Corée du Sud : Un très fort mouvement social aux formes de lutte intéressantes

samedi 21 juin 2008.
 

Le mouvement autonome s’affranchit du pouvoir

" ...Les sites favorables au mouvement organisent des cotisations pour la distribution de nourriture ou pour payer des espaces publicitaires en faveur de la contestation. Ils diffusent aussi les listes constamment mises a jour des annonceurs publicitaires de journaux de droite et organisent contre eux une campagne de boycott [6]. Ces annonceurs reçoivent des milliers d’appels de citoyens faussement inquiets de la perte d’image de l’entreprise occasionnée par leur publicité dans ces journaux. La puissance de cette campagne est telle qu’elles doivent s’en excuser sur leur site officiel. Le nombre de pages des quotidiens de droite concernés s’est effondré de plus de 20% en un mois

Au dernier niveau se trouve le site web « agora » qui est un forum publique et l’un des principaux centres de discussion ouvert [8]. C’est le lieu incontournable de ce mouvement sur lequel les stratégies sont discutées, l’ordre du jour établi, les expériences partagées et les idées débattues. Incursion du virtuel dans le tangible, les rassemblements sont apparus comme l’investissement de la rue par cette « agora » et ses principes de libre expression, de prise de parole égalitaire et d’initiative collective. Ce processus a permis aux femmes, d’habitude très sous-représentées, d’être des participantes à part égale avec les hommes. Il a aussi contribué à renforcer et à propager un fort sentiment de légitimité.

Durant les manifestations les citoyens publient en temps réel sur ce site des informations sur leur déroulement et envoient en direct des vidéos par l’intermédiaire d’autres sites web tel « afreeca.com ». Les membres du parti progressiste Jin Bo reçoivent des SMS les informant de la situation minute après minute. Toutes ces informations se rétro-propagent rapidement dans la manifestation, créant un sentiment d’ubiquité. Ceci permet par exemple à des milliers de personnes assistant à distance aux événements de téléphoner au commissariat pour exiger que cessent, au moment même ou ils se produisent, les sévisses infligés par les forces de l’ordre. Ceci permet aussi aux participant-e-s d’être tenu-e-s au courant des mouvements de la police et de se coordonner.

...Les actions militantes se sont diversifiées et multipliées. On constate par exemple un affichage sauvage dans un McDonalds par des écologistes, des manifestations individuelles devant des entrepôts de bœuf organisées par une association « solidarité des femmes », une requête de représentant-e-s du parti des travailleurs pour un assouplissement des lois sur les manifestations, ou une action en justice contre les accords d’échange pour laquelle plus de 100.000 personnes se sont portées partie civile. De plus les partis de l’opposition ont refusé d’assister au séances parlementaires pendant toute la durée de la contestation.

...Entre le 24 et le 27 mai, des affrontements violents eurent lieu avec la police qui procéda à 93 arrestations au total et blessera plusieurs personnes, n’épargnant ni les lycéen-ne-s, ni les journalistes. Des procureurs, des dirigeants de la police et les services secrets se sont réunis en comité « Kong Han » (Sécurité publique). Ce terme fortement connoté était employé pour designer la police et la politique ultra-répressive sous la dictature. Les sévisses largement diffusés dans les médias et sur internet ainsi que le spectre du retour d’un état autoritaire attisèrent l’indignation de la population et marquèrent l’entrée dans la seconde phase du mouvement.

...La police, consciente du danger que représente pour elle la liberté de parole sur internet et de la difficulté de contrôler ce média, traque les messages lui étant hostile et en recherche les auteurs. Par ailleurs des attaques informatiques ont lieu, comme par exemple le piratage des sites web du parti présidentiel [11] et de la police. Paradoxalement, en Corée du sud le système d’identification sur la plupart des sites associe le login avec un numéro d’identification national. Mais la contestation est massive et la solidarité entre les netizens exceptionnelle, rendant peu efficaces les actions ciblées engagées contre eux.

...Alors que le gouvernement se rétracte après son annonce de la reprise des importations le 29 mai, et que chacune de ses déclarations dégrade davantage la situation, une ambiance pré-révolutionnaire s’empare du centre de Seoul vers lequel convergent tous les soirs entre plusieurs dizaines et une centaine de milliers de personnes. Sont présentes certaines organisations politiques comme par exemple le parti des travailleurs ou l’organisation trotskiste « all together ». De nombreux concerts, débats et déclarations à la tribune ont lieu.

Le paroxysme de la violence fut atteint le soir du samedi 31 mai. Vers 21h la nouvelle de l’arrestation d’une soixantaine de personnes parvenues a s’approcher de la demeure présidentielle se propage. Mettant un terme aux manifestations culturelles sur la place, une foule de 60.000 personnes emprunte l’avenue principale et se dirige vers la maison de Lee Myong Bak. Malgré la présence de bus de police barrant la rue, plus d’une dizaine de milliers parviendront à proximité de la résidence présidentielle. Vers 23h l’axe principal est plongé dans une ambiance surréaliste : la police y est maintenant totalement absente car mobilisée pour la défense des abords du palais royal et de la route menant directement chez le président. Pas une voiture n’est en vue, et des dizaines de cars de police vides sont parqués de part et d’autre de l’avenue. Des manifestants en nombreux groupes dispersés vont et viennent de l’épicentre qu’est l’entrée du palais royal. La chaussée mouillée par les canons à eau reflètent la lumière fantomatique des écrans géants encastrés dans les buildings. Alors qu’à 1 heure du matin des familles sont encore présentes avec leurs enfants, l’attroupement d’une dizaine de milliers de personnes se maintiendra sous les puissants canons a eau jusqu’à 4h30 du matin, puis sera dispersé par une charge brutale de la police. Cette seule nuit verra plus de 140 blessés et de 200 arrestations. A l’aube vers 6h00, plusieurs milliers de personnes affluent de nouveau vers la manifestation.

Les jours et les nuit suivants les contestataires continuèrent d’attaquer les bus de police, montant sur leurs toits, les déplaçant, les démantelant, arrachant leurs grilles de protection, crevant leurs pneus et brisant leurs vitres. Les forces de l’ordre asphyxièrent les citoyens agglutinés face aux rangs de police avec des extincteurs et utilisèrent les jets d’eau contre eux. Les charges de CRS se firent dorénavant plus rares et furent annoncées pendant plusieurs heures par une voix féminine demandant aux enfants, personnes âgées et journalistes de ne pas rester. Essayant de maitriser son image, la police n’utilise pas de technologies comme le tazer, les flashballs, ou les gaz lacrymogènes car ces équipements évoqueraient la dictature militaire et provoqueraient une incontrôlable escalade de la violence. La confrontation avec la police continua cependant et fit plusieurs blessés graves.

Le week-end du 6 au 8 mai, un rassemblement marathon de 72 heures est organisé. Selon des sources non gouvernementales, le nombre cumulé de personnes sur les trois jours approche des 550.000. Des tentes de camping sont posées dans les avenues du centre de Seoul qui se transforment en squat à ciel ouvert. Une multiplicité de groupes s’occupent de façon variée, tantôt discutant et débâtant, tantôt s’attaquant à des brigades de police ou déplaçant un car de CRS, tantôt jouant de la musique, dansant, chantant et festoyant.

Une guerre mediatique ouverte

La chaine MBC, menacée de privatisation par ce gouvernement, s’est livrée à une véritable guerre de l’information contre Lee Myong Bak. Cette chaine publique avait déjà fortement contribué à la formation du mouvement lors de la diffusion de reportages sur la vache folle et de débats télévisés. Alors que le mouvement s’amplifiait et que la répression se faisait de plus en plus violente, elle n’hésita pas à montrer les images crues de la brutalité policière, les visages contusionnés, les vêtements ensanglantés, les coups de bouclier et de matraque, les personnes suffocant sous les jets d’extincteurs ou écrasées contre les rangs des CRS. Les présentateurs ne firent aucune concession et furent particulièrement critiques, très loin du ton consensuel et pro-gouvernemental auquel nous sommes habitués. Ils annoncèrent par exemple en conclusion d’un journal de 20h « On ne voit pas dans ces chaussures militaires écrasant la tête d’étudiantes et dans l’emploi des jets d’eau un usage légitime de la force publique. On y voit seulement le défoulement de la police fatiguée et la précipitation de son commandement.[...] Le gouvernement et la police n’ont toujours pas compris l’époque digitale et la colère de la population. Ils ont réagit comme dans les années 70 et 80. Bonsoir. »

La bataille médiatique se joue aussi sur le terrain, les participant-e-s tentant de défavoriser les chaines opposées au mouvement. Le 1er juin des dizaines de milliers de personnes se sont amassées au contact avec la police non loin de la demeure du président. Un journaliste de la chaine KBC tente alors de faire une intervention en direct. Il sera cerné par une centaine de personnes engageant avec lui un dialogue pacifique mais ferme. Sommé de s’expliquer sur les mensonges diffusés par sa chaine, par exemple sur le comptage des participant-e-s systématiquement sous-estimé, le journaliste ne fournira aucune explication satisfaisante se contentant de « faire son métier ». L’attroupement scandera alors « MBC ! MBC ! » et l’empêchera de faire son intervention. Le même genre de scènes se reproduisent lorsque les manifestant-e-s croisent des journalistes des trois quotidiens de droite Cho Joung Dong. Par ailleurs un tas d’ordure fut déposé devant un hôtel appartenant à l’un de ces journaux et se trouvant sur le trajet des manifestant-e-s.

Transposition de l’agora et des « cafés », melting-pot de plus de 1500 associations diverses, ce mouvement se caractérise par une absence de hiérarchie.

...C’est en rupture avec ces aspects de la culture coréenne que ce mouvement s’est structuré sous une forme anarchiste : contestation du pouvoir politique élu, occupation de l’espace publique en marge de la légalité, sans chef, ni porte-parole, ni processus formel de prise de décision, ni structure de contrôle. Toutes les catégories sociales se réunissent, de la petite bourgeoisie aux couches les plus basses, des enfants en bas age aux personnes âgées, femmes et hommes en nombre égal, sans que ne s’exercent de rapports de domination.

Les forces de polices ont d’abord accusé le mouvement d’être manipulé. Mais comme l’a déclaré l’ancien président Sud-Coréen Roh Moo-Hyun, jamais il n’aurait pu prendre une telle ampleur s’il avait été l’œuvre d’organisations politiques spécifiques. Ce dénigrement traduit une perte de repères de la police déboussolée par son incapacité d’identifier les meneurs inexistants et par l’obsolescence de certaines de ses techniques classiques de répression politique.


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