Agro-business, nouvel eldorado du capitalisme ?

dimanche 31 août 2008.
 

Dans les années 70 l’agriculture des pays développés a évolué de façon significative en profitant de certaines avancées technologiques. Alors que l’arrosage n’était encore que l’apanage de quelques agriculteurs avant-gardistes, l’arrivée de l’enrouleur (appelé Typhon, invention d’un artisan marmandais : Di Palma) favorisa par sa facilité d’utilisation la promotion rapide d’une irrigation intensive améliorant de façon significative les rendements ; le pulvérisateur vit sa taille augmenter avec surtout l’apparition des gros appareils trainés, particulièrement ceux aux débits proportionnels à l’avancement, ceci permettant une précision plus grande dans les pulvérisations mais surtout un gain de temps qui permit la multiplication des interventions ; puis l’on vit aussi la puissance et la taille des tracteurs augmenter singulièrement, sans oublier l’apparition des quatre roues motrices. De plus, la chimie agricole fit un bon en avant proposant des engrais plus élaborés, des pesticides et insecticides dévastateurs ; qui en améliorant les rendements avec des produits non naturels vont diriger les paysans vers un moindre respect de l’environnement, et rendre les agriculteurs dépendant des multinationales de l’agrochimie.

Pour favoriser cette embellie technique les moyens financiers se mirent à l’unisson, prêt à intérêts minimes, facilités de paiement, subventions sur les exportations ou autres afin de soutenir les revenus des agriculteurs. Sans oublier que, pendant une certaine période, on donnera des primes à l’hectare pour compenser le manque à gagner des terrains cultivés non récoltés pour cause de surproduction.

Par conséquence, avec cet apport rapide de technologies nouvelles, l’agriculture tradition-nelle, voire traditionnaliste, s’en trouva rapidement modifiée. Un pas vers une agriculture plus industrielle était franchi, laissant pour compte ceux qui ne prirent pas en marche le train du modernisme. Au demeurant, ce sera au bénéfice des modernistes achetant alors les terres, les exploitations de ceux qui ne voulurent pas évoluer, voués à une disparition certaine à plus ou moins longs termes. Le nombre des agriculteurs se réduira donc peu à peu. La petite exploitation disparaitra au cours des ans avec une diminution du personnel agricole ; corolaire des avancées technologiques. Ceci sera pérennisé aussi par les pratiques d’une nouvelle génération d’agriculteurs formés par les lycées agricoles dont beaucoup, la tête enflée par des concepts théoriques, avaient jeté aux orties et fait fi d’un savoir-faire emmagasiné au cours des siècles lors d’une constante observation de la nature. On pressentait déjà l’oubli du sens profond de l’expression : « la terre nourricière », transformée en simple support au service du productivisme du futur agro-business.

Donc dans un premier temps, avec l’augmentation significative des rendements et le nombre moindre d’agriculteurs du fait de méthodes culturales différentes, le prix des matières premières va stagner et parfois baisser. Ceci sera du en grande partie à une peur de surproduction qui fera d’ailleurs subventionner les exportations, en particulier vers les pays défavorisés où l’on verra le prix des denrées exportées bien plus bas que celui des produits locaux (l’Afrique sera la plus atteinte par ces méthodes qui sont les relents d’un colonialisme sous-jacent).

L’Afrique la plus touchée par cette désorganisation de son économie au profit des pays favorisés, sans prise de conscience ou sans réelle volonté politique de ses gouvernants, connaîtra alors l’exode important de ses populations rurales qui, ne pouvant plus vivre de leurs productions, allèrent et vont encore chercher du travail dans les grands centres urbains. Ce déplacement n’était et n’est en réalité qu’un espoir bien aléatoire car le travail ce faisant rare aussi dans les villes, le dernier recours sera donc celui de prendre le flux migratoire vers l’Europe ; dont on connaît les conséquences pour ces populations qui allant en augmentant vont se voir de plus en plus rejetées par UE ; le même phénomène touche aussi les USA avec les pays du sud, dont le plus proche est le Mexique. On peut d’ailleurs constater que rien n’a été fait de la part des pays développés pour enrayer les flux migratoires, se contentant de contenir et repousser les émigrants tandis qu’ils ont continué à écouler leurs stocks de denrées sans se soucier de restructurer et favoriser les agricultures locales des pays qui auraient pu eux aussi, dans ce cas là, se diriger sur la voie du développement.

Cette façon de faire des capitalistes, qui pour écouler leurs productions et réaliser des bénéfices font fi du bien-être des peuples, aurait sans doute perduré encore pendant quelques années sans trop agiter les consciences si dans un lap de temps assez court de nouvelles donnes n’étaient venues accentuer ce déséquilibre économique, et par conséquence créatrices de catastrophes humanitaires.

D’abord, le pétrole après une augmentation assez régulière verra ses cours commencer à flamber en début d’année 2008, puis à partir de cette même période, mais cette fois dans un temps record, se sera l’envolée vertigineuse de ceux des matières premières agricoles, engendrant une augmentation importante du prix des denrées alimentaires.

Diverses raisons sont les causes de ses deux événements concomitants et conjoncturels, voire associés.

Pour les matières premières agricoles l’un des premiers arguments serait que des conditions météorologiques exceptionnelles (sécheresse importante en Australie, par exemple) n’auraient pas permis de maintenir et réapprovisionner les stocks. Sans écarter complètement cette raison qui n’a certes pas favorisé la production agricole, on peut faire remarquer que ces phénomènes climatiques ne sont pas nouveaux, même s’ils sont indéniablement accentués par l’hyper productivité humaine, ils ne sont donc pas l’une des causes majeures des augmentations des cours.

Vient aussitôt une autre théorie, celle des économistes très inféodés au système capitaliste qui voient ou qui ne veulent voir que l’augmentation importante de la consommation des pays émergeant comme syndrome de la crise humanitaire en devenir. Effectivement, si l’on prend l’exemple le plus significatif qui est celui de la Chine où une croissance importante a fait augmenter le pouvoir d’achat et par conséquence changer les habitudes alimentaires ; ce qui est le cas de la demande en viande qui a exploser, demandant une production plus importante d’animaux de boucherie et en même temps plus de céréales pour les nourrir. Donc l’agriculture mondiale doit produire plus, mais cet état de fait ne date pas d’aujourd’hui car cela fait une bonne décennie que la mutation chinoise est effective et exponentielle, et il serait surprenant pour cette raison que dans un temps très court, moins de six mois, elle soit la cause essentielle de l’augmentation inconsidérée du coût des matières premières ! A fortiori, si les demandes des besoins alimentaires des pays émergeant semblent supérieures à la production actuelle c’est que celle-ci est entamée par le détournement en constante augmentation des cultures vivrières au profit de productions énergétiques et autres, marchés juteux en perspectives pour les multinationales…

Dans un monde où le productivisme à outrance et une croissance tout azimut sont des leitmotivs il est indéniable que l’on va vers l’épuisement des matières premières fossiles ; qui par la force des choses ne sont pas renouvelables dans un espace de temps réduit. C’est particulièrement le cas du pétrole dont la surexploitation laisse vagabonder les spéculations médiatiques. On entend alors crier sur tout les toits que si les pays émergeants consomment autant que les pays développés, d’ici une vingtaine d’années il n’y aura plus de pétrole. Ce qui n’est pas tout à fait exacte ! A l’évidence, si les réserves ne sont pas inépuisables, il n’en reste pas moins qu’elles ne sont pas toutes exploitées. En effet, de grands champs pétrolifères aux potentiels importants vont prochainement être forés. L’Arabie Saoudite envisage dans un avenir très proche d’augmenter sa production de 11%, le Brésil avec le gisement de Tupi va entrer dans le cartel des grandes puissances productrices, les compagnies pétrolières attendent impatiemment que la situation politique de l’Irak soit décantée pour se ruer sur les nappes inexploitées que renferment son sous-sol, même aux Etats-Unis de nouvelles réserves situées aux confins du Dakota et du Montana allant jusqu’au Canada ne sont pas à négliger, que dire du potentiel de l’Alaska sinon qu’il semblerait qu’il soit mis en attente de crainte de surproduction ce qui ferait chuter les cours. Mais pourquoi alors maintenir le prix du pétrole à un tarif élevé ?

La première raison du brut cher est d’ordre technique puisque la plupart des nouveaux champs pétrolifères nécessitent des coûts d’exploitation plus onéreux, souvent pour cause de forages à grande profondeur comme pour Tupi. Mais ce n’est pas l’unique cause, la seconde étant la conséquence de la baisse du pouvoir d’achat des plus gros consommateurs que sont les étasuniens, récession économique que l’on doit à la lamentable affaire des « sub-primes » (que l’on appelle aussi : « mortgage », ce qui dit bien ce que cela veut dire). Récession ayant pour effet immédiat une consommation de carburant très nettement en baisse, le pétrole risquant d’être excédentaire et régit par le système de l’offre et de la demande, il était logique qu’il augmentât dans le cas où l’offre risque d’être supérieure à la demande. A propos des subprimes, elles ont d’ailleurs conduit aussi les financiers à spéculer sur le pétrole à la hausse pour récupérer des dividendes afin éponger les déficits découlant de l’échec de ce système boursier hasardeux- on peut même constater sans exagérer, qu’il est courant que les spéculateurs se sortent sans trop de dommages des « foutoirs » dans lesquels ils se sont fourvoyés car en général ils se débrouillent pour que se soit le lampiste qui paye les pots cassés !

En l’occurrence il ne s’agit là que des tribulations du brut car pour finir en carburant servit à la pompe, le pétrole doit nécessairement passer entre les mains des raffineurs. Si l’on fait une fixation volontairement orchestrée par les médias sur le prix du baril, il faut néanmoins considérer que malgré une augmentation importante de celui-ci il représente un pourcentage peu important du prix total du produit fini, donc une incidence moindre que les autres éléments intervenants, en particulier le raffinage. Pourtant dans des circonstances peu favorables les marges des multinationales intéressées ont augmentées leur permettant de faire des bénéfices records, d’où un prix déraisonnable pour le consommateur. Bénéfices engrangés pour des raisons techniques dues à une crainte de récession, mais aussi pour capitaliser des masses monétaires qui serviront à construire des usines de transformations des matières premières agricoles en éthanol. Ethanol qui d’ailleurs est encore pour l’instant plus onéreux à la fabrication, ce qui explique aussi le prix des carburants dans lequel un certain pourcentage de celui-ci est incorporé, de l’ordre de 7% pour l’UE. Nous y voilà, une partie de la pétrochimie va basculer vers l’agrochimie, avec des conséquences que l’on commence à ressentir.

Cependant, il ne serait pas justifié de jeter un anathème inconditionnel sur les agro-carburants. Sensibilisées par les dérèglements climatiques les populations ont enfin pris conscience de la nocivité des gaz à effet de serre, dont en une bonne partie vient du rejet de nos automobiles. Le pétrole étant le premier incriminé, il est donc justifier de se tourner vers des solutions émettant peu de CO2 parmi lesquelles figure en bonne place l’éthanol. A l’évidence, on ne peut pas nier que cette nouvelle énergie ne soit pas une bonne idée, seulement voilà il eut fallu que cela s’accompagnât de certaines mesures comme : diminuer le parc automobile par exemple, à fortiori favoriser les transports collectifs, le ferroutage, etc. et par conséquence ne fabriquer l’éthanol qu’avec les surplus agricoles. Malheureusement cela n’est pas le cas, au contraire, on assiste à une industrialisation des agro-carburants. Industrialisation en plein essor au Etats-Unis (qui pour favoriser cette industrie octroie des subventions pour l’exportation à ses fabricants d’éthanol), au Brésil entre autres, avec des conséquences immédiate sur l’environnement du fait d’utilisations massives d’engrais, insecticides, pesticides, irrigation incontrôlée, déforestation et pour finir, le cheval de bataille des grands pollueurs, les OGM. Le pire, c’est qu’ils ont l’outrecuidance d’appeler ça : biocarburant. Il s’agit donc d’un leurre commercial que l’on voit se généraliser et fleurir à travers nombres d’appellations « Bio » ou produits baptisés « verts » de façon tout à fait allégoriques. Une mode s’est créée, de nouveaux marchés s’ouvrent, la belle aubaine pour les mercantiles sans scrupules qui sont souvent encouragés par des écolos bobos particulièrement naïfs et inconscient puisqu’ils ne dénoncent pas la véritables cause de cette état de fait qui est l’hyper libéralisme du capitalisme actuel.

Il s’agit bien d’une arnaque commerciale, d’une escroquerie du système capitaliste dans lesquelles plonge sans discernement un bon nombre de soi-disant écolos totalement déconnectés des réalités politiques. D’ailleurs il suffit de constater qu’ils participent à la mascarade d’un grenelle de l’environnement où il n’est même pas question du nucléaire. Bref ce n’est pas ce n’est pas vers ces incapables qu’il faut se tourner pour enrayer l’industrialisation à outrance de l’agriculture, dont l’hyper productivisme à pour conséquence une pollution accentuée. Industrialisation dont on n’a déjà dénoncé les dégâts, mais qu’il est n’est pas inutile de rappeler devant la catastrophe humanitaire en progression.

En transformant la terre nourricière en support de l’industrie énergétique l’on transforme l’agriculture traditionnelle. Si dans un premier temps la vieille Europe parait encore peu touchée par cette mutation, quelques prémices laissent à supposer que le vers est dans le fruit. Si l’espace agricole se transmet encore souvent de père en fils, avec l’augmentation des surfaces on voit apparaître de ci de là une nouvelle race d’exploitants agricoles qui ne sont plus que des businessmans n’ayant cure de ce qui se cultive sur leurs exploitations, comment cela se cultive, qu’elle est la finalité de leurs productions, l’important est : pourvu que cela rapporte !

Il emboite ainsi le pas aux agro-industriels étasuniens, aux multinationales qui détruisent l’Amazonie, celles qui dévastent l’Indonésie, etc. Donc en détournant la production agricole vers la fabrication d’éthanol, n’oublions pas non-plus les plastiques divers qui dans l’avenir pourraient être fabriqués avec les amidons des céréales (marché aussi important que les carburants, sinon plus), un nouvel eldorado s’ouvre aux capitalistes.

La première conséquence est une pénurie alimentaire engendrant une augmentation faramineuse du prix des matières premières agricoles. Comme l’on sait que dans certaines régions du globe, particulièrement en Afrique sub-saharienne, la part de la nourriture représente 60 à 80% du budget des familles on comprend que l’on va vers des famines importantes et destructrices, ce qui devrait réveiller les consciences. Pourtant un technocrate européen affirme dans article, simpliste et d’une naïveté déconcertante, paru dans le Figaro du 18 avril, je le cite : « le salutaire réajustement des prix agricoles aura sans doute une conséquence bénéfique, celle de ralentir l’exode rural dans les pays de la faim ». Certes, une revalorisation du prix des produis agricoles était nécessaire, à condition de rester dans les limites du raisonnables. Ce qui n’est pas le cas puisque l’économiste Mark Thirlwell, pour exemple, écrivait dans le Financial Thimes du 26 février que les cours avait augmenté de 75% depuis l’an 2000, avec un pique de 20% en 2007, ces chiffres faramineux suffisent pour comprendre que cette augmentation est plus une calamité qu’un bienfait. Aussi, prétendre que la plus value sur la valeur des produits agricoles pourrait enrayer l’exode rural dans les pays de la faim part d’un bon sentiment, malheureusement ce qui ressemble à un vœu pieux prend une toute autre forme dans la réalité. En effet, dans l’état actuelle des choses l’on assiste à un regain des flux migratoires favorisé par des gouvernements africains qui accordent d’immenses territoires aux compagnies privées afin que celles-ci les cultivent et par la suite transformer la biomasse et divers autres produits agricoles en carburant qui seront destinés aux marchés mondiaux (en particulier, les savanes de l’Afrique de l’ouest, les forêts du Congo, en Tanzanie, en Ethiopie, etc.), avec ses façons de faire on est donc loin de favoriser le retour des petits agriculteurs africains et redonner un essor à des cultures familiales et vivrières néanmoins primordiales.

L’industrie énergétique voit dans l’agro-business, de plus en plus prépondérant pour le système capitalisme, la solution d’avenir à la raréfaction du pétrole, ceci sans aucun respect de l’écologie et du bien être des peuples. D’ailleurs à propos d’écologie, il est se demander si les capitalistes ne sont pas un tant soit peu satisfait du réchauffement climatique qui leur permet avec la fonte des glaces de prospecter à tout va dans l’Arctique à la recherche de gisement de minerais et autres, à l’exemple d’Areva en quête d’uranium. Il va sans dire que ce territoire traditionnellement lieu de chasse et de pêche du peuple Inuit se voit investi par les multinationales, modifiant la faune et la flore, foulant sans arrière pensée les us et coutumes séculaires de ses habitants.

Si l’on veut sauvegarder la planète, œuvrer pour le bien des peuples c’est une lutte acharnée contre le système capitaliste qu’il faut entreprendre car c’est le véritable fléau destructeur. L’on aura beau afficher des slogans promoteur comme le soi-disant développement durable cher aux écolos à la mode Cohn-Bendit, au socialiste libéraux, aux technocrates européens englués dans une technocratie totalement déconnectée des réalités, ceci ne sera que de l’écologie d’apparat, « mesurettes » diverses sans grande efficience si l’on attaque pas le problème de fond : le principe capitaliste.

D’aucuns prétendent que le système est en train de se scléroser. En effet, les spéculations hasardeuses, le dévoyage des capitaux de leur but premier, qui était l’investissement, au profit du spéculatif laisse apercevoir les limites du principe. Mais dans combien de temps va-t-il s’effondrer ? C’est là l’incertitude si les peuples n’accélèrent pas le mouvement ! On voit donc éclore ça et là des partis anticapitalistes, c’est bien mais pas suffisant… Il faut un débat de fond, parler de nouveau d’idéologie. Ce n’est pas le cas car estompé volontairement par les capitalistes qui veulent inculquer que leur système est seul et unique le peuple s’est endormi. Et ce n’est pas quelques mesures proposées lors d’élections diverses qui vont faire évoluer les choses.

Non, il faut parler de cogestion, mais surtout de cette autogestion qui anima maints débats en 68, de relocalisation, n’ayons pas peur de remettre à l’ordre du jour les nationalisations, entre autre pour les moyens de production, proposer une mondialisation humaniste dont ATTAC a bien cerné le sujet, etc.

Il s’agit bien d’un vrai débat d’idées dont nous avons besoin, c’est urgent…

De : Mengneau Michel


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