1958 et la naissance de la 5ème république

dimanche 14 mai 2023.
 

- A) Bombardement de Sakiet Sidi Youssef et premiers mois de 1958
- B) Le coup d’état gaulliste des 13, 14 et 15 mai 1958
- C) Le rôle historique de la 5ème république

A) Bombardement de Sakiet Sidi Youssef et premiers mois de 1958

Je n’avais que neuf ans mais, (mis à part mai juin 1968) je n’ai jamais autant entendu les gens parler politique dans les commerces, dans les familles, dans les bars, dans la rue, autant écouté la radio et lu les journaux pour se tenir informés. Je dois dire que mon père me prenait avec lui lors des réunions de la section socialiste d’Entraygues qui comptait alors une soixantaine de participants divisés en deux grandes mouvances : celle soutenant la direction de la SFIO et celle appelée socialo-communiste qui se reconnaissait dans la gauche du parti dont André Philip. Or, le 25 janvier de cette année, la direction exclut cet André Philip plaçant la gauche dans l’obligation de se taire ou de partir. A la forte division entre communistes et socialistes due à la guerre froide, s’ajoutait une crise dans le Parti Communiste et une grosse crise dans le Parti socialiste.

La guerre d’Algérie durait depuis quatre ans avec son cortège de morts et d’atrocités. Vu que la droite, la gauche social-démocrate, les curés et les médias poussaient au nationalisme français contre les Algériens en lutte pour leur indépendance, le racisme ambiant atteignait début 1958 un seuil dangereux pour les immigrés nord-africains et pour les personnes de gauche ayant gardé un sens des droits de l’homme. Mon grand-père maternel, lecteur assidu de L’Humanité fut violemment interpelé plusieurs fois par des personnes à la sensibilité nationaliste militariste exacerbée.

Ce nationalisme communautaire raciste anti-algérien correspondait à l’état d’esprit des officiers supérieurs français qui voulaient à tout prix écraser la résistance algérienne. Cependant, le monde entier vivait une période de décolonisation d’où l’isolement diplomatique de plus en plus grand de Paris, d’où aussi une aide logistique de la Tunisie et du Maroc au FLN dont des unités se repliaient sur ces pays, y faisaient soigner leurs blessés.

L’armée française décida sans en référer au président du conseil de lancer les bombardiers lourds sur le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef. Le 8 février 1958, onze bombardiers A-26, six chasseurs-bombardiers Corsair et huit chasseurs Mistral s’envolèrent pour cette mission ; le marché comble de paysans et d’acheteurs locaux fut mitraillé par une escadrille de chasseurs volant en rase-motte ; l’école du village fut bombardée, deux camions de la Croix-rouge détruits. La mort faucha plus de 70 personnes, dont une douzaine d’élèves de l’école primaire ; 148 blessés furent dénombrés parmi la population civile. L’isolement diplomatique de la France s’accrut ; la tension monta d’un cran entre les pouvoirs civils et militaires.

Le mois de mars 1958 commence par une mobilisation des policiers contre le "laxisme" des pouvoirs publics à l’encontre des immigrés algériens, réservoir d’hommes pour les attaquer. Le 13, ils défilent massivement à Paris. Fin mars, le livre La question d’Henri Alleg dénonçant la torture en Algérie est saisi.

Début avril, la décision du gouvernement de lancer la fabrication d’un armement nucléaire français n’est pas de nature à rassurer les Français inquiets du contexte. Le 15 avril, le gouvernement Félix Gaillard est mis en minorité à l’Assemblée et doit démissionner. C’est le début d’une crise politique angoissante qui va durer quatre semaines. Aucune majorité parlementaire ne paraît possible et aucun candidat au poste de président du conseil ne se met en avant.

Le 27 avril, les élections cantonales font apparaître un recul global de la gauche, particulièrement du Parti Communiste. La combativité ouvrière est au plus bas.

B) Le coup d’état gaulliste de mai 1958

Il y a bien eu un coup d’Etat le 13 mai 1958

13 au 15 mai 1958 : Début du coup d’Etat... (démocratique ?) qui va installer la 5ème république gaulliste->6100]

Du 13 mai au 1er juin 1958, le "Coup d’Etat démocratique" du général de Gaulle a réussi. Pour le comprendre, il faut lire "Résurrection" de Christophe Nick

C) Le rôle historique de la 5ème république

La 5ème n’est pas la simple suite de la 4ème qui venait après la 3ème.

Dès le départ, le lien entre grand patronat et pouvoir politique est plus important. Ainsi, le nombre de vrais patrons parlementaires fut de 8 à 12 % sous la Troisième République, 6 % sous la Quatrième, 10 à 14 % sous la Cinquième de 1958 à 1981, 2 % seulement en juin 1981, 14 % dans l’Assemblée élue en 2002. En 2017, le pourcentage de chefs d’entreprises (plus de 10 salariés) et cadres d’entreprise atteint plus de 31%.

Je signale au lecteur que le nombre d’élus et ministres liés au grand patronat est toujours sous-estimé dans les statistiques de ce type. Si l’on prend les soutiens de Charles De Gaulle en 1958, on trouve par exemple, André Bettencourt (élu député en Seine Maritime) porté "sans profession".

Liliane Bettencourt, fille d’Eugène Schueller, épouse d’André Bettencourt

Signalons aussi Robert Buron, ancien camelot du roi putschiste du 6 février 1934, ancien dirigeant du Comité central de l’organisation professionnelle (CCOP), créé par la Confédération Générale du Patronat Français en 1936 face au Front populaire, ancien secrétaire général au Comité d’organisation des cacaos, chocolaterie et confiserie (élu en Mayenne), porté "journaliste".

Jean Poudevigne (élu dans le Gard), docteur en économie, ancien secrétaire du Syndicat des pétroles, est porté "viticulteur".

L’étude des 204 candidats du CNIP qui soutient De Gaulle en 1958, fait apparaître parmi les titulaires : 66 chefs d’entreprise et milieux d’affaires, 73 professions libérales, 41 "paysans". Souvent de grands aristocrates liés aux milieux d’affaires se déclarent "paysans" pour des raisons électorales en milieu rural (les exemples de Robert Georges Camille Marie Millin de Grandmaison ou Olivier de Sesmaisons sont connus).

La 5ème république a été fondée en 1958 autour du général Charles De Gaulle pour permettre au capitalisme français de :

- dépasser ses faiblesses économiques en liquidant les secteurs considérés comme non concurrentiels sur le marché européen et mondial (agriculture familiale, petit commerce, mines, sidérurgie...), en préparant le démantèlement de la Sécurité sociale et des privatisations du secteur nationalisé. L’évolution du pourcentage de population rurale est un bon indice de la détermination du gaullisme à faire entrer la France parmi les pays "libéraux modernes" : 44% en 1957, 38,4% en 1962, 33,8% en 1968, 27,8% en 1974.

- dépasser ses faiblesses diplomatiques. La guerre d’Algérie pour maintenir ce territoire sous domination française avait isolé notre pays dans le concert des nations. La menace d’autres explosions couvait partout dans l’Afrique francophone. Il était nécessaire d’entreprendre rapidement une décolonisation tout en préservant au mieux les intérêts économiques des entreprises nationales.

- dépasser ses faiblesses institutionnelles, particulièrement l’incapacité chronique de la droite française à se doter d’un parti conservateur pérenne pour apporter une majorité législative. Aussi, la constitution de la 5ème république privilégie le rôle du président de la république et la possibilité pour lui d’un "rassemblement" conjoncturel pour valider sa politique.

Soixante ans après la mise en place de le 5ème république, il est évident que les partis de droite comme plus récemment le parti socialiste ont mené à bien les objectifs initiaux du patronat et du gaullisme.

Jacques Serieys


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