Fascisme français et 200 familles dans les années 1930

jeudi 13 avril 2023.
 

- 5 septembre 1935 : les fascistes attaquent la Maison du Peuple d’Argenteuil et la Maison des Syndicats de Levallois, tirent à Valmondois)

1) Les 200 familles, plus influentes que le gouvernement

2) Patronat et organisations fascistes

3) Patronat et armement des fascistes

4) Les 200 familles, le fascisme et la maîtrise de la presse dans les années 1930

5) Fascisme et grand capital en France dans les années 1930 : la Cagoule

6) Eugène Schueller, coeur du fascisme patronal français

7) Les agressions fascistes en 1935

8) Fascisme et grand capital dans les années 1920 à 1940 (l’analyse pertinente de Daniel Guérin)

De tous temps, les grands possédants ont voulu maintenir leurs hauts profits au détriment des salariés et de la population. Aussi, ils ont toujours maîtrisé en sous-main les institutions "républicaines".

Ils ont aussi financé des bandes illégales aptes à des coups de main, aptes à quelques assassinats ciblés, puis, si nécessaire des organisations fascistes :

* en cas de succès électoral de partis de gauche risquant de prendre des mesures sociales importantes. Ainsi, une grande partie du patronat français a financé les ligues fascistes durant le Front Populaire pour renverser la république, si nécessaire. Ainsi, dans le Chili de l’Unité Populaire comme dans toute l’Amérique latine, le patronat s’est payé de petits groupes d’assassins dans les années 1970 pour exterminer des syndicalistes et militants politiques anticapitalistes. Ainsi, le gouvernement légal du Honduras a été chassé du pouvoir en 2009 par une coalition dont le fer de lance était constitué de fascistes subventionnés par le patronat hondurien.

* en cas de mouvement social important. Ainsi, les grands propriétaires italiens ont créé des bandes armées pour terroriser les petits paysans et ouvriers agricoles dans les années 1920. Ainsi, dans les années 1936, les dorgéristes français du Bassin parisien et du Nord, subventionnés par les grands propriétaires, ont réussi des expéditions punitives sans être inquiétés par la Justice.

* en cas aussi de crise économique. En 1936, Daniel Guérin remarque que les grands possédants "recourent à la solution fasciste moins pour se protéger contre les troubles de la rue que contre les troubles de leur propre système économique."

Depuis l’éclatement d’une nouvelle crise financière et économique du système capitaliste en 2008, concommitante d’une période d’assez forte combativité sociale, le patronat va-t-il se lancer à nouveau systématiquement dans un financement de groupes fascistes ? Pas encore. Pour le moment leurs biens (même obtenus illégalement) sont globalement mieux protégés par les partis de droite, le fonctionnement de la justice, le rôle de la police...

Si Nicolas Sarkozy risquait de perdre en 2012, sans candidat de droite ou de gauche apte à protéger leurs immenses fortunes au détriment de l’intérêt public, là, la question se poserait sérieusement. Si le candidat PS pour 2012 risquait sérieusement de s’attaquer aux profits pantagruéliques, la question se poserait aussi pour une partie significative du Capital. De plus, le fascisme de masse apparaît plutôt en période de crise économique lorsque chaque patronat joue temporairement et partiellement la carte de l’autarcie économique qu’il justifie médiatiquement en faisant jouer à fond la fibre nationaliste.

1) Les 200 familles, plus influentes que le gouvernement

La France a connu une progression importante des organisations fascistes dans les années 1920 et surtout 1930. Qui leur fournit l’argent pour faire de la propagande, s’organiser, s’armer, s’entraîner, réussir quelques assassinats, expéditions punitives et provocations ? Les Puissances d’argent comme l’analyse alors le Comité de Vigilance Des Intellectuels Antifascistes qui voit en elles les véritables commanditaires de l’émeute et prémisse de coup d’Etat du 6 février 1934.

Ces puissances d’argent sont alors caractérisées par le slogan des 200 familles.

Ce nombre de 200 correspond à celui des membres de l’Assemblée générale de la Banque de France fixé depuis Napoléon par l’article 11 des statuts de cette institution « Les 200 actionnaires qui composeront l’Assemblée générale seront ceux qui seront constatés être, depuis six mois révolus, les plus forts propriétaires de ses actions. »

Dans le Conseil de régence nommé par ces 200 plus gros actionnaires, se retrouvent par exemple un François de Wendel, parlementaire de droite lié à l’extrême droite et président du Comité des Forges.

A juste titre, la gauche dénonce alors l’Etat dans l’Etat que représentent ces 200 familles.

* « Deux cents familles sont maîtresses de l’économie française et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. » (Édouard Daladier, président du Conseil, lors du Congrès radical de Nantes en 1934)

* Léon Trotsky a parfaitement raison d’écrire « Dans le cadre du régime bourgeois, de ses lois, de sa mécanique, chacune des « deux cents familles » est incomparablement plus puissante que le gouvernement Blum » (Où va la France ? 1936).

En effet, que dirigeait vraiment un gouvernement de la République à partir du moment où l’économie du pays était en fait contrôlée par les grands actionnaires privés de la Banque de France (émission de billets, traités bancaires...) ?

En 1936, le gouvernement Blum réussit à faire voter par le Parlement une réforme de la Banque de France. Cela n’a pas impliqué qu’il devienne plus puissant que les 200 familles, loin de là. En effet, ces puissances d’argent sont propriétaires des journaux et peuvent, quand bon leur semble, lancer une campagne déstabilisant complétement un gouvernement. Tel est le cas par exemple lors d’un moment décisif pour le Front Populaire : le coup d’Etat des fascistes espagnols ; il suffit d’une vaste campagne de presse pour isoler Blum qui a décidé dans un premier temps de fournir des avions de combat au gouvernement légal du Frente Popular.

2) Patronat et fascisme en France

C’est le financier Pierre Taittinger (patron des Champagnes Taittinger par exemple) qui crée en 1924 le groupe fasciste des Jeunesses Patriotes.

Le Faisceau français et ses "jeunesses fascistes" sont fondées le 11 novembre 1925 avec un fort financement d’hommes d’affaire dont Eugène Mathon (grand patron du textile dans le Nord), Serge André (administrateur de l’organisation et industriel du pétrole), François Coty... Plus tard, ces francistes coopèreront avec la gestapo.

Qui peut nier la nature fasciste du groupe La Solidarité française créé début 1933 dont le financier principal se nomme François Coty, richissime patron de la parfumerie et dont le principal théoricien a pour nom Louis Mouilleseaux, industriel lorrain ?

En septembre 1933, se crée le Francisme de Marcel Bucard. Dans son Histoire des forces politiques en France, Pierre Lévêque note "les francistes revêtent la chemise bleue et le baudrier de cuir, saluent à la romaine, multiplient les parades, les exercices de tir et pratiquent à l’occasion les expéditions punitives. Quant à la doctrine, elle a évolué en fonction des soutiens financiers obtenus par le parti. Lié au départ à des hommes d’affaires français très conservateurs... il se réclame du catholicisme..."

Un grand industriel du textile comme Georges Laederich pousse ses ouvriers à adhérer aux Croix de Feu. En 1935, ceux-ci multiplient dans la rue leurs "concentrations" motorisées constituées de groupes de combat et de groupes de défense sur tout le Bassin parisien. En octobre de la même année, ils regroupent leurs troupes de choc des secteurs Nord de Paris dans une ferme de Villepinte, au coeur de la banlieue rouge.

Un fasciste influent comme Pierre Pucheu, industriel, PDG de Japy, Croix de feu puis doriotiste (PPF) est aspiré en 1937 dans les sphères dirigeantes de la banque Worms.

Même une organisation comme le PPF de Doriot, fallacieusement présentée par bien des livres d’histoire comme une scission communiste, représente en fait un mouvement de masse au service des grands possédants. Fernand Léger, délégué pour l’Algérie à la direction du parti, constate que son budget provenait essentiellement des "plus gros industriels, colons et commerçants". Dès 1937, un Pierre Pucheu (lié au grand patronat et apportant les fonds au PPF) et un Jean Le Can (entrepreneur bordelais en bâtiment) pèsent lourdement dans l’orientation du Bureau politique. Dieter Wolf a montré que Simon Sabiani, ancien maire de Marseille, est financé à partir de 1934 par "la riche bourgeoisie et les armateurs".

Parmi les forces actives contre "la gueuse" (la république), il est important de signaler également la Ligue des contribuables dirigée par l’industriel Lemaigre-Dubreuil, gendre de Lesieur (huiles).

La CAGOULE, le fascisme français qui a voulu renverser la République (L’Oréal, SCHUELLER, Bettencourt...)

3) Patronat et armement des fascistes

Durant l’été 1935, les organisations fascistes au service du patronat disposent d’un armement considérable.

* Des mitrailleuses Hotchkiss sont trouvées dans plusieurs locaux appartenant à des Croix de Feu (au château de Gaillefontaine, appartenant au marquis des Roys, royaliste notoire ; dans la cave d’un PDG, boulevard des Batignolles). L’Humanité dénonce " les mitrailleuses Hotchkiss sortant d’une usine de Saint-Cloud - les pompes Guinard - soigneusement emballées dans des caisses de vermicelle".

* "le prince Murat, habitant 102, rue de Miromesnil à Paris, détenait dans sa cave, il y a quelques mois, une vingtaine de caisses de balles explosives : chaque caisse contenait mille de ces cartouches... "

Voici quelques citations de L’Humanité (été 1935) sur les armes découvertes ici et là, sans qu’aucune enquête ne soit diligentée :

* le 20 août - et grâce aux renseignements fournis par des camarades du bâtiment - un véritable dépôts d’armes fut découvert en plein coeur de Paris. Un officier de réserve, le Croix de feu Bessureau, avait emmagasiné dans sa cave, rue Garancière un obusier Brandt et une centaine d’obus à ailettes. On sait que l’obusier Brandt, dont la courte trajectoire permet au projectile de passer par-dessus les maisons et de retomber dans une rue voisine, est une arme de guerre civile, une arme de combat de rues, par excellence.

* Le 29 août, un douanier découvre une automitrailleuse maquillée arrivant dans le port du Havre. " La carrosserie de la voiture était blindée par des plaques de 4 millimètres d’épaisseur, plaques qui recouvraient tout l’intérieur de la carrosserie, du capot, etc. Et mieux que cela, à l’intérieur des affûts de mitrailleuses étaient disposés. Le douanier venait de découvrir la première voiture limousine, auto-mitrailleuse, importée en France. » En fraude naturellement. Et notre enquête nous permit d’établir que cette autro-mitrailleuse était arrivée au nom de M. Hermann du Pasquier, président de la Chambre de Commerce du Havre... Bien entendu, ce M. Hermann du Pasquier n’a pas été arrêté !

4) Les 200 familles, le fascisme et la maîtrise de la presse dans les années 1930

L’importance des Puissances d’argent dans le développement d’un courant politique fasciste et fascisant dans la France des années avant 1939 se note particulièrement dans le développement d’une presse sur cette orientation :

* De 1930 à 1944, Je suis partout (Pierre Gaxotte, Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet, Bernard de Vaulx, Maurice Bardèche, Alain Laubreaux, Claude Roy, Miguel Zamacoïs, Pierre Halévy, Pierre Drieu La Rochelle, Ralph Soupault...) soutient le fascisme italien, la Garde fer roumaine, le rexisme belge... Il diffuse chaque jour des idées antidémocratiques et antisémites. Durant la guerre, il sera le fer de lance de la collaboration avec les nazis. Or, dès 1930 1938, ce périodique bénéficie d’un soutien financier considérable de la part des "milieux d’affaires".

* Gringoire prend parti pour l’Italie mussolinienne, pour le Portugal salazariste, pour les franquistes durant la guerre d’Espagne. C’est ce magazine qui titre "Chassez les métèques" et développe une grande campagne et antisémite et xénophobe.

* Candide de Pierre Gaxotte (tirage à 465000 exemplaires) poursuit Léon Blum d’une haine tenace « Il incarne tout ce qui nous révulse le sang et nous donne la chair de poule. Il est le mal, il est la mort. »

* Le Matin ( environ 320000 exemplaires) dont des articles préconisent de plus en plus souvent un rapprochement de l’Allemagne nazie

* le Journal de Roland de Margerie (410 000 exemplaires en mars 1939) souhaite une alliance avec l’Italie mussolinienne

4) Fascisme et grand capital en France dans les années 1930 : la Cagoule

Le grand capital n’a pas besoin de fascistes d’opérette mais de forces aussi efficaces que discrètes, aussi capables d’assassiner que parader en service d’ordre de la droite classique, liées au fascisme international mais s’affirmant essentiellement nationaliste.

Dans les années 1934 à 1938, la Cagoule va répondre à ces critères et être financée en conséquence. C’est elle qui assassinera des antifascistes italiens pour le compte de Mussolini. C’est elle qui détruira les avions de combat destinés à l’Espagne républicaine.

Qui peut nier la nature fasciste de La Cagoule ? Parmi les grandes entreprises qui financent cette organisation terroriste, notons :

* Michelin, très engagé dans l’action secrète elle-même. C’est son équipe des Enfants de Gergovie qui fait sauter à la bombe le siège de la Confédération Générale du Patronat Français et celui de l’Union des Industries Métallurgiques dans le but de faire accuser les communistes.

* Renault,

* Lafarge,

* Lesieur

* Cointreau,

* Saint-Gobain,

* Ripolin

5) Eugène Schueller, coeur du fascisme patronal français

Dans chaque pays, le lien du grand patronat avec les fascistes est surtout passé par tel ou tel chef d’entreprise : Toeplitz en Italie, Thyssen en Allemagne... En France, c’est surtout Eugène Schueller qui joue ce rôle. Fondateur de L’Oréal, il a créé un groupe capitalistique comprenant Monsavon, Valentine, Dop et divers magazines comme Votre beauté.

Dès février 1934, Eugène Schueller comprend que le groupe fasciste le plus apte à perpétuer des assassinats ciblés, des provocations du type incendie du Reichstag, le plus apte aussi à préparer un coup d’Etat, c’est la Cagoule (PNR, OSARN, OSAR, CSAR, MSR...). Plusieurs dirigeants de ce groupe, dont son leader Eugène Deloncle, sont aux-mêmes des dirigeants patronaux. Les réunions de direction de cette association secrète se tiennent généralement dans le bureau du PDG. Après la tentative avortée de coup d’Etat en novembre 1937, les renseignements généraux et la police judiciaire enquêtent sur La Cagoule. Ils concluent que cette organisation subversive (liée à l’Allemagne hitlérienne, à l’Italie mussolinienne et à l’Espagne franquiste) était financée par les grandes entreprises françaises.

Durant l’occupation allemande, le patronat français (L’Oréal et Schueller en particulier) multiplie son activité en lien avec le fascisme comme nous l’avons déjà montré dans l’article ci-dessous (cliquer sur le titre pour y accéder) :

La CAGOULE, le fascisme français qui a voulu renverser la République (L’Oréal, SCHUELLER, Bettencourt...)

Pour Eugène Schueller, le régime de Pétain apparaît comme une « délivrance ». Et avec tous ses amis cagoulards, Deloncle en tête, le patron de L’Oréal fonde le Mouvement social-révolutionnaire, dont il héberge le « comité technique » directement au siège de son entreprise, rue Royale à Paris. Il participe ensuite, en 1941, à la création du parti pro-nazi de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire. Pendant la collaboration, Schueller a de grandes idées tant politiques qu’économiques, et il tient à les partager en publiant la Révolution de l’économie. Dans ce livre qui est le deuxième volume, juste après les discours d’Adolf Hitler, d’une collection de Denoël intitulée « La révolution mondiale », Eugène Schueller fustige le syndicalisme  : « Il constitue seulement un élément d’agitation, c’est-à-dire de démolition interne, mais de plus, si un jour, par suite de circonstances exceptionnelles, il arrive au pouvoir comme en 1936, il mènera à la catastrophe. Il réalisera ses promesses démagogiques, entraînant une vague de paresse et de révolte à travers toutes les entreprises. » Dans l’hebdomadaire pétainiste la Terre agricole, André Bettencourt écrira, lui, plus de 70 éditoriaux, au ton violemment antisémite, entre décembre 1940 et juillet 1942.

6) Les agressions fascistes en 1935

Avant que la mobilisation et la victoire électorale du Front populaire ne modifient le rapport de forces, les organisations fascistes s’engagent de plus en plus dans des agressions contre les syndicats ouvriers et partis de gauche

" Dans la première semaine d’août, les J.P tirent sur la foule dans une assemblée populaire, à Paris, rue de la Réunion (20°).

" A Oran, les Volontaires nationaux tirent des coups de feu sur les travailleurs. Deux jours après à Bry-sur-Marne, les fascistes blessent quatre ouvriers.

" Le 14 août, à Ormesson, les provocateurs fascistes tentent un coup de main sur la mairie, siège d’une municipalité communiste. Surpris ils tirent. Précédemment ils avaient saccagé les préparatifs d’une fête populaire à Ormesson.

" A Sainty (Seine-et-Oise), les fascistes viennent la nuit du 16 au 17 août et se livrent à des actes de vandalisme. Ils tentent d’arracher des oriflammes rouges.

" Dans l’Ile d’Oléron, ils s’attaquent à la colonie de vacances de la municipalité communiste de Bagnolet.

" Dans la nuit du 3 septembre, les fascistes s’enhardissent, s’attaquent à la Maison du Parti, 120, rue Lafayette, et enlèvent un drapeau rouge cravaté de crêpe, placé à l’occasion de la mort d’Henri Barbusse.

" La nuit du 4 au 5 septembre, c’est le saccage de la Maison du Peuple d’Argenteuil et de la Maison des Syndicats de Levallois, cependant qu’à Valmondois (Seine-et-Oise), des Croix de feu tirent sur des travailleurs.

" Le 14 septembre, c’est à Blanc-Mesnil que les fascistes saccagent les préparatifs d’une fête populaire... "

(brochure du PCF : Les armements des ligues fascistes par LUCIEN SAMPAIX, octobre 1935)

7) Fascisme et grand capital dans les années 1920 à 1940 (l’analyse pertinente de Daniel Guérin)

Après avoir subi une guerre atroce de 1914 à 1918, les peuples européens veulent prendre en mains leurs affaires dès la fin de la guerre.

Le grand patronat crée ausitôt des groupes mafieux paramilitaires pour préserver ses intérêts.

Tel est le cas en Italie derrière Mussolini :

"(…) non seulement l’industrie lourde, mais aussi la Banca Commerciale, poussent Mussolini vers le pouvoir : et c’est ensemble qu’en octobre 1922, les magnats de la "Confédération de l’Industrie" et Toeplitz (dirigeant de la BC) fournissent les millions nécessaires à la "Marche sur Rome". Le 28 octobre, à Milan, (…) des pourparlers actifs ont lieu entre Mussolini (…) et les chefs de la Confédération générale de l’Industrie, les députés A. Stefano Benni et Gino Olivetti. Les dirigeants de l’Association Bancaire, qui avaient versé vingt millions pour financer la "’Marche sur Rome", les dirigeants de la Confédération de l’Industrie (…), télégraphient à Rome pour donner (…) l’avis que la situation ne comporte pas d’autre issue qu’un gouvernement Mussolini". (1)

Tel est le cas en Allemagne derrière Hitler :

" Les magnats de l’industrie lourde, à la fois pour reconquérir les débouchés perdus, tourner l’obligation du désarmement qui les prive d’une source énorme de profits, se débarrasser du fardeau des réparations qui pèse sur leurs prix de revient, engagent l’Allemagne dans une politique extérieure agressive et nationaliste. Agissant par-dessus la tête du gouvernement du Reich, ils subventionnent des bandes armées, composées de démobilisés et d’aventuriers. (…) Le 25 septembre 1923, toutes ces « ligues de combat » sont fusionnées en une organisation unique, à la tête de laquelle est placé Adolf Hitler...

De 1924 à 1929, les magnats de l’industrie lourde subventionnent juste assez les bandes fascistes pour qu’elles ne disparaissent pas. Ils n’en ont plus, en effet, un besoin immédiat et tiennent seulement à les conserver en réserve. C’est que, pendant ces années, ils s’engagent dans une gigantesque entreprise de réorganisation industrielle avec l’aide de capitaux étrangers. Cette entreprise exige – provisoirement – une politique de collaboration : collaboration à l’extérieur avec l’Entente, avec la finance anglo-saxonne ; collaboration à l’intérieur avec les organisations ouvrières. Quand le mark est définitivement stabilisé et que le plan Dawes entre en vigueur, les capitaux américains commencent à affluer en Allemagne. Jusqu’en 1931, le « plus énorme investissement de l’histoire financière » se poursuit. Il atteindra le chiffre de 30 milliards de marks-or. Mais cette audacieuse opération aboutit à une catastrophe économique, également sans précédent. Avec les dollars empruntés à des taux très élevés, l’industrie allemande a accru son potentiel de production d’un tiers. Elle s’est équipée pour pourvoir aux besoins du monde entier. Mais il ne lui manque qu’une seule chose : le consommateur. (…) Et brutalement, au moment où la mise en œuvre des moyens de production nouveaux est achevée, où les produits finis commencent à s’entasser dans les usines, l’acheteur étranger se dérobe ; la crise commence. (…) Les magnats de l’industrie lourde sont particulièrement frappés par ce désastre (…)

Ils en sont arrivés au point où seul le secours de l’Etat peut ressusciter artificiellement leurs profits : à l’Etat de les aider à réduire les salaires ouvriers, relevés au temps de la prospérité apparente de la « rationalisation » ; mais, pour diminuer les salaires, il faut d’abord briser le système des contrats collectifs, lesquels s’appliquent en 1931 à 10 millions d’ouvriers et à peu près deux millions d’employés ; il faut réduire à l’impuissance, non seulement l’organisation syndicale mais son prolongement au sein de l’usine, le conseil d’entreprise. (…) Reste une solution : que les magnats de l’industrie lourde (…) remettent la direction de l’Etat à des hommes à poigne. C’est pourquoi ils tirent le national-socialisme de l’obscurité dans laquelle il avait végété depuis si longtemps, ils le lancent à la conquête du pouvoir. Fritz Thyssen, qui n’a jamais cessé d’appuyer son ami Hitler, le vieil Emil Kirdorf, maître du puissant consortium métallurgique Gelsenkirchen qui a été l’ « admirateur » de Hitler depuis 1927, d’autres encore élèvent le chiffre de leurs subventions. (…)

A partir de l’été 1930, la plupart des magnats de l’industrie lourde – et des banquiers qui lui sont liés – subventionnent le parti national-socialiste. Ils lui fournissent les moyens matériels imposants qui lui permettent de remporter la victoire électorale de septembre 1930 et de conquérir 107 sièges au Reichstag. Beaucoup plus tard, évoquant dans un discours le souvenir de cette « étonnante campagne », Hitler invitera ses auditeurs à songer à « ce que cela signifie lorsque mille orateurs ont chacun une voiture automobile à leur disposition et peuvent tenir en une année cent mille réunions publiques ». En 1931 et en 1932, les subventions continuent de pleuvoir, toujours plus abondantes dans les caisses du « NSDAP ». (voir Heiden Konrad, Histoire du national-socialisme)...

Le 4 janvier 1933, l’accession de Hitler au pouvoir est décidée au cours d’une entrevue entre Papen et Hitler, dans la maison d’un gros banquier de Cologne, von Schroeder, qui a des attaches avec l’industrie lourde rhéno-westphalienne. (rapporté par Benoist-Méchin dans son Histoire de l’armée allemande). Le 30 janvier, le chancelier Schleicher passe la main et c’est l’ensemble du capitalisme allemand qui tient sur les fonds baptismaux le Troisième Reich." (1)

NOTES

1) Fascisme et grand capital, par Daniel Guérin, François Maspéro, 1965


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