L’eau du Liban, source de toutes les convoitises

mardi 24 juillet 2012.
 

En mai 2004, le site "Planète bleue Portail alternatif sur l’eau" avait mis en ligne un dossier sur l’eau du Liban. La situation ne fait qu’empirer depuis.

PROCHE-ORIENT - Après les guerres du pétrole, les guerres pour l’eau ? La gestion de l’or bleu provoque déjà de nombreuses rivalités au Proche-Orient, concernant la captation et le détournement des eaux du Tigre, de l’Euphrate, du Jourdain ou du Nil. Turquie, Syrie, Irak, Egypte et Soudan bataillent aujourd’hui pour s’assurer des ressources stratégiques. Le Liban, véritable château d’eau régional, n’est pas épargné par le phénomène. Retour sur une longue polémique qui l’oppose à Israël.

Pour échapper au stress de la capitale, les habitants de Beyrouth qui en ont le temps et les moyens aiment se rendre à Zahlé, petite ville nichée sur le versant est du Mont-Liban. Propice à la villégiature, Zahlé possède quelques bons restaurants dont les terrasses ombragées permettent de grignoter de délicieux mezzé, tout en regardant couler les eaux tranquilles de la rivière. En conduisant une heure plus au Sud, on traverse les riches vergers et les vignobles réputés de Ksara et de Kefraya.

PARADIS SUR TERRE

Une promenade à travers la réserve naturelle verdoyante de Haamiq contribuera à donner de cette plaine fertile et bien irriguée de la Bekaa une impression de paradis sur terre. Le calme y est assuré. Mais dès l’approche du lac artificiel de Qaraoun, retenant les eaux du Litani, la présence marquée de militaires libanais et syriens vient rappeler que l’eau est aussi source de conflits. Postes de contrôle, canons de DCA et blindés encadrent ce barrage long de 1350 mètres. L’image idyllique de la Bekaa s’estompe rapidement face aux uniformes. « Depuis les années septante, les Israéliens ont pris l’habitude de pomper les eaux du Litani », explique une responsable d’association locale. Elle évoque les années de guerre, l’invasion à répétition de cette région du Sud-Liban par l’Etat hébreu. « Opération Litani » en mars 1978, opération « Paix en Galilée » en 1982, occupation de la zone dite « de sécurité » jusqu’en mai 2000... Plusieurs observateurs soutiennent que, outre la lutte armée contre les éléments de la résistance palestinienne ou du Hezbollah, l’accès aux ressources hydrauliques représente une des raisons majeures des occupations militaires orchestrées par Israël (lire ci-dessous). Pendant des années, ingénieurs, enquêteurs et même soldats des casques bleus de l’ONU ont livré des rapports concernant des cas de pompage des eaux du Litani par les Israéliens.

SABOTAGE SYSTÉMATIQUE

D’un côté, l’Etat hébreu, qui souffre de pénuries sur ses propres terres. De l’autre, le Liban et ses montagnes, véritable château d’eau du Proche-Orient, souvent accusé par le gouvernement de Tel-Aviv de dilapider l’or bleu. C’est un fait : une bonne partie des eaux du Litani se déverse directement dans la Méditerranée. En jetant un coup d’oeil au barrage de Qaraoun, on peine d’ailleurs à saisir les dimensions réelles du litige. L’installation libanaise semble aujourd’hui encore fonctionner au ralenti, bien en deçà des capacités d’exploitation réelles du fleuve. Comme si, technologiquement parlant, le temps s’était arrêté au milieu du siècle. Précisément, la construction du barrage remonte à 1959. A l’origine, il était « destiné à la production d’électricité et à fournir de l’eau d’irrigation aux grandes étendues cultivées de la Bekaa, explique un guide. Mais ces objectifs n’ont pu être atteints pendant de nombreuses années, à cause de la guerre civile (1975-91) et de l’occupation d’Israël du Sud-Liban. Un des aspects les plus ambitieux du projet, qui pourrait être repris aujourd’hui, consistait à construire quatre autres barrages et à creuser un tunnel pour irriguer la région de Natatiyé », située plus au Sud. Mais la mise en valeur du potentiel hydraulique libanais, considéré comme le plus important de la région et représentant la seule ressource naturelle du pays, piétine lourdement. Bon nombre d’infrastructures ont en effet été détruites pendant la guerre. Certaines sous les bombardements israéliens de 1982. Les soldats de l’armée israélienne auraient aussi mené des opérations de sabotage systématique des canalisations, selon les témoignages d’un habitant. Faute d’une gestion publique efficace, le gouvernement du premier ministre Rafic Hariri compte désormais sur les investissements du secteur privé pour lancer de nouvelles constructions de barrages dans le bassin Wazzani-Hasbani. Dont un projet ambitieux portant sur dix ans, estimé à un coût global de 420 millions de dollars, rapporte le Daily Star de Beyrouth.

SHARON MOINS OBSÉDÉ

Là encore, il faudra composer avec le voisin hébreu et en appeler à des médiations internationales pour éviter de nouvelles querelles, voire des bombardements. « Dès que l’on parle du Sud-Liban, il faut rappeler qu’Israël y a des intérêts importants, souligne Thomas Litscher, ambassadeur de Suisse au Liban. Ariel Sharon a menacé le pays en octobre 2002 quand le Gouvernement libanais a inauguré une nouvelle station de pompage des eaux du Wazzani. Pour Israël, cela valait déjà le casus belli. » Le gouvernement de Sharon semble aujourd’hui moins obsédé par l’accès au fleuve Litani. La situation s’était relativement détendue dans les environs. A une vingtaine de kilomètres seulement au sud-est du lac Qaraoun, la fixation israélienne sur les eaux de la rivière Wazzani et le fleuve Hasbani, situé en bonne partie sur territoire libanais en amont du Jourdain, reste en revanche toujours de mise. C’est même dans cette région du Mont-Hermon, fief du Hezbollah, que de violents accrochages militaires ont eu lieu ces derniers jours.

Par Gilles Labarthe, de retour du Liban / Le Courrier Le jeudi 27 mai 2004.

Annexes

Les privatisations suivent leur cours

La privatisation des services publics libanais, proposée par des économistes au début des années nonante pour reconstruire un pays dont les infrastructures ont été réduites à néant par quinze ans de guerre, a commencé par s’attaquer au secteur des télécommunications et de l’électricité. Parmi les arguments de l’opération, soutenue par les institutions financières internationales, il s’agit de décharger le Liban d’entreprises d’Etat ruineuses, mal gérées et inefficaces. Electricité du Liban (EDL) était « subventionnée par le gouvernement à hauteur de 300 millions de dollars par an », rappelle un ancien ministre. « Les pannes de courant restent fréquentes, il faut doubler l’alimentation avec des générateurs. Malgré cela, les tarifs d’EDL sont parmi les plus chers du monde », se plaint un habitant. Idem pour le secteur des télécommunications, qui a souffert des mêmes problèmes, dans un pays où la notion de bien public reste encore très précaire.

DETTE ÉNORME

« A force de souligner la décrépitude des installations et des services publics libanais, ces derniers risquent d’être vendus à des multinationales pour une bouchée de pain », avertit un spécialiste. Maintenu sous pression par la Banque mondiale, il semble que le Liban n’ait plus le choix. « L’endettement du Liban est énorme, il avoisine les 200% du PNB. Le service de la dette prend jusqu’à 50% du budget de l’Etat. Cette situation est en partie due à la reconstruction du pays, qui a aussi la réputation d’être l’un des plus corrompus de la planète », rappelle Thomas Litscher, ambassadeur de Suisse au Liban. « Les politiques économiques menées au nom de la reconstruction ont fait du Liban le pays le plus endetté du monde par rapport au nombre de ses habitants et à sa superficie. Avec 32 milliards de dollars de dette, chaque Libanais doit à d’autres environ 8000 dollars, pour un revenu individuel moyen qui est de l’ordre de 4000 à 5000 dollars par an. Cette dette hypothèque gravement l’avenir du pays et la plupart des jeunes Libanais souhaitent vivement émigrer pour faire leur vie ailleurs », s’insurge l’économiste Georges Corm dans un excellent ouvrage sur l’histoire du Liban contemporain.

SERVICE PUBLIC BRADÉ

Suivant un scénario désormais classique, le service public des eaux libanaises sera sans doute bradé au plus offrant, après celui des déchets ou du traitement des eaux usées. En avril dernier, la France a ainsi parrainé un colloque international pour rapprocher les décideurs libanais des fleurons de l’industrie hexagonale. Plusieurs multinationales se sont déjà positionnées pour décrocher des marchés. Entre autres, la Lyonnaise des eaux (Suez), qui a mené une série d’études hydrauliques au Liban en 1995. Les bons offices de la Banque mondiale et du Gouvernement français viendront accélérer la cadence. D’autant que « le premier ministre Rafic Hariri est très ami avec Jacques Chirac », glisse un représentant européen. L’avenir dira si la gestion de l’eau libanaise comme marchandise contribuera à aplanir les conflits régionaux concernant l’accès à l’or bleu, ou viendra au contraire aviver les convoitises au Proche-Orient. Au profit du plus fort. Gle


UN CONFLIT QUI NE DATE PAS D’HIER

Comme le souligne l’historien et ancien ministre des Finances George Corm, l’eau représente la seule richesse naturelle du Liban. Le spécialiste du Moyen-Orient Ghassan El Ezzi rappelle que le fleuve stratégique du Litani, qui contribue en partie à la bonne tenue de l’agriculture mais aussi à la production d’électricité et à l’approvisionnement en eau potable, a été convoité de longue date. C’était avant même la création d’Israël : « Le mouvement sioniste a durement lutté, en 1919-21 auprès des Alliés, pour inclure les eaux du Sud-Liban dans le futur Etat. En 1954, Israël a présenté un projet pour le détournement de 400 millions de mètres cubes d’eau du Litani. En 1982, les troupes israéliennes achèvent rapidement l’occupation de toute la région entourant le fleuve Litani », quelques heures seulement après l’annonce de l’opération « Paix en Galilée. » Le problème de l’accès à l’eau reste crucial pour comprendre les enjeux au Proche-Orient. La Jordanie, Israël et la Palestine disposent de moins de 1000 mètres cubes d’eau par an et par habitant, ce qui est considéré comme le seuil de la pénurie. Pour Israël, contrôler les ressources en eau de la région, au risque de déclencher des tensions internationales ou des conflits - comme pour le détournement des eaux du Jourdain à partir du lac Tibériade et l’occupation du plateau syrien du Golan en 1967 - relève de la « sécurité nationale ». Quitte aussi à assoiffer les populations palestiniennes de Cisjordanie ou de la bande de Gaza, en leur limitant par exemple l’exploitation des nappes souterraines. Gle


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