Août 1792 La Commune de Paris, phare de la révolution

dimanche 5 octobre 2008.
 

Dès le lendemain du Dix Août tous les partis songent à s’emparer du mouvement révolutionnaire, et à s’assurer la plus grande influence possible sur la Convention prochaine. La Commune de Paris avait un grand pouvoir. Elle voulait le continuer et l’étendre. C’est elle qui, le Dix Août, avait pris les responsabilités décisives et remporté la victoire. Tandis que la Législative hésitait, elle avait préparé et donné l’assaut. Elle était donc à ce moment, la force décisive de la Révolution ; elle prétendait être la Révolution elle-même. C’était, disait-elle, en vertu d’une sorte de tolérance et par sagesse politique, pour ne pas créer un intervalle entre la Législative et la Convention, qu’elle avait laissé subsister la Législative. Mais celle-ci n’avait en ces suprêmes journées qu’un pouvoir d’emprunt.

C’est le peuple de Paris qui l’avait investie à nouveau ; c’est la Commune révolutionnaire qui l’avait, pour ainsi dire, déléguée au gouvernement provisoire de la France, mais sous le contrôle de la Commune elle-même. Les Jacobins, où se réunissaient les délégués des sections, avaient adopté la thèse de la Commune. Ils étaient à peu près d’accord avec elle. De peur d’être envahis, au lendemain de la victoire du 10 août, par des patriotes tièdes ralliés tardivement au succès, ils avaient suspendu toute adhésion nouvelle ; ils restaient ainsi la pointe non émoussée de la Révolution. Le député Anthoine disait aux Jacobins le 12 août :

« Le peuple a repris sa souveraineté… et la souveraineté une fois reprise par le peuple, il ne reste plus aucune autorité que celle des assemblées primaires ; l’Assemblée nationale elle-même ne continue à exercer quelque autorité qu’à raison de la confiance que lui accorde le peuple, qui a senti la nécessité de conserver un point de ralliement et qui en cela a prouvé combien sa judiciaire était bonne. »

Ainsi, l’autorité finissante de la Législative était une autorité subordonnée. Mais la Commune limiterait-elle son pouvoir à Paris ? Cela eût été contradictoire ; car si, en attendant la Convention nationale, la Révolution est dans la Commune, la Commune doit, comme la Révolution, rayonner sur toute la France. Dès le soir du 10 août, Robespierre, calculateur profond, comprit que l’ascendant de la Commune révolutionnaire allait être immense ; et il s’appliqua à en étendre encore le pouvoir. Il éprouvait sans doute une âpre jouissance d’orgueil à humilier l’Assemblée législative, où dominaient maintenant les Girondins ; et en outre il était assez naturel de penser que puisque l’impulsion de la Commune avait fait la Révolution, cette impulsion devait se propager dans tout le pays.

« La Commune, déclara-t-il aux Jacobins le soir du Dix Août, doit prendre comme mesure importante, celle d’envoyer des commissaires dans les quatre-vingt-trois départements pour leur exposer notre vraie situation ; les fédérés doivent commencer en écrivant chacun dans leurs départements respectifs. »

C’était la main-mise de la Commune de Paris sur toute la France révolutionnaire, et si ce plan avait pu se développer, c’est sous l’influence de la Commune de Paris, hostile aux Girondins comme aux Feuillants, que se seraient faites les élections à la Convention nationale. C’eût été l’avènement immédiat d’un puissant parti robespierriste avec une aile gauche maratiste.

Le premier soin de la Commune révolutionnaire fut de se compléter, d’appeler à elle quelques grands noms de la Révolution. Robespierre fut délégué au Conseil général de la Commune par la section de la place Vendôme ; il y prit séance dès le 11.

Marat ne fut pas délégué au Conseil général de la Commune de Paris ; mais il était en relations continues avec la Commune ; il en fut, en ces journées ardentes, l’inspirateur et le journaliste. Lui, si sombre d’habitude et si défiant, il éclate de joie et d’orgueil dans ses numéros du 15 et du 16 août, et il trace le programme d’action de la Commune en homme sûr d’être écouté

16 août 1792 Marat s’adresse à la Commune de Paris

D’abord la Commune se défend contre toute restriction légale. L’Assemblée législative, dans sa séance du 11 août, et sur un bref rapport de Guyton de Morveau avait décidé qu’un nouveau Directoire du département de Paris serait élu, à raison d’un membre pour chacune des quarante-huit sections. Or partout, depuis l’origine de la Révolution, entre les Directoires de département élus à deux degrés et les municipalités élues directement par le peuple il y avait eu conflit.

Et la Commune pouvait craindre que le nouveau Directoire, quoique nommé sous des influences révolutionnaires, ne contrariât bientôt le mouvement populaire dont elle était l’organe. Les protestations furent vives à la Commune et aux Jacobins. Devant ceux-ci le député Anthoine s’écria :

« Le peuple a repris sa souveraineté, et néanmoins l’Assemblée nationale a décrété aujourd’hui que les sections de Paris nommeraient un directoire. Quelle soif de directoires a donc l’Assemblée nationale ? Ne sent-elle donc pas que les seuls directoires se sont ligués dans l’empire contre la liberté ? Quel besoin d’ailleurs a-t-on de directoires ? Croirait-on encore à cette maxime de l’aristocrate Montesquieu qu’il est nécessaire que les pouvoirs se balancent ? Non, les autorités ne se balancent pas, elles se détruisent. L’Assemblée nationale a commencé par être l’esclave du roi, et voilà pourquoi le peuple a abattu la royauté. Il ne faut donc point de directoire pour contrarier les mesures d’une municipalité patriote. En rendant ce décret, je ne dis pas que l’Assemblée nationale ait eu cette intention, mais je dis qu’elle n’est pas à la hauteur des circonstances, qu’elle ne sent pas tout ce qu’est le peuple et en quoi consiste sa souveraineté. »

C’était la théorie de la souveraineté presque absolue de la Commune révolutionnaire. Le Conseil général de la Commune envoya une délégation à l’Assemblée. C’est Robespierre qui parla en son nom :

« Le Conseil général de la Commune nous envoie vers vous pour un objet qui intéresse le salut public. Après le grand acte par lequel le peuple souverain vient de reconquérir la liberté, il ne peut plus exister d’intermédiaire entre le peuple et vous. Vous savez que c’est de la communication des lumières que naîtra la liberté publique. Ainsi donc, toujours guidés par le même sentiment de patriotisme qui a élevé le peuple de Paris et de la France entière au point de grandeur où il est, vous pouvez, vous devez même entendre le langage de la vérité qu’il va vous parler par la bouche de ses délégués.

« Nous venons vous parler du décret que vous avez rendu ce matin, relatif à l’organisation d’un nouveau directoire de département. Le peuple, forcé de veiller lui-même à son propre salut, a pourvu à sa sûreté par des délégués. Obligés à déployer les mesures les plus vigoureuses pour sauver l’État, il faut que ceux qu’il a choisis lui-même pour ses magistrats aient toute la plénitude du pouvoir qui convient au souverain ; si vous créez un autre pouvoir qui domine ou balance l’autorité des délégués immédiats du peuple, alors la force populaire ne sera plus une, et il existera dans la machine de votre gouvernement un germe éternel de divisions, qui feront encore concevoir aux ennemis de la liberté de coupables espérances. Il faudra que le peuple, pour se délivrer de cette puissance destructive de sa souveraineté, s’arme encore une fois de sa vengeance. Dans cette nouvelle organisation, le peuple voit entre lui et vous une autorité supérieure qui, comme auparavant, ne ferait qu’embarrasser la marche de la Commune. Quand le peuple a sauvé la patrie, quand vous avez ordonné une Convention nationale qui doit vous remplacer, qu’avez-vous autre chose à faire qu’à satisfaire son vœu ? Craignez-vous de vous reposer sur la sagesse du peuple qui veille pour le salut de la patrie qui ne peut être sauvée que par lui ? C’est en établissant des autorités contradictoires qu’on a perdu la liberté, ce n’est que par l’union, la communication directe des représentants avec le peuple qu’on pourra la maintenir. Daignez nous rassurer contre les dangers d’une mesure qui détruirait ce que le peuple a fait ; daignez nous conserver les moyens de sauver la liberté. C’est ainsi que vous partagerez la gloire des héros conjurés pour le bonheur de l’humanité ; c’est ainsi que près de finir votre carrière, vous emporterez avec vous les bénédictions d’un peuple libre.

« Nous vous conjurons de prendre en grande considération, de confirmer l’arrêté pris par le Conseil général de la commune de Paris, afin qu’il ne soit pas procédé à la formation d’un nouveau directoire de département ». (Vifs applaudissements.)

Et comment, en effet, deux jours après le Dix Août, l’Assemblée n’aurait-elle pas applaudi les délégués de la Commune révolutionnaire ? Mais elle dut être secrètement meurtrie et inquiète. Au fond, Robespierre avait raison. Puisque l’Assemblée législative hésitante avant le Dix Août, ou même inclinée vers Lafayette, avait laissé au peuple révolutionnaire de Paris, organisé en Commune, le soin de sauver au péril de sa vie la patrie et la liberté, puisqu’elle avait dû reconnaître ce pouvoir révolutionnaire et spontané, ce pouvoir de salut populaire et national, comme l’expression d’une légalité nouvelle, il ne fallait pas contrarier et lier la Commune avant qu’elle eût accompli son œuvre. Il ne fallait point l’embarrasser des formes surannées d’une légalité hostile. L’Assemblée le comprit, ou du moins elle se résigna. Thuriot appuya la motion de la Commune en quelques paroles sobres et fortes :

« Nous sommes convaincus que, dans les circonstances actuelles, il faut que l’harmonie règne entre les représentants du peuple et la commune de Paris, que c’est de cette union que doit résulter la liberté publique. Il faut, surtout dans ce moment, simplifier la machine du gouvernement ; car plus la machine est simple, plus les effets en sont heureux. Et c’est dans ce moment surtout qu’il ne doit y avoir entre le peuple et vous aucun intermédiaire. »

L’Assemblée rapporta son décret, et décida que le nouveau directoire du département n’exercerait son contrôle que sur les opérations financières de la Commune. Mais la Législative fut certainement froissée du langage de Robespierre et un peu effrayée aussi. Il l’avait réduite à un rôle bien humilié, bien inférieur. Il avait concentré dans le peuple de Paris et dans la Commune qui le représentait tout le droit révolutionnaire, et quand il demandait que les « délégués du peuple », pussent s’adresser sans intermédiaire à l’Assemblée, il demandait en réalité que la Commune pût donner directement des ordres, ou, si l’on aime mieux, des indications impérieuses à la Législative. Cruelle blessure d’amour-propre pour les députés, pour les Girondins surtout qui, subissant la force des événements dont Robespierre était l’interprète, commençaient à former des révoltes de leur orgueil une accusation de dictature. Et puis, combien de temps durerait ce droit révolutionnaire de la Commune de Paris ? Si, au nom du Dix Août, la Commune pouvait subalterniser la Législative, ne voudrait-elle pas dominer aussi la Convention nationale elle-même qui, après tout, n’était appelée à la vie que par la Révolution du Dix Août ? Surtout, si, dès maintenant, tout le droit de la Révolution paraissait concentré dans la Commune de Paris, les assemblées primaires électorales de toute la France, guidées par les délégués de la Commune, n’allaient-elles point faire de la Convention nouvelle une image amplifiée de la Commune de Paris ? Grande dut être dès ces premiers jours l’inquiétude de la Gironde. Le montagnard Thuriot lui-même, tout en appuyant la motion de Robespierre, semble bien insister sur le caractère exceptionnel des circonstances. Il marque par là au pouvoir extraordinaire de la Commune un terme assez prochain. Mais c’était pour elle une importante victoire d’avoir obtenu le rappel du décret qui instituait le Directoire.

Ce pouvoir, ainsi jalousement défendu, la Commune l’emploie vigoureusement à des mesures de police révolutionnaire et de défense nationale. C’est elle qui arrête le 12 que Louis XVI et sa famille seront « déposés dans la Tour du Temple ». Et elle délègue pour le conduire du Luxembourg au Temple, son procureur Manuel, le passementier Michel, le poète tragique Laignelot, et le cordonnier Simon, celui qui plus tard gardera le Dauphin.

Elle décide en cette même séance du 12 de saisir à l’administration des postes et d’arrêter tous les journaux contre-révolutionnaires, ou, comme dit le procès-verbal « les productions aristocratiques, entre autres : l’Ami du Roi, la Gazette universelle, la Gazette de Paris, l’Indicateur (inspiré par Adrien Duport), le Mercure de France, le Journal de la Cour et de la ville et la Feuille du Jour. »

Elle appelle à sa barre le directeur des postes qui reçoit l’ordre de ne plus expédier une seule feuille royaliste ou feuillantine ; et elle prévient ainsi toute tentative de la contre-révolution pour semer la panique dans les départements, la révolte dans les armées. Elle met en état d’arrestation les auteurs et imprimeurs de toutes les feuilles « anticiviques » ; elle distribue entre les imprimeurs patriotes leurs presses, leurs caractères et leurs instruments. Et elle ordonne au directeur des postes d’épurer son administration de tous les employés qui ne sont pas « dans le sens de la Révolution » afin qu’aucune trahison des bureaux ne laisse passer et s’infiltrer aux veines de la nation le poison contre-révolutionnaire. C’était hardi ; car pour la première fois la Révolution portait atteinte à la « liberté de la presse », qu’elle avait jusque-là si énergiquement défendue. Mais l’ennemi était aux frontières, et la trahison était au cœur de la patrie. La Révolution proclamait en réalité l’état de siège contre les envahisseurs et contre les traîtres. Très habilement, en cet acte audacieux, la Commune se fit couvrir par l’Assemblée législative ; ou du moins, en lui communiquant ces arrêtés vigoureux, elle l’y associa. Léonard Bourdon, à la tête d’une députation de la Commune de Paris, dit à l’Assemblée, le 12 :

« Les journaux incendiaires, d’après les mesures qu’a prises la Commune, n’empoisonneront plus ni la capitale, ni les départements. Leurs presses et leurs caractères seront employés à servir la Révolution. »

Le Président girondin Gensonné lui répondit : « L’Assemblée nationale entend avec plaisir les mesures que vous avez prises pour la tranquillité de Paris, et pour empêcher la communication qui résulterait du venin des journaux aristocratiques ; elle vous engage à continuer votre surveillance. »

Ainsi, la Gironde elle-même consacrait à ce moment ce qu’on peut appeler la « dictature impersonnelle » du peuple révolutionnaire de Paris.

La Commune faisait arrêter le même jour Adrien Duport, Dupont de Nemours, Lachenaye, Rulhière (le père de l’historien), Sanson-Duperron, juge de paix de la section Mauconseil, Cappy, officier de paix, Borie, ancien officier municipal, et le président de la Grange-Batelière. Scellés sont apposés sur leurs papiers et sur les papiers du bureau central des juges de paix, presque tous suspects d’attaches à la Cour et de feuillantisme.

Il ne suffisait pas d’arrêter les journaux ennemis. Il fallait empêcher qu’aucun courrier, qu’aucun citoyen allât allumer la guerre civile en dénaturant les événements, en calomniant Paris. La Commune ferma, pour ainsi dire les portes de Paris ; elle immobilisa dans la grande ville révolutionnaire toutes les forces de contre-révolution qui, de tous les points de France, avaient afflué vers le roi, vers le château de Coblentz, comme les fédérés appelaient les Tuileries. Défense fut donc faite d’accorder aucuns passeports, excepté aux personnes chargées d’approvisionner la ville de Paris, ou qui porteraient des décrets de l’Assemblée nationale. Injonctions aux propriétaires et logeurs de faire la déclaration des étrangers qui habitent chez eux, au Comité de leur section, qui en fera passer la liste dans les vingt-quatre heures.

Il est décidé que des commissaires se transporteront dans les environs de Paris, à quatre lieues à la ronde, pour s’informer des personnes qui demeurent dans cette partie extérieure de la capitale.

Il est arrêté aussi, comme mesure de police, qu’aucun prêtre ne portera de costume religieux hors de ses fonctions.

Toujours en cette même séance du 12, la Commune décide que la place des Victoires sera nommée désormais place de la Victoire nationale, et que la statue de Louis XIV sera remplacée par un obélisque où seront inscrits les noms des citoyens morts pour la patrie dans la journée du 10.

Enfin, comme pour se saisir de la direction de la politique extérieure et lui donner une allure révolutionnaire, elle arrête que l’Assemblée nationale sera priée de déclarer au nom de l’empire français, qu’en renonçant à tous projets de conquête la nation n’a point renoncé à fournir des secours aux puissances voisines qui désireraient se soustraire à l’esclavage. C’était une réponse hardie à l’invasion.

Le 13 août, la Commune décide, pour rendre impossible au roi toute évasion, qu’une tranchée sera creusée autour du donjon ; mais c’est surtout à des mesures de défense nationale qu’elle s’applique. « Les quarante-huit sections sont autorisées à organiser sur-le-champ les citoyens armés en différentes compagnies ; toute distinction nuisible à l’égalité sera supprimée ; les épaulettes ne seront qu’en laine pour tous les grades ; en vertu du décret qui déclare tous les citoyens actifs, tous les habitants seront armés, « à l’exception des gens sans aveu ». C’était le prélude de la levée en masse.

En attendant, les mesures de police continuent. « Les sieurs de Laporte, intendant de la liste civile, du Rozoy, censeur de la Gazette de Paris, sont mis en état d’arrestation. Scellés sont mis sur leurs papiers ainsi que sur ceux de M. Andrion, commissaire général des Suisses et Grisons, et MM. Bigot de Sainte-Croix et d’Abancourt.

Ordre est donné d’arrêter tous les officiers de l’état-major des gendarmes nationaux et tous les valets de chambre du roi. Mais ce ne sont pas seulement des personnages éclatants ou manifestement compromis dans la contre-révolution que la Commune poursuit. Elle est naturellement amenée et entraînée, par les accusations multiples qui viennent des sections, à arrêter des hommes obscurs. Le procès-verbal du 15 dit : « Mandats d’amener et apposition de scellés chez différents particuliers peu connus dans le public. » Grand péril d’arbitraire et d’erreur, contre lequel bientôt s’élèveront des protestations très vives, même chez les démocrates des « Révolutions de Paris ». Mais, en ces premiers jours, et dans l’émotion persistante du combat, aucune voix ne proteste encore.

La Commune de Paris, très vigoureusement anticléricale, donne l’ordre aux maisons religieuses d’évacuer sous trois jours. « Les scellés seront apposés sur ces repaires d’aristocratie. » Et la garde des scellés est confiée pour ces trois jours aux religieuses elles-mêmes, sous peine d’être privées de leur pension.

Ce même jour, 15 août, le jeune Jean-Lambert Tallien, épris d’influence, et de bruit, habile aux paroles déclamatoires qui simulent la passion, est nommé secrétaire greffier de la Commune.

Je ne puis m’attarder au détail des arrestations faites sur l’ordre de la Commune. On le trouvera dans les si intéressants procès-verbaux publiés par M. Maurice Tourneux. Je note en quelques jours l’arrestation de Mme de Navarre, Bazire, femme de chambre de Mme Royale, Thibault, première femme de la reine ; Saint-Brice, femme de chambre du prince royal ; Tourzel, gouvernante des enfants du roi ; demoiselle Pauline Tourzel, Marie-Thérèse-Louise de Savoie, Bourbon-Lamballe ; M. Lorimier de Chamilly, premier valet de chambre du roi et du prince royal ; de M. de la Roche du Maine, de M. Masgoulier, ancien valet de chambre de Monsieur ; de Mme de la Brétèche, ci-devant femme de garde-robe de Mme d’Artois ; de M. Duveyrier, ancien rédacteur, avec Bailly, du Procès-verbal des électeurs ; de MM. Lajard, d’Ermigny, Plainville, la Reynie, Quassac, Charton, Charlon frères, Millin, Barré, Crépin, Aubry, Lapierre, Quintin, Larchin, Aclocque et Curney, dont plusieurs appartenaient à l’état-major de la garde nationale. À vrai dire, cet acharnement sur la haute domesticité royale a quelque chose d’un peu puéril ; et l’héroïque Commune qui, dans la nuit du 10 Août, prit de si grandes responsabilités se diminue un peu à traquer ces valets de chambre titrés. Elle espérait sans doute arracher à ces hommes et à ces femmes quelques révélations sur la famille royale. Peut-être aussi le Conseil de la Commune sentait-il que, pour prolonger son pouvoir révolutionnaire il devait prolonger, si je puis dire, la crise révolutionnaire, et par la recherche même des plus obscurs comparses du grand drame, en continuer l’impression toute vive et le souvenir ardent.

Parfois quelque chose d’un peu théâtral et vain se mêlait à son action. Qu’il ordonnât d’abattre tous les vestiges de féodalité, tous les écussons ou armoiries qui pouvaient subsister encore aux maisons de Paris, qu’il ordonnât « à tous les citoyens exerçant un négoce et ayant des boutiques et magasins, de détruire dans le délai de quinze jours, les enseignes, figures et tous emblèmes qui rappelleraient au peuple les temps d’esclavage » cela se comprenait ; car aux heures de crise violente et de lutte exaspérée les symboles du passé ressemblent à une provocation. Il était plus hasardeux d’ordonner la démolition de la porte Saint-Denis et de la porte Saint-Martin que le bourgeois même révolutionnaire du centre de Paris aurait vu sans doute disparaître avec regret. L’ordre demeura d’ailleurs sans effet ; mais il semblait dénoter une activité un peu brouillonne et excitée. De même était-ce vraiment réaliser l’égalité dans la mort que d’imposer pour les obsèques de tous les citoyens le même cérémonial religieux ? Oui, tous ces citoyens s’en vont au cimetière dans des cercueils uniformes et escortés du même nombre de flambeaux ; mais les uns laissent à leur femme et à leurs enfants pauvreté et désespoir, les autres, fortune et puissance. À quoi bon alors cette parade toute rituelle d’égalité menteuse ?

23 août 1792 Egalité et pratique religieuse (décret de la Commune de Paris)


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