Les nouveaux soldats du pape. Entretien avec Fiammetta Venner

samedi 13 septembre 2008.
 

Première visite de Benoît XVI en France, le livre "Les Nouveaux Soldats du pape" souligne que les courants intégristes (Légion du Christ, Opus Dei, traditionalistes, etc) pèsent lourd aujourd’hui dans l’Eglise . Entretien avec la coauteure Fiammetta Venner.

Vous soutenez que sous l’impulsion des intégristes catholiques, surtout depuis Mai 68, Vatican II est en train de se vider de sa substance progressiste. Comment en est-on arrivé là ?

Fiammetta Venner. Des courants au sein de l’Église catholique tentent depuis la fin de Vatican II de le vider de son sens.

Rappelons que cet aggiornamento permet de présenter l’Église comme une religion plus apaisée que l’islam. Or ces acquis ne sont pas éternels. Alors qu’il n’était que le cardinal Ratzinger, le pape Benoît XVI estimait déjà que Vatican II n’était qu’une parenthèse. Pour lui, ce n’était pas une évolution naturelle de l’Église mais une façon de vivre son catholicisme, comme s’il s’agissait juste d’une option.

Il a ainsi ouvert la porte de l’Église à des intégristes membres de la Légion du Christ, de l’Opus Dei et à des traditionalistes. Même si ces derniers se sont retrouvés, un temps, hors de l’Église pour avoir remis en question l’infaillibilité pontificale.

Notre enquête montre que des courants radicaux, dans leur discours, leur dogmatisme et leur autoritarisme, pèsent de plus en plus lourd dans l’Église.

Comment expliquez-vous ces importantes concessions accordées aux intégristes ?

Fiammetta Venner. Autant Jean-Paul II était un pape de l’oecuménisme, estimant qu’il fallait s’ouvrir à toutes les religions, autant Benoît XVI s’entête à affirmer que l’Église est supérieure. Il interdit même l’emploi du terme Église-soeur, sous-entendant qu’elle ne peut être à égalité avec les autres religions. Ce qui est la base de Vatican II.

Le pape s’appuie sur des réseaux qui, pour certains, étaient déjà présents sous Jean-Paul II, tels que l’Opus Dei et les Légionnaires du Christ. À ces deux courants s’ajoutent les traditionalistes. Benoît XVI distribue à chacun des missions. Il confie ainsi aux Légionnaires du Christ la lutte contre l’oecuménisme. Leur but ? Empêcher pied à pied l’avancée des évangéliques et des protestants. C’est le cas en Amérique latine et, plus récemment, dans certaines de nos banlieues.

La mission dévolue à l’Opus Dei consiste à contrer les « dérives » à l’intérieur de l’Église. Un système de dénonciation des pratiques « déviantes » est mis en place par ce courant. Pour leur part, les traditionalistes sont, depuis les années 1980 en France, devenus les hérauts du combat contre le blasphème.

Ce sont eux qui l’ont pensé, ont créé la notion de « racisme antichrétien », l’ont exporté auprès des fondamentalistes musulmans anglais qui, à leur tour, ont inventé le terme « islamophobie ».

Vous allez même jusqu’à écrire que ces trois courants intégristes incarnent la ligne officielle de l’Église, qu’ils sont sa nouvelle garde. N’est-ce pas exagéré ?

Fiammetta Venner. Non, ils sont bien les nouveaux soldats du pape. Ils portent la voix du Saint-Siège. Les Légionnaires du Christ tiennent l’agence de communication du Vatican et aussi la plupart des instituts de conférences et des facultés à Rome et en Italie.

En fait, les prêtres qui passent en Italie pour être formés le sont par les Légionnaires du Christ. Quant aux membres de l’Opus Dei, ils figurent dans les plus importantes commissions, ont récupéré l’épiscopat américain à la suite des problèmes de pédophilie. Ils sont également chargés de régler les problèmes au sein de l’Église.

La lutte contre le blasphème confiée aux traditionalistes sera dans les prochaines années le porte-drapeau de tous les intégrismes contre la laïcité. Le Vatican compte vraiment sur ces trois mouvements pour une reprise en main des catholiques, contre les plus démocrates d’entre d’eux.

Vous notez que les grands perdants sont les catholiques progressistes…

Fiammetta Venner. En France, des catholiques d’ouverture impliqués depuis les années 1960 dans des associations de solidarité contre la pauvreté ou de droits de l’homme masquent le revirement de l’Église. Ce qui n’est pas le cas en Amérique latine où, depuis une dizaine d’années, les partisans de la théologie de la libération sont mis au placard, voire à la retraite, pour leurs opinions.

Mais, ici aussi, commencent à poindre des intimidations envers des prêtres-ouvriers vivement incités à prendre leur retraite plus tôt ou à l’égard des jésuites pour qu’ils arrêtent de critiquer l’Opus Dei. Dès que Témoignage chrétien ou Golias font un dossier trop militant, il y a une reprise en main de l’évêché, avec des pratiques de mises à l’écart, de diffamations envers des catholiques démocrates.

Quelles sont les conséquences de ce revirement sur la vie sociale et politique en France ?

Fiammetta Venner. Les catholiques de gauche sont souvent les seuls à demeurer dans les quartiers populaires. Quand il n’y a plus de subventions, plus de tissu social dans ces territoires, ils sont les derniers, au sein des associations de terrain, à ne pas désespérer.

Sachant que la laïcité à la française est l’une des ennemies du Vatican, on va vite se rendre compte de la puissance médiatique et politique de l’action de ces forces obscurantistes. Une des conséquences quasiment directe de ce revirement : le gouvernement a décidé de confier aux Églises la confessionnalisation des banlieues. On ne peut prendre à la légère l’affirmation du chef de l’État sur l’importance du prêtre par rapport à l’instituteur. Le soutien financier et moral pour créer des collèges confessionnels dans les banlieues est apporté à des organisations qui ne sont pas animées par des catholiques démocrates.

On entend les aider au détriment de l’école publique. Plusieurs personnes au gouvernement ont fortement pris position en faveur de l’école privée, que ce soit Xavier Darcos ou Christine Boutin.

Autre conséquence : les tentatives de rendre l’accès à l’avortement et à la contraception plus difficile. Se dessine ainsi, à moyen terme, la construction d’un nouveau paysage politique. Nous ne serons pas dans la même société quand une grande partie des nouvelles générations aura été formée par l’Église.

Entretien réalisé par Mina Kaci

(Article paru dans l’Humanité du 11/09/2008)


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