Des ciseaux pour mettre en pièces le droit du travail

mercredi 8 octobre 2008.
 

L’offensive menée pour réaliser les ruptures devant déchirer le modèle social français (qui doit être adapté, mais non jeté aux orties) se déroule avec une bien trop grande part de discrétion, camouflée qu’elle est d’un côté par les gesticulations et divertissements sur lesquels est branchée l’actualité médiatique , d’autre part du fait que l’une des branches du ciseau à mettre en pièce le droit social français est tenu par la Commission et par la Cour de Justice de l’Union Européenne, et l’autre branche par le Medef (et qu’il faut faire la liaison entre les deux pour bien comprendre ce qui se prépare, en douce, à court terme).

En effet si l’on voit bien d’un côté comment le patronat, sous l’impulsion particulière de la présidente du Medef, travaille d’une part, contre de grandes organisations, à l’émiettement du droit du travail, d’autre part au remplacement d’un droit d’État par un droit contractuel , on ne voit pas en général comment cette démarche ouvre une énorme brèche en faveur de l’œuvre de sape résultant en parallèle des décisions de la Cour de Justice.

La revue Alternatives économiques qui a le mérite de bien exposer quelques problèmes économiques et la limite de ne pas chercher la vraie causalité de nos déboires dans le libre échange inspiré par l’UE (car A.E. reste très sociale-démocrate européenne et impute à la conjoncture ce qui est effet de structure, sans mesurer que, sans mise en cause de la concurrence libre échangiste, tous les problèmes qu’elle met en exergue sont largement insolubles et notre régression garantie), tout en voulant donner un coup de chapeau à des considérants de la Cour de Justice sur l’Europe sociale - considérants de principe qui l’a rendu quitte et qui ont été inopérants dans le résultat des courses- pointe bien le mécanisme pervers et puissant qui fait son chemin (cf. "Plombier polonais, le retour" in N° 272 de septembre 2008).

D’un côté un chapelet de décisions, intervenues depuis que nous avons perdu beaucoup d’influence à la Cour, (Viking et Laval en décembre 2007, Rüffert, en avril 2008, et Luxembourg, en juin), donne satisfaction en fait à des entreprises (et à la Commission) ne voulant pas se trouver liées par le droit social du pays d’accueil dans lequel elle ont des marchés ou des personnels détachés. Ce qui, en clair permet de « casser » les garanties des salariés des pays pénétrés.

Mais ceci n’est vraiment efficace que pour autant que le droit social de ces pays est d’origine contractuelle, (et c’est pourquoi les conséquences de ces décisions frappent aujourd’hui plus que la France de tels pays nordiques), car les contrats collectifs ne peuvent lier que leurs signataires syndicaux et patronaux (auxquels n’appartiennent pas les étrangers y venant travailler) , tandis que lorsque le droit du travail est d’origine étatique nationale (y compris par l’extension de conventions collectives) il s’impose à tous ceux qui opèrent sur le territoire , signataires ou non d’accords collectifs.

On voit bien comment passer d’un droit national du travail à une "refondation" contractuelle est de nature à complètement vulnérabiliser les salariés français (au motif que cela pousserait à une plus large syndicalisation, mais cette syndicalisation n’offrant aucune protection contre les non syndiqués de pays externes....). cette "refondation" perverse s’ajoute l’effet d’émiettement. Comme le conclut A.É. : « Si l’on permet en plus à chaque entreprise de cuire sa propre soupe en matière de conditions d’emploi, il ne faudra pas s’étonner de subir le dumping social des "plombiers polonais" : notre propre gouvernement aura introduit lui-même le loup dans la bergerie du droit social français ».

« Mais - ajoute la revue - ni la Cour, ni les Traités européens n’y seront pour rien ». Nous ne partageons pas cette dernière assertion européaniste. C’est bien un ciseau concerté qui s’emploie à mettre en pièce notre droit du travail. C’est le même esprit concurrentiel libéral (avec la bénédiction de Delanoë ?) qui inspire et la démarche européenne et la démarche Medef, deux types de partenaires qui ont toujours été main dans la main, pour ces ruptures là …et avec d’ailleurs le PS ( !) du moins pour cette Europe là.

Par de mêmes attributions de rôles, mais renversés, c’est à l’Europe qu’on impute de devoir privatiser - ou presque- de grands services publics. Or, ce n’est pas directement vrai. L’U.E. n’impose pas un statut de la propriété de ces services, mais elle le provoque indirectement, par combinaison de l’ouverture à la concurrence et de notre incapacité (qu’elle exige avec "le pacte de stabilité") de leur garantir les financements publics qui seraient indispensables. Explications : si l’on veut mettre une part de la Poste sur le marché, après les Télécoms, les Ports, certains transports, etc.), c’est qu’il faut - dès lors qu’on ouvre, par principe et pour l’intérêt des investisseurs privés, ces secteurs à la concurrence - des moyens de financement longs et lourds pour assumer cette concurrence, moyens que la puissance publique ne peut pas, ne veut pas fournir dans l’état de ses contraintes budgétaires et de ses choix de politique économique. Le résultat - une privatisation progressive de fait (largement conduite aussi auparavant par les socialistes pris au jeu européen et mondial) est bien de l’effet combiné de l’esprit libéral européen - ouvrir à la concurrence - et de l’esprit libéral antiétatique des pouvoirs publics français.

Les pièges ont des mâchoires séduisantes : quoi de plus sympathique que l’Europe si on ne regarde pas de près ? Quoi de plus sympathique que de lever des moyens de financement sur le marché pour améliorer des services d’intérêt général et leur donner une dimension leur permettant de résister aux assauts de concurrents qui n’ont jamais eu à assumer les mêmes devoirs qu’eux-mêmes ? Quoi de plus sympathique que la négociation ? Si on ne voit, d’une part, qu’elle ne traduit jamais que le résultat des rapports de forces (dans lesquels les salariés aujourd’hui sont plus faibles que jamais) et qu’elle ne lie que les signataires, en permettant au delà l’exploitation de salariés encore plus faibles et contre les intérêts minimaux des salariés signataires eux-mêmes !

Or certains importants responsables syndicaux sont pénétrés des idées dangereuses que tout ce qui vient d’Europe est plutôt bien et, par ailleurs, qu’à tout prendre, le paritarisme vaut mieux que l’étatisme. Ils doivent être mis en garde. Il reste fondamentalement vrai qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et l’État qui protège. Pour nous prémunir contre les plus forts et contre le rouleau compresseur libéral concurrentiel européen et mondial, le droit social doit être constitué d’un socle irréductible de garanties essentielles assurées par droit d’État, pouvant résister aux pressions des intérêts comme aux décisions de la Cour de Justice Européenne. Pareillement les services publics doivent avoir un socle majoritaire incompressible de propriété collective garantissant une économie mixte unissant les dynamismes de l’entreprise privée aux sécurités de la puissance publique. Soyons « réactionnaires », réagissons contre les ruptures habillées des plumes du paon.

Gérard Bélorgey


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