1er novembre 1755 Tremblement de terre de Lisbonne et rôle du Dieu Providence

vendredi 2 novembre 2018.
 

A) 1er novembre 1755 : Tremblement de terre, tsunami et incendie de Lisbonne

En cette année 1755, la capitale de l’empire portugais compte entre 250000 et 275000 habitants ; elle fait partie des plus grandes villes d’Europe. De plus, comme nous sommes le jour de la Toussaint dans un Portugal très pieux, de nombreuses personnes sont venues des campagnes environnantes pour se souvenir de leurs morts.

A 9h55, la catastrophe s’annonce par trois violentes secousses sismiques d’une durée de dix minutes chacune. Les spécialistes actuels l’estiment entre 8,5 et 9 sur l’échelle de Richter qui en compte 9. De nombreux bâtiments s’effondrent, dont d’imposantes églises.

L’épicentre du séisme se situe 200 kilomètres à l’Ouest du Portugal, dans l’Océan Atlantique. Cependant, l’ébranlement est tel qu’il est ressenti au Maroc dont les villes côtières sont dévastées (environ une dizaine de milliers de victimes) et jusqu’en Finlande, dans les Caraïbes.

Pour fuir les murs branlants, des dizaines de milliers d’habitants fuient vers le port et le bord de mer. C’est à ce moment-là, vers 10h30 qu’ils sont engloutis par trois lames successives venues de l’océan. D’une hauteur de cinq à quinze mètres, elles submergent tout le bord de mer jusqu’au centre ville et au Tage. Des édifices fragilisés par le tremblement de terre s’effondrent.

Un terrible incendie est alors déclenché par l’éparpillement des feux de cheminée, d’autant plus que ces cheminées ont souvent été abattues. Il faudra cinq jours pour circonscrire cette fournaise.

Lorsque sonne l’heure du bilan, il s’avère terrible :

- entre 50000 et 70000 morts

- une partie importante du patrimoine architectural portugais détruit : Palais Royal, l’Opéra Phoenix, la cathédrale de Santa Maria ou l’Hôpital Royal de Tous les Saints...

B) La Providence divine est-elle responsable ?

En plein milieu du 18ème siècle, le dogme de l’Eglise catholique s’impose à tous dans un pays comme le Portugal et presque aussi largement en Espagne, France, Autriche, péninsule italienne...

Dieu est vénéré comme le créateur de la planète Terre, des continents et des océans, des humains, des animaux et des végétaux.

Dieu est vénéré comme l’ordonnateur des destinées individuelles et collectives selon les commandements de la Bible :

- > C’est lui qui change les temps et les circonstances

- > « Par moi les rois règnent, Et les princes ordonnent ce qui est juste » (Proverbes 8:15)

- > « C’est moi qui ai fait la terre, les hommes et les animaux qui sont sur la terre, par ma grande puissance et par mon bras étendu, et je donne la terre à qui cela me plaît.… » ( Jérémie 27:5-7)

En conséquence, au moins jusqu’en 1944, l’Eglise catholique a toujours considéré tout malheur comme un châtiment de Dieu.

Pour apaiser le courroux justifié de la Providence divine, les humains doivent se repentir de leurs fautes.

Ainsi, en 1940, après l’invasion de la France par les armées hitlériennes, les Français doivent se blâmer, des lois qui depuis 1882 organisèrent la laïcité irréligieuse :

- 28 mars 1882 C’est la loi qui aboutit à chasser Dieu de l’école...

- 17 juillet 1884 C’est la loi qui chassera Dieu de la famille en prétendant dissoudre l’indissolubilité du mariage.

- 1er juillet 1901 et 7 juillet 1904 C’est les lois qui chassent Dieu de l’Association

- 9 décembre 1905 C’est la loi qui chasse Dieu de l’Etat en déclarant injurieusement que pour la République française Dieu est un inconnu". (Union catholique)

L’éditorial de l’Union catholique du 11 juillet 1940 en appelle à "La grande pénitence" pour réparer les fautes des syndicalistes qui refusaient en 1935 une baisse de 10% des salaires, les fautes de "ceux qui envoyaient argent et matériel aux marxistes qui mettaient l’Espagne à feu et à sang".

Le même jour, Radio Vatican (en français), caractérise la situation créée par la victoire militaire nazie comme "une épreuve purifiante", appelle à "garder le silence" et se termine par un appel annonciateur " Ayons le courage d’éliminer les éléments nocifs".

C) Conséquences morales et idéologiques du tremblement de terre de Lisbonne

Dans le monde catholique le lien entre manque de dévotion à Dieu et vengeance divine par des cataclysmes naturels n’avaient jamais été interrogé sérieusement avant ce 1er novembre 1955.

Or, ce tsunami se produit dans un pays connu comme particulièrement croyant, particulièrement pratiquant, particulièrement clérical dans l’organisation de la société. Mieux, il se déchaîne un jour de la Toussaint, fête catholique éminente et ensevelit des milliers de religieux et fidèles en train de prier dans des églises et cathédrales qui s’effondrent.

Ces évènements poussaient quiconque à la réflexion.

Plusieurs positions s’expriment :

- celle, invariable, de l’Eglise

- celle, identique sur le fond, de philosophes comme Leibniz, Pope et Wolf pour qui le monde, est régi par la Providence divine de telle façon que tout mal est compensé par un bien toujours plus grand.

- celle de Rousseau qui affirme l’intérêt des positions de ces derniers car ils apportent une consolation aux malheurs humains

Homme, prends patience, me disent Pope & Leibniz, les maux sont un effet nécessaire de la nature & de la constitution de cet univers. L’Être éternel & bienfaisant qui le gouverne eût voulu t’en garantir : de toutes les économies possibles il a choisi celle qui réunissait le moins de mal & le plus de bien, ou pour dire la même chose encore plus crument, s’il n’a pas mieux fait, c’est qu’il ne pouvait mieux faire.

Par ailleurs, Rousseau ouvre de nouvelles pistes sur le risque de construire une grande ville au bord de l’océan dans une zone sismique, sur le danger de brutalisation de la nature par les hommes libres...

Dans son analyse de la position de Rousseau, François Walter écrit ainsi : « Ce n’est plus Dieu qui punit, mais c’est la frénésie des interventions humaines dans le monde, qui devient contre-productive lorsqu’elle met en péril des équilibres naturels ».

- celle de Voltaire qui critique toute explication d’un malheur terrestre par les vices des habitants qui en ont souffert dans son magnifique Poème sur le désastre de Lisbonne

https://gallica.bnf.fr/essentiels/a...

Retenons deux vers de ce poème :

Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices

Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?

Devant le terrible désastre, il conseille seulement de rechercher en paix les causes des orages

Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes

Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.

- celle plus tardive d’Emmanuel Kant qui essaie de donner une explication scientifique au tsunami de Lisbonne. Sa théorie sera plus tard démentie mais il a ouvert un champ d’étude scientifique ne manquant évidemment pas d’intérêt pour limiter les conséquences de telles catastrophes.

Jacques Serieys, le 7 octobre 2018


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