NPA : Texte de 2 militants des "Alternatifs" et réponse de la LCR...

vendredi 27 juin 2008.
 

1) Texte de 2 militants des "Alternatifs" des Alpes Maritimes : NPA ou parti -mouvement

Pour être plus clair encore

Le débat sur la création d’un nouveau parti anticapitaliste, lancé à l’initiative de la LCR, vient à son heure. Comme l’ont montré une fois de plus les élections municipales récentes, la gauche est en pleine crise. Le Parti socialiste n’est plus qu’une machine électorale ; à son ombre survivent les Verts et le PCF ; l’extrême gauche traditionnelle dévide son discours sans prise sur la réalité. Seul fait nouveau, les listes à gauche de la gauche obtiennent de bons résultats. Elles expriment l’aspiration à une politique résolument orientée à gauche, mais s’affirme aussi et plus fortement qu’auparavant l’aspiration à mettre fin à l’émiettement et à la dispersion à la gauche de la gauche traditionnelle, à la constitution d’une nouvelle force politique rassemblée et pluraliste.

La LCR, avec son projet de NPA, tente d’incarner cette aspiration. Nous devons prendre cette initiative au sérieux, en débattre clairement et sur le fond, ce qui implique de réfléchir à ce que pourrait être une force anticapitaliste tenant compte des expériences du passé ainsi que des conditions politiques, sociales et culturelles de notre époque, et tenter de préciser quelle pourrait être son organisation. Car l’aspiration à une nouvelle force est en soi très positive. Non pas parce qu’elle renforce nos propres convictions, mais parce qu’elle peut et doit nous donner l’élan nécessaire pour débattre et prendre des initiatives, au lieu de rester l’arme au pied et d’attendre des jours meilleurs, après l’épisode de l’après-campagne Bové qui n’a pas permis, à ce jour, de constituer cette nouvelle force que nous voulons.

Nous ne pouvons repousser ou ignorer l’initiative de la LCR en arguant que dans le passé, engagée dans des expériences et des processus unitaires (de la campagne Juquin en 1988 jusqu’au « Non de gauche » en 2005 suivi de la politique isolationniste de la LCR pour les présidentielles de 2007), elle a toujours fini par faire prévaloir son renforcement au détriment de ces structures unitaires et de la possibilité de se fondre dans une organisation plus large. Ce que nous savons de la LCR ne doit pas être oublié ; ce n’est pas là un obstacle infranchissable mais un élément de débat ; les pratiques et leurs pesanteurs sont en effet plus parlantes que les proclamations de bonnes intentions. Et ces proclamations d’ouverture sont même parfois contredites, à la lecture attentive de la presse de la LCR ou de la IVe Internationale (1).

Sans ignorer l’histoire et l’absence quasi totale de retour critique de la LCR sur son propre passé, mais sans en faire un préalable au débat, débattons donc sur le fond. Il existe en effet un lien étroit existe entre les pesanteurs de la LCR et la manière dont elle lance son initiative. Il faut donc identifier précisément ce qui fait problème. De ce point de vue, il vaut mieux éviter, quand on interroge légitimement la notion de « centralisme démocratique », de confondre léninisme et stalinisme, comme le fait R.-M. Jennar dans son adresse à D. Bensaid. La LCR vient d’une tradition léniniste que nous ne devons pas assimiler à la tradition stalinienne. A la différence du stalinisme, synonyme de bureaucratie et de terreur, le "léninisme" a été une culture révolutionnaire, mais marquée de pratiques autoritaires, aux conséquences redoutables, dès l’arrivée au pouvoir des bolcheviks ; culture entrée en crise du vivant de Lénine pour cette raison même. Mais c’est parce qu’elle s’appuie sur le meilleur de cette culture que la LCR peut aujourd’hui faire des propositions unitaires, même limitées et très insuffisantes, à la différence des autres organisations d’extrême gauche. Et on peut difficilement exiger d’une organisation qu’elle efface sa mémoire et son histoire et utiliser dans le débat raccourcis et simplifications.

Pour prendre le débat par le bon bout, demandons-nous d’abord quelles sont les fonctions que doit remplir une formation politique qui veut rompre avec le capitalisme, animer pour cela les luttes populaires et les luttes de classes, une formation qui ne se donne pas pour objectif de devenir le parti dominant ou dirigeant, mais d’assurer l’hégémonie, dans la société civile, des idées et des pratiques autogestionnaires. On peut repérer comme fonctions essentielles, sans vouloir être exhaustif : porter la mémoire des luttes indispensable à leur pérennité, assurer la synthèse entre l’expérience et la pratique, l’immédiat et le projet, permettre la théorisation, c’est-à-dire la généralisation des expériences et leur compréhension, prendre des initiatives et faire des propositions publiques pour orienter et développer les luttes. A la différence des mouvements sociaux qui se fondent chacun sur une question sociale et économique qui est sa raison d’être, ou des mobilisations citoyennes centrées sur un seul objet, la politique qui se réclame de l’anticapitalisme doit assurer la synthèse des luttes dans un projet d’émancipation global. Cela ne peut se faire dans des catégories telles que le rôle d’avant garde du parti ou la conscience venant de l’extérieur des luttes des exploités, issues du léninisme, qui, on l’a bien vu tout au long du 20e siècle, donnent la priorité à l’organisation sur le spontané à tel point que le spontané perd quasiment toute légitimité. Et cela ne peut non plus se faire sur la base d’un paradigme rouge, en reléguant au second plan les références à l’écologie, au féminisme et à la démocratie jusqu’au bout, à la fois comme moyen et comme but. Nous allons y revenir. Mais il faut aussi rompre avec des pratiques bien antérieures au léninisme, telles la subordination du social et du syndical au politique, l’autoritarisme interne, le culte de l’unanimité, la prééminence des élections sur les initiatives populaires ou l’élection comme débouché obligatoire des luttes, la participation aux institutions conçue comme une fin en soi. Et refuser, comme nous l’avons fait dans les deux précédentes décennies dans nos controverses avec les Verts -parti auquel nous avons refusé de nous rallier- le sectarisme (symétrique à celui du PCF) de la subordination des associations et des luttes écologistes aux intérêts du « parti écolo », et la substitution d’un paradigme vert (en simplifiant à l’extrême : tout découlerait de l’écologie et celle-ci aurait réponse à tout) à un paradigme rouge.

Ces formes d’organisation sont aujourd’hui caduques : les modalités de cristallisation d’une conscience anticapitaliste et la construction d’une nouvelle culture d’émancipation appellent à repenser la question du parti et obligent à inventer un autre type de force politique. Le léninisme est caduc et le type de parti qui lui est associé l’est tout autant. C’est donc de ce point de vue, et non pas d’un amalgame entre léninisme et stalinisme, que le centralisme démocratique n’est plus acceptable (2).

Commençons par rompre d’une part avec le centralisme et la verticalité, en donnant la priorité aux formes de décisions les plus démocratiques dans la perspective d’une organisation autogestionnaire ; reconnaissons et respectons d’autre part sans restriction et sans exception l’autonomie des mouvements sociaux, de leurs formes, de leurs contenus, de leurs rythmes.

1. L’organisation interne.

Elle est décisive. Après l’échec cuisant des révolutions du XXe siècle, qui se sont rapidement bloquées à leur stade initial, quand elles n’ont pas dégénéré, cette organisation interne donne à voir la sincérité de nos convictions et de notre projet d’émancipation. Ici, la forme rejoint le fond. La forme parti doit être remise en cause au profit du parti-mouvement. Le parti-mouvement associe l’idée de stabilité et de continuité à celle de démocratie active et se dissocie de l’idée de réseau, inadéquate en tant que forme d’organisation interne. Le parti-mouvement s’inspirera de la nouvelle culture en gestation dans le mouvement altermondialiste. Il ne s’agit pas de faire disparaître toute centralité, lieu où les pratiques se socialisent, les idées se confrontent, les décisions se confirment après débat interne, mais de donner la priorité aux droits des adhérents et adhérentes, à la démocratie, à l’expérimentation, au fonctionnement en réseau et au déploiement des initiatives individuelles . La centralité assure sans coercition la démarche collective et sa pérennité. Autogestionnaire dans ses objectifs, le parti-mouvement doit l’être dans son fonctionnement. Sans formalisme ni spontanéisme, les pratiques autogestionnaires doivent être non pas institutionnalisées, ce qui débouche sur la bureaucratie, mais instituantes, c’est-à-dire qu’elles trouvent dans les institutions auxquelles elles donnent naissance leur prolongement et un point d’appui pour de nouvelles conquêtes (3), et non des structures formelles vidées de tout mouvement réel. La rotation des responsabilités et la parité dans tous les lieux de direction sont impératives. Le droit de tendance doit être respecté, même s’il ne suffit pas à assurer la démocratie. Il s’agit de prendre en compte et de favoriser la diversité culturelle et sociale de ses adhérents et adhérentes, la cohérence de l’organisation existant non pas par l’autoritarisme et l’unanimité, mais par la participation de tous et de toutes aux initiatives décidées en commun, à la critique, à l’élaboration de la stratégie, du projet et des programmes. De ce point de vue le centralisme démocratique, même débarrassé de ses caricatures staliniennes, parce qu’il donne la priorité à une centralité devenue centralisme, est caduc. Et la manière dont, dans l’organisation, une majorité traite sa minorité -ou ses minorités- est le meilleur révélateur de la véracité de ses options démocratiques (4).

2. Le parti mouvement et les mouvements sociaux.

Abandonner l’idée de subordonner le social au politique n’est pas renoncer à travailler en commun. Le mouvement altermondialiste a montré que le travail en réseau, ici irremplaçable, et les coopérations horizontales entre syndicats, associations et forces politiques est possible. Le parti-mouvement ne dirigera ni les syndicats, ni les associations, ni les mouvements de masse et ne s’y substituera pas. Il renoncera aux fractions ou tendances politiques dans les syndicats et les associations. Avançons l’expression paradoxale de "coopération conflictuelle" pour exprimer que les luttes communes du politique et du social contre leurs ennemis communs n’excluent nullement les contradictions, les désaccords, et exigent une critique réciproque, de même qu’un débat public et socialisé : le plus grand nombre est concerné.

3. Le projet.

Dans un monde ravagé par le capitalisme mondialisé, l’anticapitalisme doit être le fil rouge du projet. Le féminisme et l’écologie en sont partie intégrante ; ce ne sont pas les contradictions secondaires de l’anticapitalisme qui serait la contradiction principale. Simplement, même si les dégâts dans le milieu naturel sont vieux comme l’humanité, ils prennent sous le règne du productivisme capitaliste l’allure d’une catastrophe permanente ; et même si la domination subie par les femmes a sa logique et son autonomie propres, elle recoupe l’organisation capitaliste du travail où les femmes occupent toujours, pour le plus grand nombre, une place subalterne.

Quant à l’autogestion, elle n’est ni un supplément d’âme ni un objectif lointain pour les lendemains de la prise du pouvoir. L’autogestion est une exigence immédiate, but et moyen à la fois, pratique dans les luttes et aspiration dans le fonctionnement même des structures associatives, syndicales, politiques. L’autogestion ne supprime ni ne remplace la lutte des classes mais rend effective la démocratie dite participative, que nous préférons appeler démocratie active, en l’insérant dans un processus global, celui de l’émancipation sociale. Généralisée à la société tout entière, elle concerne aussi bien les lieux de production au sens large, que les lieux de décision, et implique la lutte contre la bureaucratie et la gestion étatique centralisée. Réapparue en Amérique du Sud, elle est dès aujourd’hui vivace dans l’entreprise comme dans la vie de la cité à travers les aspirations tenaces à la démocratie dite participative. Il s’agit donc d’avancer sur tous les fronts à la fois. Le féminisme, en tant que revendication à l’égalité des droits et qu’expression d’une émancipation spécifique, doit être intégré à la définition d’une société émancipée au même titre que la propriété collective des moyens de production. Les victimes de la crise écologique sont pour l’essentiel les mêmes que les victimes de la crise économique, ce sont les plus pauvres, les plus exploités. La synthèse du rouge et du vert est possible. Elle permettra de se situer clairement à gauche et de reprendre des mains de la gauche traditionnelle en pleine débandade le flambeau de l’émancipation sociale.

Tout cela ne peut se faire qu’en croisant et dépassant les cultures politiques de lutte sociale issues du 20e siècle. Aucune n’est à négliger, chacune porte une part des expériences passées. Aucune n’est sortie indemne des drames qui ont marqué le mouvement ouvrier (5), toutes en subissent les conséquences ; ce dépassement doit se faire en commun. Des milliers d’hommes et de femmes sont prêts à faire cette expérience si on les associe à toutes les étapes de son déroulement. Il faut s’adresser non seulement aux militants et militants des organisations et courants politiques, mais en même temps à toutes celles et tous ceux que l’on retrouve dans les mobilisations féministes, antiracistes, écologistes, sociales, les pratiques autogestionnaires et alternatives, et toutes ces contestations sectorielles qui forment le kaléidoscope de l’altermondialisme.

Une question se pose donc à propos de l’initiative de la LCR : si l’objectif est un rassemblement anticapitaliste, autogestionnaire, féministe, écologiste, et compte tenu du fait qu’actuellement aucune organisation ne peut prétendre posséder la culture qui réalise la synthèse de ces quatre aspects, la seule voie praticable n’est-elle pas de mettre ce projet en œuvre en y associant dès le début organisations, militants et militantes dans des structures unitaires ? Tout doit se faire de bas en haut et non de haut en bas, dans le pluralisme et non pas autour d’une seule organisation. De la base au sommet, aux échelles locale, départementale ou régionale, comme au plan national, toutes les initiatives allant dans ce sens, et permettant de mettre fin à la fragmentation existant à la gauche du PS, sont nécessaires : Etats-Généraux, Forums...

Ce n’est pas faire un procès d’intention, ni rompre les ponts que de constater qu’en voulant conduire le processus sous sa seule responsabilité, la direction de la LCR ne prend pas cette voie. Or des questions comme l’indépendance sans sectarisme à l’égard du PS et la présence sans compromission dans les institutions, abordées par R.-M. Jennar et D. Bensaid dans leurs échanges, ne peuvent se régler sans croiser les expériences des différentes cultures et expériences sur ces questions.

Pour être plus concret, on ne peut laisser entendre que le refus de gouverner aujourd’hui ou même demain avec le PS, justifié et commun, n’en déplaise à R.-M. Jennar comme D. Bensaid, à l’ensemble de la gauche anti-libérale, impliquerait mécaniquement le refus absolu de toute alliance avec le PS dans les institutions, en particulier les institutions locales, où les exemples d’avancées dans les politiques publiques obtenues par ce type d’alliance, sont très nombreux. Ou alors le slogan « battre la droite » n’est qu’une formule démagogique.

Quand nous disions, dans une précédente contribution, que « La nouvelle culture politique, autogestionnaire, n’est pas seulement le fruit d’une nouvelle pratique politique, elle en est aussi la condition de possibilité », ce n’est pas pour opposer au projet du NPA un autre projet « clé en mains ». Mais le parti-mouvement que nous proposons, avec les caractéristiques développées dans cette contribution, se justifie à nos yeux par une expérience politique profondément marquée par l’émergence de l’altermondialisme voici une dizaine d’années maintenant. Militants des Alternatifs, ne prétendant pas engager notre organisation, nous souhaitons que la gauche alternative débatte avec la LCR, et dans le même temps, s’interroge de manière féconde sur les références politiques qui pourraient être celles d’un parti-mouvement, plus nécessaire que jamais aujourd’hui

Bruno Della Sudda et Romain Testoris, Nice, le 28 avril 2008

(1) On lit dans la dernière livraison d’Inprecor, revue de la IV° Internationale, le texte d’une intéressante intervention de F.Sabado, membre du BP de la LCR et de l’exécutif de la IV° Internationale, faite à une réunion tenue à Sao Paulo (Brésil) en décembre 2007, dans lequel il est dit : « (...)Ainsi, tout en gardant les liens de la LCR avec la IV° Internationale, ce nouveau parti ne sera pas un parti trotskyste ». De même, plus haut dans l’article, sont livrées les références du nouveau parti anticapitaliste. Avant même sa naissance, l’essentiel serait-il donc déjà décidé par l’actuelle direction de la LCR ? (2) Faute d’une critique argumentée de centralisme démocratique de la part de RM Jennar, D Bensaid peut réaffirmer, en réponse, ses certitudes sur la question, dans des termes quasi intemporels. Instructive est aussi dans la réponse de D Bensaid l’analyse qu’il délivre du mouvement altermondialiste, très réductrice et vidée de la nouvelle culture politique qui caractérise justement l’altermondialisme (3) Y compris dès aujourd’hui, même s’il s’agit de conquêtes limitées et partielles. Ce qui renvoie à la question des institutions et de l’indépendance sans sectarisme vis-à-vis du PS : voir plus loin dans le texte (4) De ce point de vue, la récente « affaire Picquet » au sein de la LCR ne jette-t-elle pas une ombre inquiétante sur le futur NPA par les pesanteurs qu’elle révèle en matière d’organisation interne ? Les moyens de l’organisation appartiennent-ils à tous ses membres ou seulement à sa majorité ? (5) Y compris la culture politique dont se réclame la LCR : le bilan historique des différents courants trotskystes n’est-il pas lui aussi nécessaire, y compris avant de se débarrasser de la référence au trotskisme, comme semble l’avoir décidé la LCR pour le NPA, avant même la naissance de celui-ci ?

TamTam liste de diffusion des Alternatifs des Alpes-Maritimes B.P. 2016 - 06101 NICE cedex 2

Réponse de Ingrid Hayes et Guillaume Liegard de la direction de la LCR à Bruno Della Sudda et Romain Testoris

Pour être tout à fait clair

Le texte de 2 militants des Alternatifs des Alpes-Maritimes sur la question du NPA mérite une réponse de fond qui nous l’espérons n’aura pas trop tardé. Il est à noter que contrairement à la position « officielle » donné par les Alternatifs à notre congrès et qui débute par « les Alternatifs ne sont pas concernés » les deux camarades se situent, eux, dans une logique de débat quant au NPA même si les divergences entre nous sont réelles.

Désaccords et malentendus

Nous n’avons pas avec les camarades la même tradition politique ni le même parcours militant et donc par voie de conséquence nous ne tirons pas le même bilan des années passées. Si, heureusement, cela n’empêche en rien d’avoir un avenir commun, il n’est pas inutile de revenir sur les positions développées par les camarades.

Notons tout d’abord que la LCR est la seule organisation à s’engager dans un processus de construction d’un nouveau parti. Il ne s’agit pas d’un débat pour un nouveau parti, ni d’un cadre de discussion qui pourrait peut-être un jour poser les jalons d’un tel parti mais bien d’un processus constituant de ce nouveau parti avec à la clé, la disparition de la LCR en tant que telle. Cela n’est pas rien. Affirmer dès lors que la LCR « a toujours fini par faire prévaloir son renforcement au détriment de ces structures unitaires et de se fondre dans une organisation plus large » apparaît pour le moins paradoxal. On comprend mal pourquoi la seule offre politique nouvelle proviendrait de cette même LCR qui a aujourd’hui tous les éléments pour assurer son renforcement politique. Du point de vue des camarades, il doit y avoir un grand mystère.

Pourtant et contrairement à ce qu’indique le texte des camarades, il y a des raisons profondes à cette politique qui tiennent justement aux bilans que nous avons tirés de ces dernières années. Pour tout dire, l’insistance que portent les camarades sur « la matrice léniniste » de la LCR et les éventuels problèmes afférents au centralisme démocratique nous paraît un peu décalée avec la réalité de notre organisation. La LCR est aujourd’hui une organisation qui a doublé depuis 2002 et dont seuls 15% étaient déjà membres en 1995. Nous avons la faiblesse de croire que notre relative prospérité doit aussi aux bilans que nous avons tirés de notre propre expérience. En particulier, le travail entrepris à partir de la fin des années 90 pour rompre avec un certain élitisme, pour être mieux à même d’intégrer des expériences différentes, des investissements inégaux nous ont armé pour gérer les succès ultérieurs. Les débats qui nous ont traversé à cette époque, les décisions que nous avons alors prises ont permis d’ouvrir largement les portes de notre organisation après la présidentielle de 2002. Au passage, d’organisation régie par le « centralisme démocratique », la LCR est désormais une organisation « centralisée et démocratique ». Et parce que dans notre tradition politique, les mots ont un sens, il ne s’agit pas d’un glissement sémantique.

Le problème qui est posé à la gauche radicale de ce pays depuis plusieurs années - disons 95 - c’est le décalage entre la radicalité sociale, politique, y compris électorale, qui s’exprime et la cristallisation organisationnelle de cette même radicalité. D’un certain point de vue, l’absence de répondant politique bride le champ des possibles sur le terrain des luttes. C’est la raison profonde qui nous a amené à lancer notre initiative de NPA. Avec une rupture dans l’histoire de la LCR, même si de fait elle était déjà largement amorcée en son sein, accentuant l’abandon de la logique d’une organisation avant gardiste.

Quel type d’organisation ?

Au-delà des dénominations, parti, parti mouvement ou autre, discutons en effet des formes d’organisation et de fonctionnement. Nous partageons l’idée que la forme rejoint le fond et que « l’organisation interne donne à voir la sincérité de nos convictions et de notre projet d’émancipation ». Notre projet commun est de rompre avec un système capitaliste source d’oppressions et d’aliénations qu’elles soient économiques, sociales, idéologiques ou culturelles. L’organisation qui porte un tel projet doit donc, dans ses pratiques mêmes, au quotidien, combattre les effets de l’idéologie dominante dans ses propres rangs. Mais parce que ce parti ou parti mouvement n’est pas extérieur à la société capitaliste, ses militants et militantes ne seront pas pleinement affranchi(e)s de la société capitaliste. Dit autrement, nulle structure ne peut prétendre être un îlot de socialisme dans un monde capitaliste. Il n’en reste pas moins que l’objectif est là, mais il faut être conscient qu’il subsistera une tension entre le but et la réalité. Le problème n’est donc pas entre centralisme et autogestion comme semble le penser les camarades. L’autogestion, les pratiques autogestionnaires apparaissent un peu comme une réponse magique dans le texte des camarades. Entendons-nous bien, l’autogestion doit bien être au centre des pratiques. On ne peut tout à la fois porter un projet où les travailleurs et travailleuses s’administreront eux-mêmes et en même temps avoir un mode de fonctionnement interne qui par des pratiques autoritaires serait en rupture avec ce même projet.

Une organisation où chacun, chacune puisse trouver sa place à l’égal de tous les autres. Une formation ou chacun(e) est acteur ou actrice et qui permette « la participation de tous et de toutes aux initiatives décidées en commun, à la critique, à l’élaboration de la stratégie, du projet et des programmes » tel est en effet l’enjeu. Mais parce que nous voulons créer les conditions d’un parti à vocation de masse, parce que nous avons rompu avec certains schémas comme celui du parti d’avant-garde, les choses ne sont pas si simples. . L’expérience qui est la nôtre ces dernières années nous apporte quelques éléments mais nous enseigne aussi beaucoup d’humilité. Et plus la formation que nous voulons construire se renforcera, plus elle sera capable de recruter largement dans les couches les plus populaires et les plus défavorisées, ce que sociologiquement nous souhaitons tous, et plus certaines difficultés, certaines différenciations existeront : par exemple une inégalité d’expériences entre celles et ceux qui ont plusieurs dizaines d’années d’expériences politiques, syndicales ou associatives et les militant(e)s qui n’auront rien de tout cela. Autre exemple, celui de la différence d’investissement entre celles et ceux qui pourront donner plus de temps et les militant(e)s qui par choix (et c’est aussi légitime) ou par contrainte (situation sociale ou familiale) ne pourront pas être aussi présent(e)s. Bref des questions pour aujourd’hui et pour demain qui n’admettent pas de réponses simples même si des pistes existent. Reste la question de la nature centralisée ou non d’une telle organisation. Les camarades indique « qu’il ne s’agit pas de faire disparaître toute centralité, lieu où les pratiques se socialisent, les idées se confrontent, les décisions se confirment après débat interne, mais de donner la priorité aux droits des adhérents et adhérentes, à la démocratie, à l’expérimentation, au fonctionnement en réseau et au déploiement des initiatives individuelles ». Cet extrait appelle plusieurs remarques.

Sur le fonctionnement en réseau, pour ne pas être trop long, nous renvoyons au texte de Pierre Rousset (En défense du principe d’organisation », 2007, http://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article4979), ainsi qu’au texte de S. Johsua et P. Rousset à paraître dans le prochain numéro de Critique Communiste. Mais, ce qui fonde, pour nous, le choix d’un fonctionnement centralisé n’est pas d’abord une question d’organisation interne mais le produit d’un choix stratégique. L’enjeu est bien un changement de pouvoir et une rupture avec l’ordre, le système existant, face a un ennemi qui dispose lui d’un cadre centralisé d’où s’organise sa domination : l’Etat. Toute l’expérience historique démontre que lorsqu’on refuse de se poser la question du pouvoir, cela revient à laisser le pouvoir au pouvoir, et donc à laisser à ce dernier les moyens de réprimer ou de récupérer les dynamiques alternatives. Est-ce sans risque ? La réponse est non. La gauche révolutionnaire doit-elle interroger ses conceptions et pratiques passées ? Bien évidemment.

Le projet, la démarche, les institutions

En définitive, outre que le pouvoir dominant agit en permanence contre une « fusion » directe des mouvements sociaux, le surgissement d’un point de vue globalement opposé à ce pouvoir est nécessaire. Il exige l’affirmation d’une autre hégémonie idéologique, culturelle, pratique, politique, bâtie donc dans l’indépendance de classe complète par rapport au système dominant. L’indépendance de classe est au cœur de tout véritable projet alternatif de société. Elle peut certes s’affirmer dans le feu des luttes. Mais, dans la durée, elle ne peut venir que d’une construction consciente. Celle qui s’appuie sur les bilans de l’histoire (et donc tient le coup dans les périodes de recul), sur la mise en liaison d’expériences diverses - sociales, nationales, générationnelles -, sur l’élaboration constante d’un projet global. La fonction du parti « de transformation sociale » est d’abord celle-là.

Ce qui fait, aussi, débat c’est la manière même dont nous avons initié le processus. La réponse que nous sommes en train de donner est bien sûr le fruit des débats passés dans la LCR et notamment de la nécessité de notre propre dépassement. Mais il est vrai qu’il y a une rupture. Non pas que nous ayons renoncé aux perspectives de jonction avec d’autres courants, sensibilités politiques ou à tout effort pour gagner des équipes et des responsables du mouvement social. D’ailleurs l’expérience en cours nous montre que c’est effectivement le cas pour partie. Mais parce qu’il y a urgence, parce que d’un certain point de vue, la Ligue en tant que telle ne peut pas répondre aux attentes qu’elle a elle-même suscité nous avons fait le choix de ne pas subordonner le processus à l’existence d’éventuels partenaires. Le succès d’ores et déjà enregistré, 300 comités constitués, une centaine en gestation traduit l’émergence d’une nouvelle génération militante en partie extérieure au mouvement ouvrier existant et nous conforte dans notre démarche. La réalité existante devrait lever les inquiétudes de celles et ceux qui pensent que « la LCR veut conduire le processus sous sa seule responsabilité ». Nous sommes convaincus que le processus de décantation ne fait que commencer et que des organisations, courants ou militant(e)s vont, de plus en plus, se poser la question, avec ou sans réserve, de participer à la construction du NPA. Nous souhaitons évidemment une telle issue, le plus tôt sera le mieux et nous sommes preneurs de toutes les discussions mais d’un certain point de vue la balle n’est pas dans notre camp.

Sur les institutions, l’approche des camarades nous paraît pour le coup fragile. Il existe sans doute un accord entre nous pour que le centre de gravité d’une organisation anticapitaliste soit en dehors des institutions. Ce positionnement n’est pas d’abord le produit des bilans des différentes organisations du mouvement ouvrier au cours du XX° siècle, même si évidemment, l’enfouissement dans les institutions, les éléments de bureaucratisation ne comptent pas pour rien. Mais plus substantiellement, la source profonde de ces dérives réside dans la nature même de ces institutions. Ce ne sont pas des structures neutres dont la fonction pourrait varier du tout au tout suivant l’appartenance politique de celles et ceux qui les dirigent. Pas de société anticapitaliste possible dans le cadre des institutions de l’Etat capitaliste. Et en même temps, surtout dans un pays comme la France, nulle organisation ne peut prétendre à l’hégémonie politique nécessaire pour renverser le système sans se confronter aux institutions. La conquête de cette hégémonie ne sera pas d’abord le fruit d’une adhésion idéologique, mais le produit d’une organisation qui aura démontré ces capacités à être utile au quotidien, à sa capacité à transformer et améliorer réellement le sort des plus démunis, à exploiter tout ce que Gramsci aurait appelé « les gisements de communisme ». Cela suppose aussi des positions institutionnelles mais en sommes-nous là ? Il y a une différence entre participer et gérer et de ce point de vue, il n’y a pas de doute que les différents échelons ne se valent pas. Ce qui est possible dans une municipalité, l’est beaucoup moins dans une région et est impossible au niveau du gouvernement. A cela s’ajoute de plus le poids croissant des directives européennes, échappant à toute démocratie, mais corsetant toutes marges de manœuvre institutionnelle dès que l’on dépasse le niveau local. Compte tenu en plus des modes de scrutin, c’est dans ces conditions que se pose la question du PS. Non pas une social-démocratie historique, abstraite mais le PS d’aujourd’hui ses positions, sa pratique, sa politique, sa conversion quasi unanime désormais au marché et donc au libéralisme. Disons tout d’abord que l’indépendance à l’égard du PS passe par une présence indépendante aux élections. L’antinomie des projets l’exige, ajoutons que les positions institutionnelles ne peuvent être octroyées, elles doivent être conquises. Nous ne souhaitons pas faire le bilan des Alternatifs, mais il nous semble que la position adoptée par votre organisation dans une ville comme Nantes (qui n’est pas exactement une bourgade) ne peut être que source de confusion surtout quand on rappelle que le maire J.M. Ayrault est en même temps président du groupe PS à l’assemblée et n°2 du PS. L’attitude au deuxième tour, l’appel à battre la droite voire les éventuelles fusions n’ont de sens à être discutées qu’à partir de ces données..

Continuer à discuter du passé, mesurer la réalité des désaccords présents pour espérons-le marcher ensemble demain telle sera, chers camarades, notre conclusion provisoire.

Le 23 Juin Ingrid Hayes et Guillaume Liégard du bureau politique de la LCR.


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