24 mars 1976 en Argentine Le fascisme prend le pouvoir

mardi 4 avril 2023.
 

Au petit matin du 24 mars 1976, l’armée argentine réalise un coup d’état et installe le fascisme au pouvoir, en accord avec le patronat argentin, les Etats Unis, la hiérarchie catholique et l’extrême droite du pays.

Le 24 mars représente aujourd’hui pour les Argentins le "jour de la Mémoire pour la Vérité et la Justice", jour férié de commémoration des victimes de la « guerre sale » (génocide de la gauche entre 1976 et 1983).

La justice argentine emploie ce terme de « génocide » depuis plusieurs années ( par exemple dans la condamnation, en 2008, du général Antonio Domingo Bussi) après une réflexion approfondie d’un point de vue juridique.

Il s’agit du dernier coup d’état militaire des années 1968 dans le cône Sud de l’Amérique latine après le Brésil, la Bolivie, l’Uruguay et le Chili.

A) Contexte international et national du coup d’état du 24 mars 1976

- > A1) Le putsch militaire de 1976 ne peut se comprendre sans connaître le choix des USA (des années 1960 aux années 1980) d’installer des dictatures militaires en Amérique latine et dans le Sud-Est-asiatique

- pour y diminuer le coût du travail au profit des multinationales au moment où le leadership économique et politique mondial de Washington connaît de graves difficultés (d’où la volonté d’éliminer physiquement les responsables syndicaux de salariés comme de petits paysans)

- pour stopper la poussée démocratique et sociale qui émerge puissamment sur les cinq continents.

- pour casser toute force politique de gauche risquant de contrarier la domination politique US : du Parti Socialiste au Chili aux Tupamaros de l’Uruguay.

- Un sous-officier retraité de l’armée, nommé Roberto Francisco Reyes, a témoigné du rôle de l’armée américaine dès 1966 1973. Des unités des Rangers ont entraîné des soldats argentins à Salta en 1967, leur enseignant en particulier l’usage de la torture (dont celle de la gégène et de plusieurs techniques d’asphyxie).

Tout cela rappelle le drame indonésien comme celui du Chili :

Indonésie : colonisation, Soekarno, génocide de 1965

Les USA voulaient empêcher Allende élu d’entrer en fonctions comme président du Chili (1970)

- > A2) Le putsch militaire de 1976 ne peut se comprendre, non plus, sans insister sur la tradition autoritaire répressive du pays (deux seules élections depuis 1946, une en 1963, une autre en 1973 aboutissant toutes deux à un coup d’état militaire) et la culture putschiste fascisante de l’armée argentine.

Le 28 juin 1966, une junte de chefs militaires dirigés par le général Juan Carlos Onganía, réalise un coup d’état pour chasser le président Arturo Illia (UCRI), élu en 1963. Cette dictature catholique-nationaliste appelée « Révolution argentine », se maintient au pouvoir jusqu’en 1973

- > A3) Les caractéristiques fascisantes de secteurs importants du catholicisme argentin pèsent également. Le recteur thomiste anti-moderniste et anti-démocratique Jordán Bruno Genta (1919-1974), influent auprès des cercles militaires, a déjà joué un rôle central dans le coup d’état militaire fasciste de 1943 avant de rééditer son exploit en 1966. Il affirme dans son ouvrage La Guerre contre-révolutionnaire (1964), que « La doctrine et la pratique communiste n’est rien d’autre que le libéralisme moderne, poussé à ses conséquences ultimes dans le rejet de l’ordre occidental chrétien. Par conséquent, on ne peut pas séparer le communisme du libéralisme. »

Ainsi, les textes de cette « Révolution argentine » comme plus tard ceux de la junte ressemblent beaucoup à la littérature franquiste des années 1936 à 1939. « La rupture de l’unité spirituelle du peuple argentin, la généralisation de la démoralisation et du scepticisme, l’apathie et la perte du sentiment national, la détérioration chronique de la vie économique et financière, la faillite du principe d’autorité et l’absence d’ordre et de discipline qui se traduisent en des perturbations sociales frondeuses et en la méconnaissance notoire du droit et de la justice. Tout ceci a créé les conditions propices pour une pénétration marxiste subtile et agressive dans tous les domaines de la vie nationale, et suscité un climat favorable aux débordements extrémistes qui menacent d’exposer la Nation à la défaite devant l’avancée du péril collectiviste. » (1966)

- > A4) L’armée prend le pouvoir sur une orientation fasciste assumée, avec en particulier le point fondamental du fascisme à savoir le remplacement du syndicalisme par le corporatisme. L’état de siège est maintenu en permanence, les droits civiques et sociaux et les libertés suspendus (liberté de réunion, d’expression etc.), la censure permanente (ainsi la loi n°16 940, « Idéologie communiste : communication postale », préparée par le Conseil de sécurité nationale et promulguée le 18 octobre 1966, autorise l’ouverture de tout courrier et la saisie des courriers « subversifs » et de toute représentation « immorale », littéraire ou graphique).

Le « Processus de réorganisation nationale » (« Proceso de Reorganización Nacional ») est le nom officiellement donné à soi-même par la dictature militaire argentine de 1976 à 1983, qui imitait ainsi le Proceso de reconstrucción nacional de la dictature uruguayenne.

- > A5) Un autre élément présente une grande importance. Le général Juan Perón, élu président de la république en 1973, compose avec l’extrême droite et les chefs militaires ; il s’appuie dès son retour en Argentine sur un courant d’extrême droite du péronisme. Ainsi, en juin 1973, des éléments fascistes sont utilisés contre la gauche péroniste, en particulier lors du massacre d’Ezeiza.

Le terrorisme d’état contre des syndicalistes et organisations anticapitalistes s’exerce de 1973 à 1976, en particulier par l’intermédiaire de l’escadron de la mort Triple A ainsi que par des services de police et de l’armée. Deux groupes réagissent par la guérilla, les Montoneros et l’ERP ; l’armée est chargée de les éliminer, ce qui la place en position centrale pour son coup d’état.

B) Sur les forces impliquées dans le coup d’état fasciste du 24 mars 1976 (wikipedia)

B1) Le grand patronat argentin

Lors de son procès, le général Videla a justifié le coup d’état et les exécutions, avec diverses précisions, par le fait que « les grands patrons avaient alors exigé la disparition de quelque 7 000 à 8 000 dirigeants syndicaux et estudiantins. Carlos Blaquier, gérant d’une entreprise sucrière, est aujourd’hui poursuivi pour son rôle dans l’opération connue comme «  Nuit de la coupure de courant  », dans la province de Jujuy en 1976  ; il avait prêté aux militaires les camions et les contremaîtres de l’entreprise pour l’arrestation de près de 200 « subversifs  », dont 30 disparaîtraient. » (L’Humanité du 17 mars 2013)

B2) Les Etats-Unis (wikipedia)

Une semaine avant le coup d’État, l’ambassadeur des États-Unis, Robert Hill, informe William D. Rogers, sous-secrétaire d’État chargé de l’Amérique latine, que l’amiral Emilio Massera lui a demandé d’être mis en contact avec des firmes américaines de relations publiques afin de soigner l’image du futur régime militaire : le président Gerald Ford et Henry Kissinger sont donc au courant des préparatifs du coup d’État, et ce dès le 16 février 1976. Cependant, étant donné en particulier la mauvaise image de la dictature de Pinochet, ils préfèrent soutenir prudemment l’armée argentine, tandis que celle-ci décide dès le début de réprimer la population de façon secrète et en-dehors du cadre juridique, afin de ne pas alarmer l’opinion publique. Deux jours après le coup d’État, Kissinger déclare vouloir aider les militaires ; le 27 mars 1976, soit 3 jours après le putsch, le FMI accorde un prêt de 127 millions de dollars à la junte.

Le 30 mars 1976, l’ambassadeur Hill dépeint Videla (nommé commandant en chef de l’armée par Isabel Perón et leader du putsch) comme un « modéré ». Il ajoute que les États-Unis doivent se montrer favorable à toute demande d’assistance. Début avril 1976, le Congrès accepte la demande de Gerald Ford, rédigée par Kissinger, de fournir 50 millions de dollars en aide militaire aux généraux.

B3) L’Eglise catholique

Le putsch est soutenu par l’Église catholique qui gagne en contrepartie un fort soutien à l’enseignement confessionnel comme cela avait été le cas avec Hitler et Mussolini.

La junte reprend la rhétorique national-catholique de la « Révolution argentine », entrelaçant les thèmes du rétablissement de l’ordre moral chrétien et de la défense de la « civilisation occidentale chrétienne » avec l’anti-communisme. Les secteurs les plus extrémistes de l’armée se reconnaissent dans la revue intégriste et anti-sémite Cabildo ; les forces armées en général ont été influencées par le catholicisme intégriste développé par « des groupes et des individus tels que la Cité catholique, Jean Ousset, Carlos Sacheri, Jordán Bruno Genta, l’abbé Julio Meinvielle ou la Congrégation des coopérateurs paroissiaux du Christ-roi. »

Ces groupes ont interprété la guerre froide en termes de « choc de civilisation » et leur action en termes de défense de la « chrétienté », considérant par ailleurs toute attitude de réforme ou de contestation comme symptôme du « mal communiste ». Des penseurs de l’Inquisition ont même été utilisés par les théologiens néo-thomistes afin de justifier l’usage de la torture et de l’extermination des « infidèles ».

Jusqu’à présent, l’Église s’est refusé à reconnaître son rôle dans la légitimation de la dictature et des crimes commis par celle-ci. En octobre 2007, le prêtre Christian von Wernich, a été jugé pour avoir activement participé aux interrogatoires au cours desquels la torture était employée. Le père Ruben Capitanio, lui-même victime de la dictature, a été l’un des rares à avouer la responsabilité de la hiérarchie ecclésiastique. Selon le journaliste Hernán Brieza, une trentaine d’autres prêtres, certains étant déjà morts, auraient pu être inculpés d’actes de torture.

L’Association des mères de la place de Mai, toujours à la recherche de leurs enfants et petits-enfants disparus, insiste depuis 33 ans pour un procès « éthique et politique des violeurs de la parole de Jésus ». « Durant la dictature, des curés et des évêques ont légitimé le génocide, en bénissant les tortionnaires, en présidant des séances de tortures (…). Nombre d’entre eux sont toujours membres de l’Église ».

C) Des crimes pour un génocide de la gauche et des syndicalistes (wikipedia)

La justice argentine emploie ce terme de « génocide » depuis plusieurs années ( par exemple dans la condamnation, en 2008, du général Antonio Domingo Bussi) après une réflexion approfondie d’un point de vue juridique.

La junte argentine a fait près de 30 000 « disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million exilés pour 30 millions d’habitants, ainsi que 500 bébés kidnappés aux parents desaparecidos et élevés par des familles proches du pouvoir.

La dictature militaire en Argentine (1976-1983) n’a pas seulement commis des crimes contre l’humanité, elle a aussi essayé de les cacher. Depuis quelques temps, les exactions perpétrées lors de cette période de l’histoire du pays resurgissent et témoignent de son horreur. Le Centre d’information judiciaire (CIJ) a ainsi révélé, mercredi 14 décembre, la découverte d’un nouveau charnier dans l’ancien arsenal Miguel de Azcuénaga à Tucuman, dans le nord du pays. Le lendemain, des photographies et des documents prouvant l’existence des "vols de la mort" ont été rendus publics.

Les restes d’au moins quinze personnes ont ainsi été découverts dans une fosse commune sur le site de l’ancien arsenal, dans le cadre des fouilles menées sur place par l’équipe d’anthropologie médico-légale. "Les corps ont été retrouvés à différents niveaux de profondeur", précise le CIJ sur son site Internet. Aux côtés des squelettes, partiellement carbonisés, les scientifiques ont constaté la présence de douilles.

"Nous avons la preuve qu’il s’agit d’un lieu d’exécution", indique le Centre d’information judiciaire. Plusieurs restes humains avaient déjà été retrouvés sur le site de l’ancien arsenal au mois de mars. Au total, quatre charniers ont été découverts dans ce qui est présenté comme le plus grand centre de détention clandestin du nord du pays, explique Público. Environ neuf cents prisonniers y auraient été reclus. Selon Clarín, l’endroit a été actif dès 1975, lors de "l’Opération indépendance", mise en place pour éliminer la dissidence politique.

Par ailleurs, les équipes médico-légales ont identifié, mardi, la personne dont le pied droit avait été retrouvé au milieu des restes d’autres victimes, début 2010, au Pozo de Vargas. Il s’agit de l’ancien sénateur Guillermo Vargas Aignasse, enlevé en 1976 devant sa famille, précise La Nacíon.

D) DES PREUVES MATÉRIELLES DES "VOLS DE LA MORT"

Jeudi 15 décembre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a transmis au juge fédéral Sergio Torres des documents prouvant l’existence des "vols de la mort" – une des techniques auxquelles avait l’habitude de recourir l’armée lors de la dictature pour se débarrasser des prisonniers politiques. Y figurent près de cent trente clichés qui confirment que les militaires de l’Ecole supérieure de mécanique de l’armée (ESMA) – qui fut le plus important des centres de détention utilisés lors de la "guerre sale" –, jetaient les opposants dans la mer du haut d’avions. Les corps étaient ensuite laissés à la dérive. Certains, charriés par le courant, venaient s’échouer au large des côtes de l’Uruguay.

La majorité des victimes a été retrouvée pieds et poings liés. Certaines ont été torturées avant d’être jetées à l’eau, comme le révèlent les marques laissées sur leurs cadavres par des décharges électriques réalisées à l’aide de pinces métalliques.

Tous ces documents proviennent des forces armées uruguayennes. Ils reposaient jusqu’à présent dans les archives de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui a décidé de les déclassifier. C’est la première fois que des éléments de cette teneur sont rendus publics. Le juge Sergio Torres est chargé d’instruire le dossier sur les crimes commis dans le sillage de l’ex-ESMA.

Il est dorénavant question d’identifier la personne qui a pris les photographies. Selon la presse argentine, il s’agirait d’un Uruguayen qui a fui son pays dans les années 1980. L’objectif est de recueillir son témoignage pour contextualiser les faits : dates de prise des clichés, coordonnées géographiques précises, etc.

Le secrétaire général de la CIDH, Santiago Canton, considère que ces documents "viennent clore un cycle, commencé avec le recueil des plaintes concernant de graves violations des droits de l’homme et qui permet aujourd’hui de poursuivre les responsables".

Les organisations des droits de l’homme estiment que 30 000 personnes sont mortes lors de la répression politique liée à la dictature. Depuis l’accession au pouvoir de Nestor Kirchner (2003-2007), l’annulation des lois d’amnistie votées sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999) et la réouverture des procès, les autorités souhaitent que les militaires responsables d’exactions soient rapidement condamnés.

Argentine : « les vols de la mort » ont bien existé

Les vols de la mort (espagnol : vuelos de la muerte) sont une pratique de la guerre sale en Argentine, lors de la dictature militaire en Argentine (1976-1983). À l’aide des vols de la mort, des milliers de desaparecidos furent jetés dans l’Océan Atlantique vivants et drogués, depuis des avions militaires. La même tactique fut utilisée au Chili de Pinochet, en particulier dans le cadre de l’opération Calle Conferencia de 1976 (des hélicoptères Puma étaient utilisés).

Pour la première fois depuis la fin de la dictature en Argentine, des documents viennent de prouver de manière irréfutable, l’existence des vols de la mort. Au cours de ces vols, les opposants au régime étaient jetés dans la mer du haut d’avions ou d’hélicoptères. Des révélations qui vont peser sur les procès en cours en Argentine.

Parmi les 130 documents qui apparaissent au grand jour, figure un document dactylographié, daté du 22 avril 1976. Ce rapport décrit avec précision le corps féminin d’environ 1m60, âgé de 20 à 25 ans, de peau blanche dont l’identification n’a pas été possible mais qui porte toutes les marques de très violentes tortures. C’est un corps qui a été retrouvé dans la lagune de Rocha sur les côtes uruguayennes, et il ne fait aucun doute qu’il provient des eaux argentines.

Parmi les 130 documents, il y a également une carte des différents courants maritimes avec les points où des corps ont été retrouvés. Tous ces documents proviennent des forces armées uruguayennes. Ils étaient jusqu’à présent dans les archives de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. C’est donc elle qui a décidé de les déclassifier.

C’est un tournant crucial à la fois pour la justice et l’histoire car ces 130 documents dont de nombreuses photos établissent avec certitude la réalité de ces vols de la mort. La seule preuve matérielle jusqu’à présent datait de 2005 avec l’identification du corps de trois des Mères de la place de mai, trois corps rejetés par la mer des années après leur disparition.

Roberto Ferrario

E) Quand l’Argentine sombra dans la dictature des généraux

par Sophie Thonon-Wesfreid, avocate et présidente de France Amérique latine

Le 24 mars 1976, une junte militaire, sous la direction du général Rafael Videla et de l’amiral Emilio Massera, réunissant les trois armes, dépose la présidente de la République, Isabel Peron. Prend ainsi brutalement fin une période de luttes et de victoires sociales.

Que rapporte l’ambassadeur des États-Unis à Buenos Aires, Robert Hill, trois jours après le coup d’État du 24 mars 1976, au secrétariat d’État à Washington  ? « Voilà, sans doute, le coup d’État le mieux exécuté et le plus civilisé de toute l’histoire de l’Argentine. (…) Le général Videla s’est engagé à rapidement résoudre les problèmes compromettant plusieurs de nos intérêts ainsi qu’à favoriser les investissements étrangers. » La dictature qui vient de s’instaurer sera la plus sanglante de l’histoire argentine, mettant fin à une période d’intense mobilisation populaire. En effet, les années précédentes furent marquées par des luttes d’une ampleur nouvelle des travailleurs et de la jeunesse argentine, et d’importantes victoires sociales remportées, à un moment où le très fort impact de la révolution cubaine a donné un souffle nouveau aux forces politiques de gauche.

Ainsi en 1969, éclate, dans la deuxième ville du pays, Cordoba, le Cordobazo, large mouvement de protestation sociale qui regroupe ouvriers et étudiants. Les années suivantes furent également marquées par une forte politisation de la jeunesse et trois grandes formations de jeunesse du pays, péroniste, radicale et communiste sont unies au sein d’une large coordination.

En mai 1973, le péronisme gagne les élections à la présidence avec Campora, et durant une très brève période instaure une politique de gauche. Avec le retour du général Peron et son décès en 1974, l’ascension d’Isabel Peron ouvre une bataille politique au sein de laquelle l’extrême droite et les paramilitaires, incrustés dans l’appareil d’État, s’unissent dans l’Alliance anticommuniste argentine (Triple A) et assassinent dirigeants sociaux et politiques, députés, recteurs d’université, avocats…

Sous le prétexte de l’activité de forces révolutionnaires, principalement l’ERP (branche armée du Parti révolutionnaire des travailleurs trotskistes) et Montoneros (organisation politico-militaire péroniste), un plan de répression, appelé Plan Independencia, est mis en place, en 1975 dans le nord du pays, puis étendu à toute l’Argentine et donne carte blanche à la police et aux forces armées, pour « annihiler les agissements terroristes ».

Le 24 mars 1976, une junte militaire, sous la direction principale du général Rafael Videla et de l’amiral Emilio Massera, réunissant l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air, dépose la présidente de la République, Isabel Peron. Des commandos sont mis en place qui suivent le même schéma d’intervention  : enlèvement par des hommes en uniforme ou en civil, transport dans un véhicule militaire ou banalisé dans un lieu clandestin de détention (plus de 400 seront ultérieurement recensés), application systématique de la torture puis disparition de la victime. La plupart d’entre elles sont jetées vivantes par l’aviation militaire dans les eaux du Rio de la Plata. Deux religieuses françaises furent victimes de ces « vols de la mort ».

Les personnes ainsi disparues sont au nombre de 30 000. Mais ce que cherchent à infliger les forces militaires est, en réalité, l’anéantissement des mouvements sociaux pour imposer libéralisme économique et déréglementation. Les très fortes alliances qui s’établissent avec les puissances économiques caractérisent cette dictature civico-militaire.

À partir de 1980, des manifestations populaires commencent à être organisées et inquiètent les militaires. Ceux-ci, sous la direction du général Leopoldo Galtieri qui a remplacé le général Videla, se lancent, en avril 1982, dans la reconquête des îles Malouines, occupées illégalement par l’Angleterre depuis plus d’un siècle. La défaite de l’armée argentine marqua la fin de la dictature. En 1983, des élections sont organisées qui portent au pouvoir, Raul Alfonsin, chef du Parti radical. Le premier geste significatif de son gouvernement sera de poursuivre devant la justice les chefs des forces armées. C’est ainsi qu’en 1985, Rafael Videla, Emilio Massera, Leopoldo Galtieri et plusieurs autres généraux sont condamnés, pour enlèvements, séquestrations, actes de barbarie et homicides. Procès exceptionnel dans l’histoire de l’humanité. Cependant, sous la pression des casernes, le gouvernement radical décrète deux lois d’amnistie, en 1986 et 1987, afin de faire cesser les instructions pénales en cours. Une seule exception était stipulée  : l’enlèvement à leur naissance des enfants arrachés à leur mère emprisonnée et donnés en adoption à des familles proches du pouvoir militaire. Dès les premiers mois de la dictature, les grands-mères de ces nouveau-nés, appelées Grands-Mères de la place de Mai, s’attachèrent à rechercher leurs petits-enfants, estimés à environs 500, tout comme les Mères de la place de Mai réclamaient leurs enfants disparus. 119 ont aujourd’hui été retrouvés et identifiés grâce aux progrès scientifiques sur l’ADN.

Après vingt années d’impunité, les lois d’amnistie furent, en 2003, annulées sous l’impulsion de la gauche argentine et du président péroniste Nestor Kirchner et la justice put reprendre son œuvre. Aujourd’hui, plus de 2 071 personnes ont été poursuivies et 370 d’entre elles ont été condamnées.

L’ambassadeur états-unien se félicite car le général Videla « s’est engagé à rapidement résoudre les problèmes compromettant plusieurs de nos intérêts   ».

Le retour de la droite revancharde. Durant la dernière décennie, sous le gouvernement de Nestor et Cristina Kirchner, une politique de plus grande insertion sociale ainsi que de solidarité latino-américaine a été mise en place. Mais la droite conservatrice qui, pendant ces mêmes années, a dû ronger son frein, est désormais revenue aux affaires avec l’élection gagnée de justesse en décembre 2015 par Mauricio Macri, avec l’appui de médias hégémoniques mais aussi du fait des limites de la politique par trop personnelle des Kirchner. Sous les dehors d’une illusoire alternance, le gouvernement de Mauricio Macri se livre en fait à une politique effrénée de revanche  : en trois mois, plusieurs milliers de fonctionnaires ont été licenciés sur le seul fondement de la discrimination politique.


SITOGRAPHIE :

http://www.rfi.fr/ameriques/2011121...

http://bellaciao.org/fr/spip.php?ar...


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