Révolution française et démocratie en 1789, d’après Jean Jaurès

mardi 4 juillet 2017.
 

Dans son ouvrage intitulé "Histoire socialiste de la Révolution française", Jean Jaurès analyse finement le type de démocratie instauré par les Constituants en 1789 : entre oligarchie bourgeoise, suffrage universel et pure démocratie.

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Dans la constitution du pouvoir législatif, l’Assemblée constituante avait adopté un système intermédiaire entre l’oligarchie bourgeoise et la pure démocratie. En octobre et décembre 1789, elle avait statué sur les conditions d’électorat et d’éligibilité. C’est ici qu’intervient la fameuse distinction entre les citoyens passifs, qui ont droit à la protection de la loi commune, mais qui ne sont point admis à créer la loi, et les citoyens actifs, seuls admis à choisir les législateurs. Quiconque ne possédait pas ou possédait au-dessous d’un certain niveau était réputé incapable de contribuer à la confection de la loi, soit que sa misère fût un préjugé d’ignorance, soit qu’on estimât que trop aisément il serait dépendant ou corrompu, soit que l’on redoutât la mainmise des sans-propriété sur le gouvernement du pays. Il y avait trois sortes de citoyens actifs : 1° Pour être électeur du premier degré, c’est-à-dire pour avoir le droit de voter dans les assemblées primaires, il fallait avoir vingt-cinq ans d’âge, un an de domicile, n’être pas serviteur à gages, et payer une contribution de la valeur de trois journées de travail. 2° Pour être éligible à l’assemblée électorale, c’est-à-dire à celle qui est nommée par l’assemblée primaire et qui doit choisir les députés, il faut payer une contribution égale à la valeur locale d’au moins dix journées de travail. 3° Enfin, pour être éligible à l’Assemblée nationale, il faut payer « une contribution directe équivalente à la valeur d’un marc d’argent (environ 50 livres) et en outre avoir une propriété foncière quelconque. »

Je le répète : c’est un système aussi éloigné de l’étroit système censitaire de Louis-Philippe, lequel ne créait guère que 200.000 électeurs, que du suffrage universel. Quand il sera procédé à l’élection de la Législative d’après la loi de la Constituante, 4.298.360 citoyens auront le droit de participer aux assemblées primaires. C’est, semble-t-il, un peu plus de la moitié des citoyens âgés de vingt-cinq ans. J’ai comparé, pour plusieurs départements et districts, notamment pour des districts de l’Hérault, les chiffres d’électeurs fournis par la loi de la Constituante et les chiffres d’électeurs que, pour une population égale, aurait donné le suffrage universel : et j’ai constaté que plus du tiers des citoyens était exclu du vote.

On peut dire que devant la Constituante la question du suffrage universel ne fut pas sérieusement posée un instant. D’abord la question de l’électorat et la question de l’éligibilité ne furent pas discutées à part, et il est visible que c’est seulement la question de l’éligibilité qui parut préoccuper un moment le législateur. Il semble même que le problème du suffrage universel n’ait, pour ainsi dire, pas été soupçonné : et le mécanisme qui excluait du vote près de la moitié de la France, paraissait aux Constituants assurer la manifestation exacte et entière de la pensée nationale. Le vaste peuple des pauvres était si loin, si bas même pour les bourgeois révolutionnaires, que l’opération qui le retranchait de la cité passait presque inaperçue.

J’ai déjà cité les paroles de Lally-Tollendal. Mounier, le 4 septembre 1789, au nom du comité de Constitution, s’exprime ainsi : « Le comité en indiquant les qualités qui doivent donner aux citoyens la faculté d’être électeurs et éligibles pour la Chambre des représentants, s’est vu obligé de prononcer entre deux inconvénients qui choquent en apparence la liberté individuelle. Il est évident qu’on ne peut pas admettre tous les citoyens indistinctement au nombre des électeurs et des éligibles : ce serait s’exposer à confier le sort de l’État à des mains inexpérimentées qui en consommeraient rapidement la ruine. Il fallait donc ou restreindre le nombre des électeurs, et ne mettre aucune borne à leur choix, ou laisser à tous les citoyens le droit d’élire et leur tracer des règles pour diriger leur nomination. Le premier parti eût été beaucoup plus contraire aux principes. Tous les citoyens ont le droit d’influer sur le gouvernement, au moins par leur suffrage ; ils doivent en être rapprochés par la représentation. Si vous exigez pour les électeurs des qualités qui en limitent le nombre, vous rendez tous ceux qui en seront exclus étrangers à leur patrie, indifférents sur sa liberté. Ces réflexions ont déterminé le comité à proposer d’admettre parmi les électeurs tous ceux qui paieront une imposition directe de trois journées de travail. Considérant que les électeurs ne choisissent pas pour leur intérêt seul, mais pour celui de tout l’empire, il a cru qu’il serait convenable de ne déclarer éligibles que ceux qui posséderaient une propriété foncière. C’est un hommage rendu à la propriété qui complète la qualité de citoyen. C’est un moyen de plus de faire aimer les campagnes ; c’est un motif de croire que le représentant est au-dessus du besoin. C’est mettre une bien faible entrave à la liberté du choix, car tout homme jugé digne, par ses lumières et ses vertus, de la confiance d’un district, pourra facilement se procurer une propriété quelconque, la valeur n’en étant pas déterminée. »

Ainsi, Mounier prend des garanties en exigeant que l’éligible ait une propriété foncière : et il déclare que moyennant cette précaution on peut admettre à l’électorat, au vote, tous les citoyens. Il parait croire que tous les citoyens dans ce projet sont électeurs ; il déclare même qu’il serait contraire aux principes et dangereux d’exclure des citoyens du droit de vote, c’est-à-dire de la patrie elle-même. Mounier parle comme si le projet dont il est le rapporteur instituait le suffrage universel : et on se demande avec quelque surprise, comment il pouvait caractériser ainsi une législation électorale qui écartait du scrutin près de la moitié des citoyens de France. Or, non seulement aucune protestation, aucun murmure ne l’a interrompu. Mais des nombreux orateurs, qui parlèrent après lui et sur son rapport, aucun ne fît la moindre allusion à la question de l’électorat et de l’éligibilité. Tous parlèrent du veto, de la sanction : aucun ne s’éleva contre la partie du projet qui fermait les portes de la cité à plus de trois millions de Français pauvres.

Sieyès, dans la séance du 7 septembre, parle avec une force pénétrante. Il signale combien l’industrialisme moderne est absorbant et accablant, comme il laisse aux citoyens peu de loisir pour s’instruire et il conclut qu’on ne peut pourtant à ces hommes accablés refuser le droit de suffrage : « Les peuples européens modernes, dit-il ressemblent bien peu aux peuples anciens. Il ne s’agit parmi nous que de commerce, d’agriculture, de fabriques, etc. Le désir des richesses semble ne faire de tous les États de l’Europe qu’un vaste atelier ; on y songe bien plus à la production et à la consommation qu’au bonheur. Aussi les systèmes politiques aujourd’hui sont exclusivement fondés sur le travail ; les facultés productives de l’homme sont tout ; à peine sait-on mettre à profit les facultés morales qui pourraient cependant devenir la source la plus féconde des véritables jouissances. Nous sommes donc forcés de ne voir dans la plupart des hommes que des machines de travail. Cependant vous ne pouvez pas refuser la qualité de citoyen et les droits du civisme, à cette multitude sans instruction qu’un travail forcé absorbe en entier. Puisqu’ils doivent obéir à la loi tout comme vous, ils doivent aussi, tout comme vous, concourir à la faire. Ce concours doit être égal. »

Voilà à coup sûr un langage qui aurait paru étrangement audacieux et subversif à la bourgeoisie industrielle de Louis-Philippe : il atteste quel admirable sens de la réalité et du mouvement économique des États modernes avait l’homme que l’on traite si volontiers en « métaphysicien ».

Il semble malaisé au premier abord de concilier ces paroles avec le langage péremptoire que tenait Sieyès dans l’exposé des principes communiqué par lui à l’assemblée quelques semaines avant, le 22 juillet. Il justifie expressément la distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs, et je me demande même si ce n’est pas lui qui a introduit ces termes dans le vocabulaire politique de la Révolution. « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif ; tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc. ; mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent point influer activement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public, sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l’association. »

Paroles imprudentes, car si les citoyens qui contribuent par l’impôt à soutenir l’établissement public, sont les seuls actionnaires de l’entreprise sociale, qui ne voit qu’il conviendrait de leur donner une part d’influence proportionnée à la valeur de leur action, c’est-à-dire à leur fortune manifestée par l’impôt ?

Sieyès n’accepte évidemment pas cette conclusion, puisqu’il déclare que le concours de tous les citoyens à la formation des pouvoirs publics doit être égal, et il n’est pas impossible d’accorder, dans l’ensemble, son langage du 21 juillet et son langage du 7 septembre. Sieyès n’entend pas écarter en bloc, comme classe, les salariés, les dépendants, les ouvriers innombrables des manufactures, les manouvriers. Il se rend compte de leur dépendance, et déjà dans sa brochure célèbre : Qu’est-ce que le Tiers État ? il indique que seuls des changements dans la propriété assureront la liberté du vote de tous les travailleurs, fermiers et ouvriers, qui sont à la merci des grands possédants.

Il constate aussi la déplorable ignorance à laquelle le régime industriel, tous les jours plus développé, condamne le prolétaire moderne ; mais quoi ? refuser le droit de vote à toutes ces forces productives, à toutes « ces machines de travail », ce serait refuser le droit de vote à la société moderne elle-même, qui n’est qu’un ensemble de forces productives et une énorme machine de travail.

Et, en fait, le projet qui exige un impôt de trois journées de travail, laisse passer et amène au vote un grand nombre d’artisans et d’ouvriers des manufactures. Le reste, ne contribuant en rien ou presque en rien à l’établissement public, semble disparaître pour Sieyès : et il s’imagine, sans un trop grand effort, qu’il admet dans la Cité tous les hommes ; mais il est bien clair que le grand logicien ne peut entretenir en lui cette illusion qu’à la condition de ne pas serrer de trop près sa propre pensée.

Et nul dans l’Assemblée, nul dans le pays, ne se lève pour l’obliger à une entière sincérité envers lui-même. Nul ne lui demande : « De quel droit excluez-vous du scrutin des milliers d’hommes qui, s’ils ne contribuent point par l’impôt ou par un certain chiffre d’impôt, à l’établissement public, y contribuent cependant en tant que forces productives ? De quel droit fixez-vous à la valeur de trois journées de travail la limite au-dessous de laquelle la contribution du citoyen et le citoyen lui-même, sont considérés comme néant ? » Il fallait vraiment qu’aucune revendication énergique ne s’élevât du pauvre peuple, pour que Sieyès pût faire tenir en équilibre son discours du 21 juillet et son discours du 7 septembre. Mais les combinaisons sophistiques de pensée par lesquelles il éludait le problème, doivent fatalement se dissoudre le jour où réellement le problème se posera.

Nous sentons, dès maintenant, je ne sais quoi d’instable et de faux dans le système politique par lequel la Constituante, tout en écartant un grand nombre de prolétaires, prétend respecter les droits de l’homme, de tous les hommes. Il y a là je ne sais quel artifice intellectuel qui ne résistera pas à la poussée des événements et des forces populaires. Mais en 1789, même après le 14 juillet, même après les journées d’octobre, la pensée des prolétaires est trop incertaine et leur souffle trop débile, pour dissiper l’étrange sophisme des Constituants.

De même, le 29 septembre 1789, quand Thouret, au nom du nouveau comité de Constitution, fait son rapport sur les bases de la représentation, et quand il apporte à la tribune la formule législative qui crée des citoyens actifs et des citoyens passifs, aucune protestation immédiate, aucun essai de réfutation : même l’extrême gauche reste muette. Je ne trouve pas un mot de Pétion, pas un mot de Robespierre lui-même. Evidemment ils s’interrogeaient.

Le 20 octobre quand l’ordre du jour appelle décidément la discussion sur les règles de la représentation dans les Assemblées municipales provinciales et nationale, le débat est étriqué et misérable. Seul, un membre de la droite, M. de Montlosier, intervient pour protester contre la distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs.

Y avait-il là un dessein politique du côté droit ? Michelet parait croire que la droite de l’Assemblée voulait appeler au vote la multitude misérable et dépendante sur laquelle nobles et prêtres avaient encore tant de prise, et qui aurait été la clientèle électorale de la réaction. Peut-être en effet cette pensée traversa-t-elle l’esprit de quelques-uns. Mais l’intervention du seul Montlosier qui fut toujours, dans sa propre parti, un original, un isolé, ne suffit pas à révéler un plan et moins encore à le réaliser.

Nous sommes au 20 octobre, et depuis les journées des 5 et 6 octobre, la droite de l’Assemblée est très désemparée : elle multiplie les demandes de passeports et elle songeait beaucoup plus à sa sécurité personnelle qu’à conquérir insidieusement les prolétaires. Pour un dessein aussi hardi, si elle l’avait formé, elle aurait délégué ou Maury ou Cazalès, ou quelque autre orateur de marque et non Montlosier, personnage un peu fantasque et sans grand crédit.

La grande question de l’aliénation des biens ecclésiastiques était posée avec éclat depuis le 10 octobre par le discours de Talleyrand, le révolutionnaire évêque d’Autun, et sans doute elle absorbait à ce moment toutes les pensées, toute la combativité du côté droit et de l’Église. Il est vrai qu’un appel aux pauvres, aux prolétaires, aurait pu paraître à l’Église une habile diversion, mais la manœuvre n’était point sans péril. Car si une partie des pauvres, dans les campagnes surtout, pouvait devenir une clientèle politique pour le château et pour la cure, les prolétaires des villes, nombreux déjà et très ardents, auraient accéléré encore la marche de la Révolution, et, malgré ses craintes, le clergé n’en était pas encore, en octobre, à jouer une partie aussi dangereuse et à essayer de moyens aussi désespérés.

D’ailleurs, l’article qui portait à la noblesse et même en général aux classes riches, le plus de dommage, était celui qui refusait le droit de vote à la domesticité. Or, dans l’état des mœurs et des esprits en 1789, la noblesse elle-même n’aurait pu combattre cet article sans trahir trop brutalement sa pensée de mener au scrutin le peuple servile des antichambres. Enfin, Montlosier lui-même ne demanda pas vraiment le suffrage universel. Il dit en résumé :

« Tout citoyen est actif dans l’État, quand il s’agit de s’occuper des droits de tous les citoyens. Le Comité a été embarrassé du grand nombre de votants aux assemblées primaires. Il serait aisé de se débarrasser de cette extrême population en ne considérant comme citoyens que les chefs de famille. La question de l’âge nécessaire pour être admis aux assemblées primaires deviendrait alors inutile, tout homme marié serait reconnu chef de famille, et il serait citoyen, puisqu’il donnerait des hommes à l’État. Ainsi, les célibataires seraient exclus des assemblées primaires… »

Cette combinaison baroque, qui excluait du vote tous les célibataires, ne peut vraiment pas passer pour une première affirmation du suffrage universel. Legrand, le député du Berry, qui avait décidé si opportunément les États Généraux à s’appeler Assemblée nationale, ne fait à propos de cette grande question des citoyens actifs et passifs, qu’une observation bien courte et bien équivoque aussi :

« Le paiement d’une imposition ne doit être exigé dans les assemblées primaires que comme preuve de cité ; la pauvreté est un titre, et quelle que soit l’imposition, elle doit être suffisante pour exercer les droits du citoyen. »

A la bonne heure, et le mot : La pauvreté est un titre, est humain et assez fort. Mais à quoi tend cette remarque ? S’il ne s’agit que de constat et que le citoyen appartient en effet à la cité, la condition de domicile pendant un an est bien suffisante. Et c’est à quoi, le 20 octobre, se réduit la discussion.

Brusquement, Robespierre intervient, non pas pour soulager sa conscience, non pas pour réclamer, au nom du Contrat social, contre un système qui lie des citoyens à une cité dont ils ne sont pas ; mais pour demander au contraire que le débat soit interrompu et que l’on songe à des questions plus urgentes, au mandement subversif de l’évêque de Tréguier, aux troubles de Rennes.

Le 22 octobre seulement, l’extrême-gauche de l’Assemblée intervient et oppose au projet quelques objections sommaires. Ce n’est point, il s’en faut, une grande bataille, et on dirait que c’est sans grande foi, c’est en tout cas sans vigueur aucune que les orateurs interviennent.

L’abbé Grégoire dit « qu’il redoute l’aristocratie des riches ; il fait valoir les droits des pauvres et pense que pour être électeur ou éligible dans une assemblée primaire, il suffit d’être bon citoyen, d’avoir un jugement sain et un cœur français ». La protestation de Duport a plus de fermeté et d’accent ; il songe enfin à invoquer les droits de l’homme :

« Voici une des plus importantes questions que vous ayez à décider, il faut savoir à qui vous attribuerez, à qui vous refuserez la qualité de citoyen. Cet article compte pour quelque chose la fortune, qui n’est rien dans l’ordre de la Nature. Il est contraire à la Déclaration des Droits. Vous exigez une imposition personnelle, mais cette sorte d’imposition existerait-elle toujours ? Une législature, ou une combinaison économique, pourront donc changer les conditions que vous aurez exigées. »

Duport avait déposé une motion qui organisait autrement la représentation, et dans les motifs qui accompagnent cette motion, il proteste aussi contre l’exclusion des pauvres. Mais on voit là qu’il ne va pas lui-même jusqu’au suffrage universel direct, jusqu’à la désignation directe du législateur par la totalité des citoyens. Il n’admet le suffrage universel qu’avec deux degrés d’élection, le peuple tout entier élisant, en chaque canton, une assemblée primaire qui choisit les législateurs. Je relève cependant de fortes paroles dans son exposé :

« Dans tous nos calculs politiques, revenons souvent, Messieurs, à l’humanité et à la morale. Elles sont aussi bien la base de toutes les combinaisons utiles à la Société, que le fondement de toutes les affections bien ordonnées. Rappelons-nous ici le grand principe trop tôt oublié que c’est pour le peuple, c’est-à-dire pour la classe la plus nombreuse de la société, que tout gouvernement est établi ; le bonheur du peuple en est le but, il faut donc qu’il influe, autant qu’il est possible, sur les moyens de l’opérer. Il serait à désirer qu’en France, le peuple pût choisir lui-même ses représentants, c’est-à-dire les hommes qui n’ont d’autres devoirs que de stipuler ses intérêts, d’autre mérite que de les défendre avec énergie.

« On calomnie le peuple, en lui refusant les qualités nécessaires pour choisir les hommes publics. Les talents et les vertus qui embellissent l’humanité, ne peuvent au contraire, se développer sans affecter le peuple : il est comme le terme auquel aboutissent la justice, la générosité, l’humanité…

« Il est un point où les âmes sensibles et énergiques se retrouvent, je veux dire la noble et sublime entreprise de restituer au peuple ses droits et d’améliorer le sort des campagnes. Les peuples y seront plus heureux, si les hommes riches qui y vivent avec eux y sont plus humains, plus justes, plus généreux, s’ils sont forcés de leur plaire et d’en être considérés. Ils seront forcés de leur plaire et d’en être considérés, si leur existence politique, les places qui permettent de figurer dans la société, sont données par le peuple et sont le prix des soins que l’on aura pris de s’en faire aimer.

« Que notre Constitution, Messieurs, ait une base populaire, que ses principaux éléments soient calculés sur l’intérêt constant du peuple ; assez tôt, comme toutes les autres, elle tendra à favoriser les riches et les hommes puissants. Le peuple, dans nos sociétés modernes, n’a pas le temps de connaître ses droits ; il s’en remet à des riches du soin de les défendre, et il continue à travailler pour les faire vivre. Si nous n’avions fait que changer d’aristocratie, si je voyais s’évanouir ces espérances auxquelles j’ai sacrifié mon repos, mon état, ma fortune, plus encore peut-être… »

Oui, ce sont là de fortes paroles ; c’est une vigoureuse affirmation démocratique où il entre je ne sais quel pressentiment attristé du règne prochain de l’oligarchie bourgeoise. C’est un écho de la parole de Jean-Jacques : « Que toutes les lois tournent au bénéfice des riches », et c’est comme un premier effort pour corriger par l’entière démocratie politique la tendance des forces économiques et sociales à l’inégalité.

A l’heure même où la bourgeoisie révolutionnaire, très fière de sa puissance, de sa richesse, de son activité, exclut de la cité des millions de pauvres, l’idéalisme du xviiie siècle fournit au prolétariat misérable le point d’attache par où il pourra se hausser. Mais comme tout cela est faible encore ! La parole de Duport se perd dans le vide, elle ne parvient même pas à passionner le débat. Robespierre lui-même, à en juger par le procès-verbal assez sommaire de son discours, fut médiocre et froid :

« Tous les citoyens, quels qu’ils soient, déclare-t-il, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Rien n’est plus conforme à cette Déclaration des Droits, devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaître. La Constitution établit que la souveraineté réside dans le peuple, dans tous les individus du peuple. Chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé, et à l’administration de la chose publique, qui est la sienne. Sinon, il n’est pas vrai que tous les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen.

« Si celui qui ne paie qu’une imposition d’une journée de travail a moins de droits que celui qui paie la valeur de trois journées de travail, celui qui paie celle de dix journées a plus de droits que celui dont l’imposition équivaut seulement à la valeur de trois ; dès lors, celui qui a 100,000 livres de rente a cent fois autant de droits que celui qui n’a que 1,000 livres de revenu. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi, et dès lors celui d’être électeur ou éligible, sans distinction de fortune. »

Le raisonnement est irréfutable, mais bien abstrait, et comme s’il n’avait lutté que pour la forme, Robespierre néglige d’analyser et de réfuter les raisons politiques qui déterminaient l’immense majorité de l’Assemblée à distinguer des citoyens actifs et des citoyens passifs. Après lui, le député Defermon (il convient de citer tous les défenseurs de la première heure du suffrage universel) dit quelques paroles dans le même sens :

« La Société ne doit pas être soumise aux propriétaires, ou bien on donnerait naissance à l’aristocratie des riches, qui sont moins nombreux que les pauvres. Comment d’ailleurs ceux-ci pourraient-ils se soumettre à des lois auxquelles ils n’auraient pas concouru ?… »

Et c’est tout. Que va répondre le rapporteur du Comité, Demeunier ? A peine quelques paroles, comme il convient en une question jugée d’avance :

« En n’exigeant aucune contribution, dit-il, en admettant les mendiants aux assemblées primaires, car ils ne paient pas de tribut à l’État, pourrait-on d’ailleurs penser qu’ils fussent à l’abri de la corruption ? L’exclusion des pauvres, dont on a tant parlé, n’est qu’accidentelle ; elle deviendra un objet d’émulation pour les artisans, et ce sera encore le moindre avantage que l’administration puisse en retirer. »

Là-dessus, l’article fut voté. A coup sûr il serait injuste et sot de comparer ce langage de Demeunier au fameux mot de Guizot : Enrichissez-vous. Le cens était très élevé sous Louis-Philippe. Au contraire, limité à la valeur de trois journées de travail, il était très bas. Mais les raisons données par Demeunier ne sont guère solides. Les mendiants ? Il eût été facile, si on eût craint leur extrême dépendance, d’exclure du vote, par une disposition spéciale, quiconque vivait habituellement de secours. Les artisans ? En déclarant que cette condition de cens les stimulerait, Demeunier avoue que beaucoup d’entre eux sont au-dessous du niveau légal. De quel droit les exclure et dans quel intérêt ?

Mais, encore une fois, ce qui me frappe le plus, c’est la médiocre importance attachée par la Constituante à la question, et l’exiguïté, l’infimité du débat. Nul ne songe même à demander quel sera le nombre des citoyens passifs ainsi exclus du droit de suffrage. On dirait que même pour les plus démocrates, cette sorte de nation inférieure qui végète sous la classe bourgeoise et sous la classe des artisans aisés, n’est pas une réalité vivante…

Un curieux détail rend bien sensible cette sorte d’indifférence. Dans la même séance du 22 octobre, au début, une députation des hommes de couleur, propriétaires dans les colonies françaises, avait demandé, au nom des Droits de l’homme et du citoyen, l’égalité des droits politiques avec les blancs.

En leur nom, le délégué Joly avait dit avec véhémence : « Ils réclament les droits de l’homme et du citoyen : ces droits imprescriptibles fondés sur la nature et le contrat social, ces droits que vous avez si solennellement reconnus et si authentiquement consacrés lorsque vous avez établi pour base de la Constitution : « Que tous les hommes naissent et « demeurent libres et égaux en droits ; que la loi est l’expression de la vo- « lonté générale, que tous les citoyens ont le droit de concourir, personnel- « lement ou par leurs représentants, à sa formation. »

Et le Président Freteau leur répondait :

« Aucune partie de la Nation ne réclamera vainement ses droits auprès de l’Assemblée : ceux que l’intervalle des mers ou les préjugés relatifs à la différence d’origine, semblent placer plus loin de ses regards, en seront rapprochés par les sentiments d’humanité qui caractérisent toutes ses délibérations et qui animent tous ses efforts. »

Une demi-heure après, l’Assemblée, à la presque unanimité, retirait aux pauvres prolétaires blancs le droit de suffrage. L’abîme qui, à cette heure, séparait encore la Révolution bourgeoise du prolétariat misérable était plus vaste que l’abîme des mers.

Il y avait plus loin de l’Assemblée aux plus pauvres ouvriers de France qu’aux propriétaires de couleur des colonies.

Le 29 octobre, quand vient la question de l’illégibilité, même médiocrité de la discussion, même parti pris de l’Assemblée presque toute entière, à ne point aller jusqu’où la logique de la démocratie voulait qu’elle allât ; même indifférence du peuple qui hier, grondait et se soulevait à propos du veto, qui demain grondera encore à propos du droit de paix et de guerre, mais qui cette fois n’assiège point l’Assemblée ; il ne s’émeut même pas quand on fait de lui une cohue passive, quand on lui retire l’électoral, quand on lui ferme l’accès de la représentation nationale.

Pourtant, cette fois, l’article proposé était vraiment brutal : le Comité de Constitution exigeait une contribution égale à la valeur d’un marc d’argent pour être éligible en qualité de représentant aux Assemblées nationales. Un marc d’argent, c’est-à-dire cinquante livres, un chiffre d’impôt qui excluait des Assemblées non seulement les prolétaires, mais la plupart des petits propriétaires et une portion notable de la bourgeoisie elle-même. Petion de Villeneuve combattit le premier cet article, mais avec quelles hésitations ! avec quelles concessions !

« J’ai été longtemps dans le doute, dit-il, sur la question de savoir si un représentant doit payer une contribution directe. D’un côté je me disais que tout citoyen doit partager les droits de cité ; de l’autre, lorsque le peuple est antique et corrompu j’ai cru remarquer quelque nécessité dans l’exception proposé par votre Comité de contribution.

« Cependant, elle me paraît aller trop loin : elle ne devrait se borner qu’à la qualité d’électeur… Dès que vous avez épuré vos assemblées primaires, dès que vous avez déterminé ceux qui peuvent être électeurs, dès que vous les avez jugés capables de faire un bon choix, je vous demande si vous devez mettre des entraves à ce choix, si vous devez, en quelque sorte, leur retirer la confiance que vous leur avez accordée. »

Ainsi, Petion, qui était de la gauche extrême, accepte pour l’électorat la condition du cens : il considère comme une épuration l’exclusion des plus pauvres qui ne sont point admis aux assemblées primaires, et c’est seulement parce que l’Assemblée a procédé au triage des électeurs qu’il regarde comme superflues les conditions d’éligibilité : le cens d’électorat rend inutile le cens d’éligibilité. Et cette opposition, qui n’est même point de principe, fut la seule.

Le débat, très court d’ailleurs, ne porta plus que sur la forme qu’aurait le cens. Le côté droit, ceux qu’on pourrait appeler les agrariens, voulaient faire de la propriété foncière la base du droit politique. Le rapporteur Demeunier s’y opposa :

« L’amendement, dit-il, qui exige une propriété territoriale, n’est conforme ni à l’esprit de vos précédents décrets ni à la justice. Les Anglais suivent à la vérité cet usage, mais eux-mêmes s’en plaignent. Le Comité pense avoir fait tout ce qu’il fallait faire en demandant une contribution d’un marc d’argent. Cette imposition indique assez d’aisance pour que la malignité ne suppose pas que les législateurs sont plus ou moins susceptibles de corruption. »

Mais la droite avait un grand intérêt à insister sur la propriété territoriale : elle aurait écarté ainsi tous ces bourgeois peu fortunés des villes, tous ces légistes, tous ces hommes d’affaires, tous ces commerçants qui pouvaient bien payer 50 livres d’impôt à raison de leur revenu, mais qui n’avaient point de capitaux disponibles pour acquérir des immeubles ruraux de quelque valeur.

La bourgeoisie révolutionnaire des villes aurait été, pour une bonne part, éliminée et l’influence conservatrice des propriétaires terriens, des nobles, des bourgeois propriétaires de rentes foncières aurait été accrue d’autant : Casalès intervient et pose le débat très nettement entre les propriétaires fonciers et ceux qu’on appelait déjà, dans les livres, les journaux et à la tribune, « les capitalistes ».

« En dernière analyse, s’écria-t-il, tous les impôts portant sur les propriétaires des terres, serait-il juste d’appeler ceux qui ne possèdent rien à fixer ce que doivent payer ceux qui possèdent ?

« Le négociant est citoyen du monde entier et peut transporter sa propriété partout où il trouve la paix et le bonheur. Le propriétaire est attaché à la glèbe ; il ne peut vivre que là, il doit donc posséder tous les moyens de soutenir, de défendre et de rendre heureuse cette existence. Je demande, d’après ces réflexions, que l’on exige une propriété foncière de 1200 livres de revenu. »

Déjà la propriété foncière accusait de cosmopolitisme la propriété mobilière. Nous retrouverons tout au long du siècle cette querelle. Barère de Vieuzac répondit à Casalès, et en même temps au Comité. Déjà, selon la souple méthode qui fera sa fortune politique, il propose une solution intermédiaire :

« Rien ne serait plus impolitique, dit-il, que le décret par lequel on vous propose d’exiger une propriété de 1200 livres de revenu pour être éligible : ce serait accréditer ces calomnies absurdes qu’on sème de toute part contre vous, en disant que vous cherchez à établir une aristocratie nouvelle sur les débris de toutes les autres. « Vous êtes placés entre des extrêmes. N’admettez-vous que des propriétaires ? Vous blessez les droits des autres citoyens également intéressés à la formation des lois. Admettez-vous les hommes sans propriété ? Vous livrez l’État et les impôts à des hommes moins attachés à leur patrie. Enfin, si vous exigez une forte contribution, comme celle du marc d’argent, vous éloignez de l’Assemblée nationale les deux tiers des habitants du royaume. Que deviendront les artistes, les gens de lettres, les personnes utiles vouées à l’instruction, et cette classe si précieuse, si nécessaire des agriculteurs qu’il ne faut jamais perdre de vue dans la Constitution d’une nation agricole ? n’est-ce pas leur substituer évidemment l’aristocratie des riches ? »

Ainsi, ce n’est pas au nom des prolétaires, ce n’est pas au nom des ouvriers que Barère proteste contre un cens trop élevé d’éligibilité : ceux-là sont déjà exclus de l’électorat.

Barère proteste au nom des modestes propriétaires cultivateurs et au nom de ceux que nous appellerions aujourd’hui les intellectuels. Quand on s’élève contre « l’aristocratie des riches », c’est encore dans l’intérêt de la bourgeoisie, et il faut bien se garder, comme on le fait trop souvent, comme l’a fait parfois, malgré sa réserve, M. Lichtenberger de voir dans ces expressions de la Révolution le moindre trait socialiste. L’exemple du discours de Barère est décisif à cet égard.

Il conclut en demandant que pour être éligible, il suffise de payer une imposition égale à la valeur locale de trente journées de travail. Cela mettait encore très haut le seuil d’éligibilité.

Mais l’Assemblée ne voulut pas rester en deçà de son Comité : elle alla même plus loin ; non seulement elle adopta le marc d’argent, c’est-à-dire le chiffre élevé de 50 livres d’impôt, mais elle vota un amendement qui exigeait, en outre, que l’éligible eût « une propriété foncière quelconque ». Mirabeau et Prieur avaient demandé en vain que toute condition de cens fut écartée et que la confiance inspirée aux électeurs fut le seul titre nécessaire. Mais ni l’un ni l’autre n’avait soutenu fortement la proposition, et cette intervention insignifiante de Mirabeau souligne à la fois sa présence et son silence.

Ainsi furent déterminées par la Constituante les bases de la représentation.

Malgré l’indifférence à peu près générale du pays à la question du suffrage universel et aux conditions d’électorat et d’éligibilité, l’article du marc d’argent provoqua un émoi assez vif, parce qu’il lésait la bourgeoisie elle-même en plusieurs de ses éléments.

Lostalot, dans Les Révolutions de Paris, Camille Desmoulins, dans Les Révolutions de France et de Brabant, protestèrent avec véhémence. Desmoulins écrit, en son numéro 3 :

« Il n’y a qu’une voix dans la Capitale, bientôt il n’y en aura qu’une dans les provinces contre le décret du marc d’argent. Il vient de constituer la France en gouvernement aristocratique, et c’est la plus grande victoire que les mauvais citoyens aient remportée à l’Assemblée nationale. Pour faire sentir toute l’absurdité de ce décret, il suffit de dire que Jean-Jacques Rousseau, Corneille. Mably n’auraient pas été éligibles….

« Pour vous, ô prêtres méprisables ! ô bonzes fourbes et stupides, ne voyez-vous donc pas que votre Dieu n’aurait pas été éligible. Jésus-Christ, dont vous faites un Dieu dans les chaires, dans la tribune, vous venez de le reléguer parmi la canaille ! et vous voulez que je vous respecte, vous, prêtres d’un Dieu prolétaire et qui n’était pas même un citoyen actif ! Respectez donc la pauvreté qu’il a ennoblie.

« Mais que voulez-vous dire avec le mot de citoyen actif tant répété ? Les citoyens actifs, ce sont ceux qui ont pris la Bastille, ce sont ceux qui défrichent les champs tandis que les fainéants du clergé et de la cour, malgré l’immensité de leurs domaines, ne sont que des plantes végétatives, pareils à cet arbre de votre évangile qui ne porte point de fruits et qu’il faut jeter au feu.

« On connaît mon profond respect pour les saints décrets de l’Assemblée nationale. Je ne parle si librement de celui-ci que parce que je ne le regarde pas comme un décret ; je l’ai déjà observé dans La Lanterne et on ne se saurait trop le répéter.

« Il y a dans l’Assemblée nationale six cents membres qui n’ont pas plus droit d’y voter que moi. Sans doute, il faut que le clergé et la noblesse aient le même nombre de représentants que le reste des citoyens, un par vingt mille. Le dénombrement du clergé et de la noblesse s’élève à trois cents mille individus.

« C’est donc quinze représentants à choisir parmi les six cents. Il me paraît plus clair que le jour que le reste est sans qualité pour opiner et qu’il faut les renvoyer dans la galerie. Ils ne peuvent avoir tout au plus que voix consultatives.

« C’est parmi ces six cents que se trouvent presque tous ceux qui ont fait passer le décret du marc d’argent… »

Et il ajoutait, avec cette violence littéraire un peu étourdie qu’il eût été désolé de voir prendre au mot :

« Si, au sortir de la séance, les dix millions de Français non éligibles ou leurs représentants à Paris, les gens du faubourg Saint-Antoine, s’étaient jetés sur les sieurs Renaud de Saintes, Maury, Malouet et compagnie, s’ils leur avaient dit : Vous venez de nous retrancher de la société, parce que vous étiez les plus forts dans la salle, nous vous retranchons à notre tour du nombre des vivants, parce que nous sommes les plus forts dans la rue ; vous nous avez tués civilement, nous vous tuons physiquement, je le demande à Maury, qui ne raisonne pas mal quand il veut : le peuple eût-il fait une injustice ? Et si Maury ne me répond pas que la représaille était juste, il se ment à lui-même.

« Quand il n’y a plus d’équité, quand le petit nombre opprime le grand, je ne connais plus qu’une loi sur la terre, celle du talion. »

Voilà de bien véhémentes paroles : mais cette violence sonne creux et même un peu faux. D’abord il est manifestement inexact que le vote sur le marc d’argent et, en général, sur le cens d’éligibilité, ait été dû à l’action exclusive ou même dominante du côté droit.

Il y eut bien quelque confusion dans le vote du 27 octobre ; la confusion tenait à la forme de l’amendement adopté, qui confondait dans une même rédaction le marc d’argent et la propriété territoriale. Aussitôt après le vote bien des protestations s’élevèrent. Mirabeau s’écria :

« Que par la manière de poser la question on venait de voter une mauvaise loi. »

Lameth déclara :

« C’est en réclamant contre l’aristocratie que vous avez préparé la régénération, et votre décret consacre l’aristocratie de l’argent. Vous n’avez pas pu mettre la richesse au-dessus de la justice : on ne peut capituler avec le principe, quand de ce principe doivent naître des hommes. »

Garât protesta aussi :

« Tous avez dans le tumulte rendu un décret qui établit l’aristocratie des riches. »

Mais j’observe qu’au fond les protestations portent surtout contre la forme absolue du décret et, en particulier, contre l’exclusion des fils de famille qui, vivant avec le père et ne payant point de contribution personnelle, étaient écartés du scrutin. C’est donc dans l’intérêt des familles de bourgeoisie moyenne et des cultivateurs propriétaires que s’élevaient surtout les réclamations.

Je n’entends point, dans ce tumulte, la voix du prolétariat rejeté de la cité. A l’accent timide du discours de Pétion et de Barère il est bien clair que la gauche elle-même n’était point décidée à accorder à tous, sans condition de cens, l’éligibilité. Elle avait bien su, malgré le côté droit, rejeter à une majorité considérable la dualité de Chambre et le veto absolu. Elle aurait pu de même si elle l’avait voulu, écarter, malgré le côté droit, malgré Maury et même Malouet, le cens d’électorat et d’éligibilité. Et qu’on n’allègue point que le 27 octobre il y eut surprise : Lameth demanda qu’une délibération nouvelle eût lieu et fût remise à quelques jours. Garât rappela que dans la présente session il y avait vingt exemples de décrets rendus dans le bruit et « épurés ensuite dans le calme ». D’ailleurs, l’Assemblée décida que « toutes choses restant en l’état étaient remises au lundi suivant, 2 novembre. » Et en effet, la question revint le mardi, 3 novembre. Mais ce jour-là personne ne rouvrit un ample débat : personne ne protesta au nom de l’immense multitude laborieuse qui était reléguée dans une sorte de passivité politique. Le procès-verbal, tel que le reproduisent les archives parlementaires est d’une sécheresse extrême, comme pour une question de minime intérêt, et l’on voit par l’analyse sommaire que les Révolutions de Paris donnent de la séance du 5 novembre, que c’est seulement le cas des « fils de famille » qui fut examiné à nouveau. L’Assemblée, d’ailleurs, finit par déclarer qu’elle regardait comme « régulièrement et définitivement rendus tous les décrets déjà portés » sur l’éligibilité. Il n’y eut donc pas surprise, et c’est bien délibérément que, malgré quelque tapage, la gauche de l’Assemblée consentit à la restriction du droit de vote et de l’éligibilité. Peut-être n’était-elle point fâchée (autant qu’il est possible d’entrer dans le secret des consciences) d’attribuer à une habile manœuvre ou à une influence excessive du côté droit une combinaison qui dérogeait à la rigueur des principes et aux droits de l’homme, solennellement proclamés, mais qui répondait à certains instincts de prudence bourgeoise.

Aussi bien l’indignation tapageuse de Camille Desmoulins est-elle à la fois bien étroite et bien tardive. C’est quand l’esprit censitaire et oligarchique se marqua pour la première fois, c’est quand le droit de vote fut refusé à des millions de prolétaires que le pamphlétaire aurait dû s’émouvoir. Après tout il était bien plus grave d’éloigner du scrutin des millions de pauvres, que de déterminer les conditions d’éligibilité.

Qu’importait aux pauvres, ne votant pas, qu’on ne pût élire des pauvres ? Au contraire s’ils avaient voté, ils auraient bien trouvé le moyen d’exprimer leur pensée et de soutenir leurs intérêts, même, par un représentant payant un marc d’argent. Le cens d’éligibilité n’atteignait qu’une partie de la bourgeoisie révolutionnaire, il gênait à peine quelques milliers d’individus, « artistes, écrivains », intellectuels sans fortune. Le cens d’électoral rejetait hors de la cité des millions de producteurs : et la colère de Camille Desmoulins est, en un sens, aussi bourgeoise et aussi oligarchique que le vote de l’Assemblée.

Mais qu’eût-il pu répondre si, empruntant sa rhétorique violente, les millions de pauvres exclus du vote, avaient dit à ceux qui les excluaient : « Vous nous avez tués civilement : nous vous tuons physiquement » ? Oui, qu’aurait-il pu dire ? Et il était de ceux que le peuple, à ce compte, aurait eu le droit de frapper. Car, lui aussi, dès le début de la Révolution, il avait demandé leur exclusion politique. Il a écrit, au moment où les États-généraux se heurtaient à la question du vote par tête ou du vote par ordre, une brochure dialoguée où la Noblesse demande aux communes : « Mais si vous admettez purement et simplement la loi de la majorité, la loi du nombre, quelle garantie aurez-vous que la majorité déléguée peut-être par des hommes sans propriété, ne supprime point le propriété ? »

Et les communes répondent : d’abord que la propriété est de droit naturel et éminent, supérieur à toute décision des majorités : et ensuite, qu’il ne s’agit nullement d’admettre ceux qui ne possèdent point à former la majorité. Tout au plus, le républicain à la Servius Tullius, qu’était alors Camille Desmoulins, admettait-il que les pauvres fussent admis à voter dans la dernière centurie, dans celle où les prolétaires accumulés n’avaient, sous la loi romaine, qu’un droit de suffrage dérisoire, absolument disproportionné à leur nombre.

Etrange légèreté vraiment et étrange égoïsme de souffler des phrases de meurtre (corrigées, il est vrai, aussitôt après par quelques mots de prudence) à propos d’une mesure qui blessait seulement quelques journalistes, et de se taire quand toute la partie pauvre de la nation est comme excommuniée !

Le sage et démocrate Lostalot commet (avec beaucoup plus de réserve) la même inconséquence. Lui aussi proteste avec force contre le marc d’argent : « Leurs espérances (des bons citoyens) ne se sont-elles pas évanouies, lorsqu’ils ont vu qu’il faudrait posséder une propriété quelconque et payer une contribution d’un marc d’argent pour pouvoir être député à l’Assemblée nationale ? Voilà donc l’aristocratie des riches consacrée par un décret national… D’un seul mot on prive les deux tiers de la nation de la faculté de représenter la nation, en sorte que ces deux tiers sont invités à se préférer à la patrie, à faillir et à se jouer de l’opinion publique. Les fonctions civiles dans les Assemblées primaires et secondaires ne peuvent être des échelons pour parvenir à être représentant de la nation, et ces fonctions, quoique honorables en elles-mêmes, se trouvent dépouillées de leur plus grand charme pour tous ceux qui ne payent pas une contribution d’un marc d’argent.

« Il n’existe point dès la naissance de la Constitution un lien assez fort pour réunir toutes les volontés privées à un même but. Il ne se formera donc point d’esprit public et le patriotisme expirera dans son berceau. On rira peut-être de ma prédiction, mais avant dix ans cet article nous ramènera sous le joug du despotisme, ou il causera une révolution qui aura pour objet les lois agraires… Quoi ! l’auteur du contrat social, quoique domicilié depuis vingt ans n’aurait pas été éligible ?

« Quoi ! nos plus dignes députés actuels ne seront pas éligibles ?

« Quoi ! cette précieuse portion de citoyens qui ne doit qu’à la médiocrité ses talents, son amour pour l’étude, pour les recherches profondes ne sera pas éligible ? »

Et après un long développement sur ce thème, il conclut : « Quoique cette loi ait à peu près tous les inconvénients, sans avoir absolument rien d’utile qui les compense, il sera difficile qu’elle soit revue dans les législatures suivantes composées de députés au marc d’argent, elles ne consentiront point à ruiner leur propre aristocratie, c’est beaucoup si le marc ne grossit pas de session en session et s’il n’établit pas une oligarchie complète à la place de l’aristocratie féodale. »

Très bien, mais, comme on voit, ces protestations n’étaient ni démocratiques, ni populaires : en somme, pour employer le mot en usage sous Louis-Philippe, Lostalot et Desmoulins se bornent à demander l’adjonction « des capacités » : c’est la bourgeoisie « intellectuelle » qui veut sa place à côté de la bourgeoisie possédante. Chez Lostalot, pas plus que chez Camille Desmoulins je ne trouve, contre la limitation du droit de vote, aucune protestation. Il semble bien pourtant, par une curieuse phrase de Lostalot, qui n’a jamais, je crois, été relevée, que celui-ci éprouvait quelque scrupule. Mais à quelle combinaison étrange et, si je puis dire, inconsciemment hypocrite, il aboutit ! Dans le même numéro, quelques pages après le morceau connu sur le marc d’argent, il examine comment peuvent être formées dans les communes les assemblées électorales. Il demande très démocratiquement que ces assemblées nomment directement les représentants sans constituer une assemblée intermédiaire d’électeurs.

Mais voici la difficulté : les pauvres doivent-ils être admis à ces assemblées générales de la commune ? Voici la réponse : « Nul citoyen ne doit être privé de la faculté de voter par le droit, et il importe que par le fait, tous les prolétaires, tous les citoyens susceptibles d’être facilement corrompus, en soient privés. C’est du moins ce qui avait lieu à Rome dans les comices par centuries, et c’est aussi ce que l’on peut facilement obtenir par un choix habile des lieux où les citoyens doivent se rendre pour tenir les assemblées qui doivent députer directement. »

Ainsi Lostalot désire, pour ménager les principes, que tous les citoyens, même les plus pauvres, soient théoriquement électeurs : mais on s’arrangera en choisissant des lieux de réunion où ils ne pourront se rendre, pour que pratiquement ils ne votent pas.

Rien ne prouve mieux que cette sorte de rouerie candide et publiquement étalée le désarroi d’esprit de la bourgeoisie révolutionnaire démocrate. Elle était prise entre la rigueur abstraite des principes et une appréhension vague qu’elle ne pouvait maîtriser. Rien ne prouve mieux aussi l’état subalterne où était encore le prolétariat.

Le journal de Lostalot était très répandu. En certaines journées émouvantes, il se vendait jusqu’à deux cent mille exemplaires : et Lostalot ne craint pas de mettre sous les yeux des prolétaires le moyen de ruse qu’il propose pour les éliminer en fait, tout en les accueillant en droit. Ou bien les prolétaires ne lisaient point, ne s’intéressaient ni aux événements, ni aux idées, et ils étaient en effet des citoyens passifs, ou bien on les jugeait incapables, s’ils lisaient, de se révolter contre de telles combinaisons : on pensait trouver en eux une sorte d’humilité sociale et une défiance de soi toute prête à la résignation.

Quel est, en cette question du droit de suffrage, le sentiment exact qui animait la bourgeoisie révolutionnaire ? Il serait, je crois, excessif et prématuré de lui prêter contre les prolétaires un sentiment de classe très net. Pas plus que le prolétariat n’avait encore une force de classe bien définie, la bourgeoisie n’avait une défiance de classe bien éveillée. Elle ne redoutait point assez les prolétaires, dépourvus à la fois d’idéal propre et d’organisation, pour les exclure systématiquement du droit de suffrage. Aussi bien, la condition des trois journées de travail ouvrait à un grand nombre d’artisans et même de simples salariés les portes de la cité. C’est plutôt, si je puis dire, le sous-prolétariat d’alors que le prolétariat même qui était écarté.

Il me semble qu’on peut expliquer cette attitude de la constituante par trois raisons principales. D’abord, il n’est pas douteux que la bourgeoisie, sans avoir précisément une terreur de classe, éprouvait quelque malaise devant les foules misérables.

Elle ne suivait point Malouet qui, dès les premiers mois de la Révolution, voulait fonder le parti conservateur bourgeois, le parti de la propriété ; mais elle n’admettait volontiers à la confection des lois et au choix des législateurs, que les hommes établis qui payaient un chiffre « respectable » de contributions.

Elle allait, dans son esprit démocratique, jusqu’à l’artisan ; elle allait plus difficilement au manouvrier, au salarié sans fortes racines sociales. C’est sur une base assez large et compacte de bourgeois, de petits bourgeois, d’artisans, d’ouvriers aisés et de petits propriétaires paysans qu’elle voulait appuyer l’ordre nouveau. Elle croyait concilier ainsi l’égalité et les garanties élémentaires de la paix sociale.

En second lieu, les bourgeois révolutionnaires avaient en effet quelque raison de redouter que les pauvres fussent une clientèle électorale toute prête pour les nobles et les moines, pour les riches gentilshommes et les riches abbés. Turgot, dans son administration si équitable, si réformatrice, si humaine du Limousin, s’était heurté plus d’une fois à la résistance des prolétaires ignorants et dépendants, ameutés par les privilégiés. Et dans le projet qu’il a publié pour la formation d’administrations municipales électives, il dit expressément que s’il exclut du vote les plus pauvres, c’est parce qu’ils sont aux mains des seigneurs et qu’ils empêcheraient tout progrès. Turgot était sincère, et je crois que sa pensée agissait sur plus d’un constituant.

En Bretagne, tandis que la bourgeoisie industrielle, les légistes, les étudiants, luttaient avec une admirable vigueur révolutionnaire, les nobles mobilisaient leurs valets, leurs manouvriers, toute une domesticité servile, tout un prolétariat misérable qui se distinguait mal de la domesticité, tous les mendiants de village qui achetaient d’une patenôtre récitée au seuil du château un morceau de pain noir, et qui allaient ensuite jouer du gourdin contre les jeunes bourgeois de Nantes ou de Rennes.

C’est par les mains « des prolétaires » que le sang révolutionnaire breton avait coulé. Volney, dans son journal La Sentinelle du Peuple, avait parlé en termes admirables de ces forces populaires, asservies et menées au combat contre la Révolution libératrice :

« Nous sommes obligés de tirer sur vous, mais pour vous délivrer, comme pour délivrer les captifs emmenés par les corsaires, on est obligé d’envoyer des boulets au navire qui les porte. »

Et nous verrons bientôt que ce sont des hommes du peuple, des métayers, des sabotiers, des ouvriers de village qui donneront le signal du grand soulèvement vendéen. La bourgeoisie avait donc raison de redouter que le prolétariat le plus pauvre, ou qu’une partie tout au moins de ce prolétariat, fût par dépendance et inconscience un instrument de contre-révolution. Et ce n’est pas seulement comme classe propriétaire, c’est aussi comme classe révolutionnaire qu’elle se défiait de cette foule obscure. Sans doute, ces deux craintes se mêlaient en son esprit : elle redoutait que le prolétariat anarchique ébranlât la propriété ; elle redoutait que le prolétariat servile compromît la Révolution. Et ce serait s’exposer à une grave erreur que de donner à la pensée bourgeoise, à l’égard des prolétaires, une précision de calcul qu’en 1789 elle n’avait point.

Enfin, la Révolution ayant été préparée par la philosophie du xviiie siècle, « par le progrès des lumières », les révolutionnaires n’avaient point la pensée d’associer directement à leur œuvre cette partie du peuple qui "était en pleine ignorance.

Voilà sans doute les raisons maîtresses qui décidèrent la Constituante à distinguer des citoyens actifs et des citoyens passifs. Et si l’on songe que quelques mois auparavant, quand les États-Généraux n’étaient pas convoqués encore, la nation était sans droit et sans voix, si l’on songe que même dans les élections aux États-Généraux les trois cent mille privilégiés du clergé et de la noblesse avaient eu autant de représentants que toute la nation et que celle-ci avait été ainsi frappée partiellement de passivité, la Constituante, au moment où elle abolissait la distinction des ordres et confondait les nobles et les prêtres dans la masse des électeurs et appelait au vote quatre millions d’hommes, pouvait se figurer qu’elle y appelait en effet toute la nation. Aussi bien, le peuple ne tenait pas assez, à ce moment, au droit de vote, pour imposer à la bourgeoisie révolutionnaire le suffrage universel.

Nous verrons bientôt combien peu, parmi les électeurs actifs, prirent part aux divers scrutins dans l’année 1790. Bien mieux, même après le 10 août, même quand le suffrage universel fut institué pour les élections à la Convention, un cinquième à peine des électeurs prit part au vote.

Il n’y avait donc pas, dès 1789 et 1790, un courant populaire qui pût emporter les hésitations des révolutionnaires bourgeois. Si, après le 10 août, le suffrage universel s’imposa, ce n’est point parce que le peuple réclamait plus énergiquement le droit de suffrage : c’est parce que sa participation révolutionnaire aux journées du 20 juin et du 10 août faisait de lui une force décisive et qu’il était tout naturel de transformer cette force réelle en force légale.

D’ailleurs, pour la guerre nationale qu’elle entreprenait, la Révolution avait besoin de soulever, de passionner tous les éléments du pays, et elle les associait directement à la souveraineté pour les associer directement à la bataille. C’était la levée en masse des électeurs préparant et annonçant la levée en masse des soldats.

C’est ainsi que sans qu’aucune évolution économique eût modifié les rapports des classes et par la seule vertu du mouvement politique et national, la Révolution passa du suffrage restreint de la Constituante au suffrage universel de la Convention.

La Législative, après le 10 août, n’eut pas du tout le sentiment qu’elle désertait le terrain de classe de la bourgeoisie révolutionnaire : elle ne faisait qu’incorporer plus étroitement les prolétaires à la Révolution bourgeoise. D’ailleurs, les citoyens passifs, de 1789 à 1792, ne se jugeaient point sacrifiés : ils n’avaient point d’animosité et de jalousie à l’égard des citoyens actifs du Tiers État : ils considéraient au contraire les plus « patriotes » de ceux-ci comme leurs représentants naturels.

Je ne puis reproduire, parce qu’elle est en couleur, une curieuse estampe du musée Carnavalet. Elle représente un noble richement vêtu entre un citoyen passif et un citoyen actif. Le citoyen actif est un paysan qui tient sa pelle, et il dit au noble : Penses-tu donc parce que je suis pauvre, que je n’ai point les mêmes droits que toi ? — Et le citoyen passif intervenant pour appuyer le citoyen actif dit avec colère : Tout cela ne finira-t-il point bientôt ? Ainsi, dans la pensée de la Révolution, le citoyen actif et le citoyen passif, s’ils étaient tous deux du Tiers État, formaient un même parti. Il y avait assez de pauvres dans les quatre millions d’électeurs pour que la pauvreté ne se sentît point brutalement exclue.

Par là on s’explique que la question du suffrage universel n’ait pas été sérieusement posée devant la Révolution jusqu’à la grande crise de la guerre.


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