La soumission à la dictature des marchés n’est pas acceptable, par Henri Sterdyniak (OFCE)

dimanche 10 octobre 2010.
 

Henri Sterdyniak est directeur du Département économie de la mondialisation de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il est aussi l’un des rédacteurs du Manifeste des économistes atterrés.

Manifeste d’économistes atterrés (septembre 2010)

Le Manifeste des économistes atterrés a été déjà été cosigné par plus de 500 économistes. Alors que la crise financière de 2008-2009 a montré l’impasse à laquelle conduit le développement du capitalisme financier, les classes dominantes et les gouvernements refusent d’en tirer les leçons. Pire, la crise, provoquée par l’aveuglement et la cupidité des marchés financiers, est utilisée comme prétexte pour réduire les dépenses publiques en Europe. Retrouver le chemin de la croissance n’est plus la priorité de l’Europe. Elle s’est engagée dans une autre voie  : celle de la lutte contre les déficits publics.

L’Europe s’est prise dans son piège institutionnel  : alors que les États des autres pays développés peuvent toujours être financés par leur banque centrale, les pays de la zone euro ont renoncé à cette possibilité, et dépendent totalement des marchés pour financer leurs déficits. Aussi la spéculation peut-elle facilement se déclencher contre les pays les plus fragiles de la zone, d’autant plus que les agences de notation jouent à accentuer la défiance et que la solidarité européenne est problématique.

Pour « rassurer les marchés », des plans drastiques de réduction des dépenses publiques et sociales sont mis en œuvre à travers l’Europe. La croissance et l’emploi en pâtiront nécessairement.

Cette politique aura de graves conséquences sociales dans de nombreux pays européens, tout particulièrement sur la jeunesse et les plus fragiles. Elle menace la construction européenne elle-même, qui était bien plus qu’un projet économique. L’économie devait être au service de la construction d’une Europe unie, développant un modèle original de société. Au lieu de cela, la dictature des marchés s’impose aujourd’hui en Europe.

La soumission à cette dictature n’est pas acceptable. Un véritable débat démocratique sur les choix de politiques économiques en Europe doit être ouvert. La plupart des économistes qui interviennent dans le débat public le font pour justifier la soumission des politiques aux exigences des marchés financiers.

Certes, les pouvoirs publics ont dû partout improviser des plans de relance keynésiens et même parfois nationaliser des banques. Mais les classes dominantes et leurs idéologues veulent refermer au plus vite cette parenthèse. La théorie néolibérale est toujours la seule reconnue légitime, malgré ses échecs patents.

Fondée sur l’hypothèse d’efficience des marchés, et en particulier des marchés financiers, et sur le dogme de la rentabilité financière comme le seul critère de l’efficacité économique et sociale, elle prône la réduction des dépenses publiques, la privatisation des services publics, la flexibilisation du marché du travail, l’accentuation de la concurrence et de la libéralisation du commerce international et des marchés de capitaux.

Le Manifeste proclame que les fondements théoriques de ces politiques sont fallacieux, que ces politiques entraîneront l’Europe dans la stagnation. D’autres choix sont possibles, qui commencent par desserrer l’étau imposé par les marchés financiers. Les arguments avancés depuis trente ans pour orienter les choix de la politique économique européenne sont aujourd’hui invalidés par les faits.

Le Manifeste démonte dix postulats qui continuent à inspirer les décisions des pouvoirs publics partout en Europe, malgré les cinglants démentis apportés par la crise financière et ses suites

Le Manifeste soumet à la discussion des économistes et des citoyens des mesures pour sortir l’Europe de l’impasse. Il propose, par exemple, d’interdire aux banques de spéculer sur les marchés financiers afin de les recentrer sur la distribution du crédit  ; d’affranchir les États de la tutelle des marchés financiers, en garantissant le rachat de titres publics par la BCE  ; de réduire unilatéralement les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise  ; de réduire la part de la finance de marché dans le financement des entreprises, en développant une politique publique du crédit. Le Manifeste montre que la hausse des dettes publiques en Europe au cours des trente dernières années ne résulte pas d’une dérive des dépenses publiques, mais de la réduction de la fiscalité sur les plus riches, sur les revenus financiers, sur les entreprises, puis de la récession induite par les dérèglements financiers.

Il propose de créer une tranche d’imposition confiscatoire sur les revenus exorbitants, d’augmenter la fiscalité sur les profits distribués pour favoriser le réinvestissement des profits. Les libéraux et les lobbys des assurances veulent obliger les ménages à épargner pour leur retraite et leur santé auprès des institutions financières, responsables de la crise  ; au contraire, il faut promouvoir un nouveau modèle social européen, assurant la sécurisation des moments de la vie (garde des enfants, formation, emploi, retraites, maladie).

Une réduction simultanée et massive des dépenses publiques de l’ensemble des pays de l’Union ne peut avoir pour effet qu’une récession aggravée, une baisse des recettes fiscales et donc un alourdissement de la dette publique. Il ne faut pas entreprendre de réduire les déficits publics avant d’avoir retrouvé une croissance satisfaisante, comportant une forte baisse du taux de chômage.

L’Europe doit assurer une véritable coordination des politiques macroéconomiques et une réduction concertée des déséquilibres commerciaux entre pays européens. Elle doit développer une fiscalité européenne (taxe carbone et taxes environnementales, impôt sur les bénéfices) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies.

Elle doit lancer un grand emprunt européen pour financer la reconversion écologique de l’économie européenne et pour favoriser le rattrapage des pays du Sud et de l’Est.

L’Europe s’est construite depuis trente ans sur une base technocratique excluant les populations du débat de politique économique. Il faut une nouvelle politique économique qui bride le pouvoir de la finance et organise l’harmonisation dans le progrès des systèmes économiques et sociaux européens.

C’est ainsi, et seulement ainsi, que le projet de construction européenne retrouvera une légitimité populaire et démocratique qui lui fait aujourd’hui défaut.


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