intérêts colossaux. Quelle audace insupportable que de leur dire « non » ! Ils ne sont pas habitués à être contredits, ces gens-là. Et vint ainsi le Traité de Lisbonne qui était au Traité constitutionnel ce que le pain était à la brioche pour Marie-Antoinette...

Et ils continuent aujourd’hui après le « non » irlandais qui bouscule les plans des dirigeants européens à leur service. On parle « d’arrangements juridiques ». On veut refaire aux irlandais le coup qu’on leur a déjà fait en 2001 quand ils avaient rejeté le Traité de Nice : un petit paragraphe « spécial Irlande » avait alors été rajouté et le tour avait été joué. Pour passer outre la démocratie ils ne sont jamais à court d’idées, ces gens-là...

Il est donc une première exigence à faire valoir : celle consistant à faire entériner l’acte de décès de feu le Traité de Lisbonne et de stopper toutes les autres procédures de ratification prévues. Au reste, un seul mot changerait dans ce traité qu’il faudrait recommencer celles déjà réalisées. Elles l’ont été, par voie parlementaire, sur la base d’un texte qui ne serait plus le même s’il devait être amendé.

Il résulterait de cet « arrangement » envisagé que celle nouvelle ratification posée en France devrait faire prévaloir la voie référendaire puisque la voie parlementaire a encore une fois montré toutes ses limites. Une nouvelle bataille s’ouvre pour l’Europe. Une bataille démocratique.

Car il est un point qui ne peut manquer de faire réfléchir : il est temps de prendre conscience qu’on ne peut pas construire l’Europe de la manière actuelle, c’est-à-dire hors les peuples et contre eux. C’est un point majeur sur lequel personne ne peut plus faire l’impasse désormais. Il ne suffit pas d’affirmer qu’on est « pour » l’Europe pour que cela soit vrai. Il faut nécessairement, pour que l’Union européenne ne soit pas rejetée - et nous tenons au projet de construction européenne -, qu’elle dispose et soit légitimée de l’adhésion des peuples.

Ne sont aujourd’hui des européens authentiques que ceux qui professent, comme nous le faisons, cette conception populaire et démocratique de la construction européenne. Et jouent absolument contre l’Europe ceux qui veulent s’en dispenser. Ceux-là, qui ont toujours le mot « Europe » à la bouche et qui taxent volontiers d’anti-européens toutes celles et ceux qui ne sont pas de leur avis, sont en vérité fondamentalement des « anti-européens ». A les suivre c’est l’idée même d’Europe qui serait mise en cause jusqu’à imploser de ne pas respecter les intérêts populaires et les tenir dans le carcan libéral et l’alignement sur Washington.

Il n’y a pas de chemin plus court ou plus rapide pour construire l’Europe que celui de l’adhésion populaire. Cela seul permettra du solide. Les nations qui composent l’Union sont diverses mais aussi anciennes. « La vieille Europe », comme il a été dit, ce n’est pas le « nouveau continent ». Les traditions de vie et de culture mais aussi de luttes y sont vivantes. L’Europe ne peut pas être le « papier collé » des Etats-Unis. Elle doit avoir son identité et affirmer sa visée propre en interne comme en externe. Elle doit apporter lumière et référence à la civilisation mondiale qui en a bien besoin.

L’Europe ne peut être que celle des peuples ou bien elle ne sera pas. La « Constituante » elle est-là, dans un processus populaire, sinon, les choses étant ce qu’elles sont, on aura bis repetita...

C’est pourquoi, et c’est un second point majeur, le « non » irlandais raisonne en nous comme un « Hymne à la joie ». Car la question est ainsi de nouveau posée : quelle Europe et comment ? Et vient du même coup avec plus de force encore l’idée qu’il y a bien un « plan B » à cette Europe des marchands et des financiers. Une alternative. Ce « plan B » qu’il faut mettre en œuvre maintenant s’appelle tout simplement : démocratie et adhésion populaire !

Contrairement aux propos haineux entendus contre le peuple irlandais, les raisons du succès du « non » sont certes multiples mais aussi dominées par la question sociale. Plus les quartiers qui votaient étaient populaires et plus le « non » l’a emporté. Cela a un sens. Le même que celui qui s’est emparé du « non » de gauche en France.

Il est temps de repenser l’Europe comme espace pertinent de progrès social dans la mondialisation libérale qui jette les peuples les uns contre les autres. Et qui les tirent vers le bas. Quand on sait qu’en 25 ans la part des salaires dans le PIB européen a reculé de 9% au profit du capital, il y a bien de l’espace pour cela et non pas seulement des marges.

Il est temps de mettre l’économie au service des peuples et non l’inverse, en desserrant l’étau de la Banque centrale européenne sur l’économie et en sortant du dogme de la libéralisation de tous les services publics.

Il est temps de repenser l’Europe comme espace de paix et de solidarité internationale et non plus comme un lieu où s’accumulent les armements en état de dépendance atlantique mais aussi les mauvais coups contre les peuples du Sud ainsi que révélés tragiquement avec les terribles émeutes de la faim.

Il est temps, plus que temps, que la démocratie supplante l’économique et le technocratique envahissant. La participation effective des parlements européen et nationaux mais aussi des peuples reste à bâtir. 27 personnes et une kyrielle de technocrates irresponsables à leurs côtés ne peuvent décider seuls de la vie de 450 millions d’habitants.

Bref, après le « non » irlandais une idée neuve de l‘Europe doit s’affirmer qui permette que le peuple européen mais aussi le monde perçoivent enfin que le bonheur existe et qu’il est possible aujourd’hui ! L’Europe tombe des mains de ceux qui la dirigent. Ils sont dépassés. Aux progressistes et aux démocrates européens de prendre désormais leur relais !

La présidence française qui commencera le 1er juillet sera une présidence doublement affaiblie : à cause de ce « non » irlandais et à cause du fait que l’instigateur principal de feu le Traité de Lisbonne n’est autre que le président français qui triomphait hautement et modestement hier. Il est maintenant au pied du mur ce bonimenteur. D’un mur démocratique que ne peut plus dissimuler aucun tour de passe-passe de Monsieur Sarkozy, l’homme qui a fait que l’Europe est désormais en convulsion grave. Pauvre image de France qui ne mérite certainement pas cela...

Jean-Claude Lefort

Député honoraire

Ivry, le 15 juin 2008


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