Octave Mirbeau, écrivain, critique d’art, journaliste et vrai socialiste

jeudi 16 mars 2017.
 

2) Octave Mirbeau et l’Humanité

par Gilles Candar Historien, président de la Société d’études jaurésiennes

L’écrivain, critique d’art et journaliste meurt le 16 février 1917 à Paris. Quelques années auparavant, le 18 avril 1904, il répond à l’appel lancé par Jaurès, dans son éditorial « Notre but », lorsque celui-ci crée le journal.

Écrivain moderne, étonnant, parfois dérangeant, Octave Mirbeau (1848-1917) appartint à la première rédaction de l’Humanité. Le fait peut surprendre. Pamphlétaire, romancier et homme de théâtre, Mirbeau semble bien loin du milieu socialiste parlementaire (Jaurès, Briand, Viviani…) qui se trouve dominer le journal. Ne vient-il pas de faire jouer à la Comédie-Française Les affaires sont les affaires, une pièce des plus critiques contre les requins de la finance  ? Son personnage principal, le fameux Isidore Lechat, archétype des aventuriers destructeurs nés pour devenir milliardaires, se présente aux élections comme « agronome socialiste » avec un programme anticlérical et même « révolutionnaire en économie ». Depuis longtemps, Mirbeau s’est affirmé comme un critique de la société, d’esprit très libertaire, méfiant envers les politiques et leurs belles paroles, plus encore envers l’État à la discipline étouffante que les bonnes âmes de la réforme sociale, républicaine ou progressiste, semblent vouloir préparer… Et le voici maintenant cité en deuxième position, juste après l’académicien Anatole France, parmi les collaborateurs littéraires du quotidien, devant Jules Renard, Gustave Geffroy, Tristan Bernard et quelques autres…

L’Humanité est avant tout « le journal de Jean Jaurès », un homme que Mirbeau a appris à connaître et à estimer. L’affaire Dreyfus a permis ce rapprochement  : des années de lutte et de combat passionnés et difficiles qui mettent à l’épreuve les caractères. Jaurès s’est battu sans se laisser impressionner par la « loi du mensonge triomphant qui passe », ni par « les applaudissements imbéciles » ou « les huées fanatiques ». Il cherche à comprendre, à définir ce qu’il croit bon, vrai et juste, et il agit en conséquence, de manière certes habile et judicieuse si possible, mais sans oublier le sens de son action. C’est ce qui le différencie de ses amis Millerand ou Viviani, qui ont leurs mérites, mais qui n’oublient jamais d’accorder toute l’importance qu’elle mérite à leur destinée personnelle au sein du combat politique. Pierre Michel, le grand spécialiste et biographe de Mirbeau, a bien mis en valeur l’entente profonde entre son héros et le fondateur de l’Humanité  : le combat pour Dreyfus n’est pas seulement d’ordre individuel, car toute action pour la justice enrichit le combat commun. Justice sociale et justice individuelle marchent et doivent toujours marcher ensemble. Jaurès sait attendre, mais il n’oublie pas la parole donnée à Dreyfus de tout faire pour sa réhabilitation (1903-1906).

C’est pourquoi lorsqu’il lance son propre journal, le 18 avril 1904, Mirbeau l’aide. Il n’a nul besoin de cette collaboration. Il est alors un écrivain très connu dont les chroniques publiées dans la grande presse se paient fort bien, mais il se reconnaît dans le programme défini par le premier éditorial  : « réaliser l’humanité (…) par des moyens d’humanité ». Mirbeau et Jaurès rêvent de « la diversité vivante de nations libres et amies ». En 1904, la principale menace vient de la Russie tsariste, de son régime oppressif et sanglant, de ses brutales interventions extérieures… «  L’œuvre d’art ne s’explique pas et on ne l’explique pas  »

Mirbeau publie plusieurs nouvelles, espérant pêle-mêle la victoire du Japon contre la Russie, une révolution intérieure, voire, poussé par la colère, l’indignation et l’angoisse, une intervention à rebours des puissances libérales… En France, l’ennemi, c’est le cléricalisme, c’est-à-dire, dans les conditions de l’époque, l’esprit de soumission, de superstition et de fanatisme, servi par un clergé allié indéfectible des châteaux, de l’autorité et de l’oppression… Comme le journal, Mirbeau soutient à fond l’action anticléricale du gouvernement Combes, le soutien à l’école publique, la laïcisation de l’enseignement et de la société qui préparent la future séparation des Églises et de l’État… Enfin, l’humanité se prépare par la culture dont tous les hommes doivent pouvoir bénéficier. L’auteur du Journal d’une femme de chambre écrit aussi dans l’Humanité sur le théâtre, la poésie, la peinture… Il le fait à sa manière, avec verve, en raillant les pédagogues progressistes, fussent-ils amis du journal  : « L’œuvre d’art ne s’explique pas et on ne l’explique pas. » Il l’évoque pourtant longuement, donne envie au lecteur d’aller voir ces tableaux de Monet ou de Pissarro dont il parle avec tant de fougue et de sens, mais sans faire de concession à la facilité ou à la vulgarité. Mirbeau journaliste est toujours un pessimiste aspirant à un peu d’humanité, de générosité et de beauté… Il cesse d’écrire dans le journal à la fin de 1904, mais il en reste un ami, comme il est toujours celui de Jaurès qu’il emmène un jour dans son automobile au musée d’Épinal pour admirer de concert un tableau de Rembrandt.


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