Paul François, agriculteur, Gravement malade suite à l’inhalation d’un désherbant de Monsanto, le LASSO

mercredi 31 décembre 2008.
 

L’accident a changé sa vie. Il faisait chaud, ce 27 avril 2004, près de Ruffec, dans ce coin de Charente du Nord, où Paul François, céréalier de 44 ans, cultive 240 hectares de terres. Blé, maïs et colza. Le gaz a surgi de la cuve, un récipient en résine posé sur un tracteur bleu. Les ailes déployées, l’engin ressemble de loin à une grosse libellule. Le « pulvé » permet de traiter les champs sur trente mètres de large. La cuve était restée exposée en plein soleil. Paul voulait vérifier qu’elle était bien « rincée ». Il n’a pas fait la bonne manip. « Une odeur très forte est sortie, qui m’a chauffé tout le corps. » Paul a été littéralement gazé par le monochlorobenzène. Une molécule qui entre dans la composition du désherbant qu’il utilise pour traiter ses champs, le Lasso. Paul est rentré chez lui prendre une douche. Son état s’est dégradé. Après, ce sont ses proches qui lui ont raconté. Depuis, Paul n’est guère remonté sur son tracteur.

Au début du mois de novembre, après une longue bataille, le tribunal des affaires sociales (TASS) d’Angoulême a reconnu le lien entre la maladie, qui le frappe depuis quatre ans, et l’inhalation du désherbant. Le 1er décembre, l’organisme de sécurité sociale agricole a fait appel du jugement. L’année prochaine, Paul devrait ferrailler contre Monsanto, le fabricant du Lasso, devant le tribunal de grande instance de Lyon. Epaulé par François Lafforgue, avocat d’un cabinet qui s’est illustré dans des affaires de santé publique et de maladie professionnelle : amiante, légionellose… « Il a fallu surmonter beaucoup d’obstacles pour qu’on puisse caractériser le lien », dit l’avocat. Les obstacles, Paul François les écarte méthodiquement, même s’il a conscience de s’attaquer à gros. A l’écouter, on se dit que le conglomérat américain Monsanto n’a pas eu de chance de tomber sur un gars comme lui.

Chemise et lunettes noires, on pourrait le confondre avec un citadin. « Je ne me reconnais pas dans le terme d’"agrimanager" », souffle-t-il. Chez lui, on est loin des personnages campés dans la Vie moderne de Depardon. Pas la tête du paysan typique qui nous ramène tous à nos origines. Ce cinquième d’une famille de six enfants, à la scolarité difficile, est le seul à travailler dans la partie. Il a repris l’exploitation gérée par son père. Il est presque gêné par le chemin « boueux » qui mène à sa maison. Dans son bureau, pas grand-chose pour rappeler la ferme. Un ordi, et, affiché au mur, un plan de ses terres.

Paul François est atypique dans le milieu rural. « Il a parlé pour ceux qui ne parlent pas »,dit sa sœur Marie. « Pendant très longtemps, les agriculteurs ne souhaitaient pas qu’on évoque leurs problèmes de santé pour qu’on ne les traite pas de pollueurs », rapporte un spécialiste. Pas lui. Quand le réalisateur Jean-Paul Jaud, auteur de Nos enfants nous accuseront, un documentaire qui évoque l’empoisonnement des campagnes par la chimie agricole, l’invite pour l’avant-première à Paris, il n’hésite pas. « Il a expliqué son action. C’est un acte citoyen et exemplaire. Si lui peut le faire, tout le monde peut le faire », dit le réalisateur.

La maladie, Paul la détaille, comme pour mieux la combattre. Pourtant, l’écouter dresser la liste des affections dont il a souffert a de quoi vous tourner la tête. D’abord l’amnésie, l’insuffisance respiratoire, les problèmes d’élocution. Cinq semaines après l’accident apparaissent les vertiges. Cinq mois après l’inhalation, il a des absences sur sa moissonneuse-batteuse. « Je n’étais pas cohérent dans mes propos. Mes proches ne me reconnaissaient plus, je devenais irritable. Le matin, je donnais des consignes qui n’étaient pas celles du soir. » Son état empire. Il tombe à plusieurs reprises dans le coma. C’est sa femme, une ancienne infirmière « tenace » , qui pousse les médecins à faire analyser des échantillons d’urine et de sang. Ils trouvent, pratiquement un an après l’accident, du chlorophénol. « On est censés ne pas en avoir », dit Paul.

Le corps médical rechigne à établir le lien avec l’inhalation du Lasso. Les médecins pensent plutôt dépression. Au début, il accepte l’idée. Le centre antipoison refuse de le recevoir. Un médecin le soupçonne de se « droguer ». « Cela l’a mis en colère », explique un scientifique. « Je voyais autour de moi une suspicion malsaine », dit Paul. Heureusement, des experts trouvent son cas étrange, lui viennent en aide, l’aident à rédiger ses conclusions. « Il était tout seul, isolé », raconte le toxicologue Henri Pézerat. Sans cette main tendue, ces chercheurs qui ont pris sur « leur temps personnel », il ne sait pas où son combat en serait aujourd’hui.

Comment va-t-il maintenant ? Immunodéficient, il a fait trois septicémies depuis le début de l’année. « Je m’estime coriace », assure-t-il. On lui demande s’il craint pour l’avenir. Il répond : « Un médecin m’a dit : "Vous devriez déjà être mort." »

Depuis le jugement, il a découvert la puissance des médias capables de lui trouver une place dans un train complet rien qu’en claquant des doigts, ou saturer son portable d’appels. « Je me suis dit, il faut vite que je revienne sur ma ferme. Il faut rester lucide. » Dans la rue, à Ruffec, on le reconnaît, le félicite. Il se fait chambrer, aussi. Répond la même phrase : « Je ne suis pas passé à Qui veut gagner des millions. » Il souhaite pouvoir toucher d’autres agriculteurs qui souffrent des mêmes maux mais n’osent pas se battre.

Paul François est un pur produit de l’agriculture intensive. Il rappelle dans quoi il a baigné : « Nos parents ont donné l’indépendance alimentaire à l’Europe dans les années 70 et ils l’ont fait grâce à la chimie. » Mais il en est persuadé : « Si les firmes voulaient jouer le jeu, on pourrait utiliser les produits phytosanitaires sans faire courir de grands risques à l’environnement. » Son engagement ? Son père était, comme lui, un type « débrouillard, toujours en recherche, et pas à s’installer dans un truc », comme dit sa sœur Marie. « Il a un regard assez avant-gardiste, l’esprit ouvert, battant », dit le maire de Ruffec. Et il a des aïeux vendéens, des gens qui, selon Marie, se révèlent dans l’adversité. Vice -président de la communauté de communes, plutôt centre droit, il a repris la charge « environnement », se bat désormais pour faire respecter l’assainissement. Il a toujours voulu éviter toute récupération syndicale, « dépolitiser » son problème. Mais il l’assure : « Si on continue à exploiter nos terres avec de plus en plus de produits chimiques, on va dans le mur. » Il ne veut pas entendre le discours : « Tu as été empoisonné, tu devrais faire de l’agriculture bio. » Avant son accident, il utilisait déjà la rotation des terres, qui « fait du bien au sol » ; récupérait du fumier. Il compte aussi se mettre au trèfle. Et quand vous le quittez, il dit qu’il a promis à sa famille et à des amis d’être là tôt ce soir, pour préparer un pot-au-feu.

Avant l’accident, il était bon vivant. Il a un peu repris du poil de la bête. Il a deux filles, de 13 et 17 ans, qui pourraient gérer l’exploitation dans une démarche de développement durable. Son père Alphonse, 81 ans, ancien syndicaliste, observe sa lutte de loin. Il est, dit Paul, « fier de mon combat, inquiet pour ma santé ».


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