Crise économique, crise financière, crise du capitalisme (par Jacques Cotta)

jeudi 23 octobre 2008.
 

Après une chute vertigineuse de toutes les places financières annonçant la pire crise depuis 1929, il aura suffi de deux réunions internationales à Washington d’abord, Paris ensuite, pour que se mettent à pleuvoir averse des milliers de milliards de dollars et d’euros. Et qu’on nous annonce la mine réjouie, visiblement rassérénée, que la tempête était passée… Mais que se cache-t-il donc derrière des déclarations qui se veulent rassurantes alors que dans la vie quotidienne tout le monde perçoit bien que les difficultés sont bien présentes et que l’avenir s’assombrit ? Et que dans l’économie le pire est à venir….

Ainsi, L’Espagne a craché au bassinet 100 milliards d’euros, le Royaume-Uni 367 milliards, la France 360 milliards, 480 milliards d’euros pour l’Allemagne, 40 pour l’Italie… 1700 milliards d’euros pour l’instant venant des pays européens une semaine seulement après 700 milliards de dollars du plan Paulson aux USA… Immédiatement, rassérénés par le soutien apporté aux banques par les différents états, les « marchés » refaisaient apparemment bonne figure… En une journée les bourses de Paris, New York, Milan, Francfort, Zurich, prenaient plus de 11%. Celles de Londres, Riayd, Hongkong entre 8,5 et 10%. L’euphorie devait faire place à la déprime… Tous les états ont ainsi mis la main à la poche, promettant aux circuits bancaires et financiers un soutien tellement puissant et coordonné que la crise devrait dés lors être évoquée au passé. C’était aller un peu vite en besogne !

Dans la version officielle, partagée par la plupart des commentateurs à la suite des chefs d’états et de gouvernement, du responsable de la BCE Jean Claude Trichet et du président du FMI Dominique Strauss Kahn, un nouveau cycle de prospérité financière appuyée sur des réformes devant permettre de « mieux réguler » le capitalisme était à portée d’indice. Bien sûr, la voie serait tortueuse, semée de d’embûches. Mais « la lumière était visible au bout du tunnel » déclarait pour résumer le sentiment général le président de l’Eurogroupe, Jean Claude Juncker. Tout était là. Dans ces propos pointait le souci premier des responsables politiques et économiques de la planète : le capitalisme, ce système basé sur la propriété privée des moyens de production et sur la nécessité de combattre la baisse tendancielle du taux de profit, devait être mis à l’abri des critiques et remises en question.

Pourtant quelques jours seulement après l’injection des sommes astronomiques[1] par les états et de discours victorieux, l’inquiétude s’emparait à nouveaux des marchés[2]… A Paris, New York, Hongkong, le krach était de retour. La réalité venait contrarier les affirmations qui ont tenté d’accréditer l’idée selon laquelle la crise financière devait être déconnectée de celle existant au sein de l’économie réelle.

Le capitalisme source de crise

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi alors que des milliers de milliards sont déversés pour aider les banques et les spéculateurs, la tendance repart à la baisse ? Dans la dernière période la crise a été présentée de façon pratiquement unanime comme un phénomène purement financier qui appelait des « réponses financières ». Le débat portant sur les causes de la crise était ainsi ramené à une simple question de gestion, de régulation et non de système. Tout pouvait être évoqué, sauf le capitalisme lui-même comme générateur des bouleversements auxquels nous assistons. Ainsi a-t-on entendu parler des chefs d’entreprises trop gourmands, des parachutés trop dorés car trop bien payés, des financiers trop zélés. Tout a été mentionné sauf le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et la difficulté dans laquelle se trouvent les capitalistes à pouvoir réaliser les profits.

Pourtant, n’est-ce pas tout simplement là que se trouve le point de départ de la crise financière qui ébranle la planète ? Pour augmenter leurs profits, les capitalistes ont de tout temps tenté d’augmenter le taux d’exploitation en poussant les salaires à la baisse, d’augmenter le temps de travail, d’envahir de nouveaux marchés permettant d’écouler toujours plus de marchandises. Mais ces recettes ont leur limite qu’impose d’une part la lutte des classes, la résistance du monde du travail à la détérioration de ses conditions, d’autre part un monde fermé qui ne fait pas du marché un univers sans borne. Et ce sont ces limites qui apparaissent dans la crise qui se déroule sous nos yeux. Ainsi les capitalistes se sont-ils rués dans une folie spéculative pour tenter de faire de l’argent avec de l’argent lorsque la production des marchandises et leur écoulement ne permettent plus de réaliser les profits et d’accumuler le capital. Ce processus ne concerne pas seulement les professionnels de la finance, mais aussi bon nombre de chefs d’entreprises qui ont vu là la possibilité de gonfler leurs bilans en investissant les marchés financiers. Ainsi se sont multipliés les coups les plus fous dont l’affaire des subprimes n’a été qu’un révélateur, indiquant les limites d’un surendettement massif nécessaire à la folie spéculative qui a eu cours. Et qui a explosé à la face du monde.

Les Etats-Unis ont été présentés comme un exemple, notamment pour la faculté des américains à s’endetter pour faire tourner la machine. Avant l’explosion de la crise, le Président Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas d’ailleurs indiqué qu’il y voyait un modèle. Le développement du crédit était alors vanté comme une valeur synonyme d’esprit d’entreprise, d’audace, d’aventure. Mais précisément, si la crise a éclaté aux Etats-Unis pour se propager dans le monde entier, n’est-ce pas en fonction de sa faiblesse économique que l’endettement a cachée durant un temps ? En réalité, le taux d’épargne est négatif, ce qui signifie que la dépense y est plus importante que le gain. La profitabilité du capitalisme américain est donc en réalité négative. En fait, le développement du crédit généralisé aux Etats-Unis a caché un temps la faiblesse économique de la première puissance du monde. L’endettement a permis de monter des coups, jusqu’au jour où la machine s’est enrayée avec l’affaire des subprimes et la chute en cascade d’institutions financières qui ne reposaient plus que sur du vent…

Economie réelle – Finance – Economie réelle

Le point de départ de la crise financière à laquelle nous assistons n’est donc pas à rechercher, comme on voudrait nous y inviter, dans la finance en soi, mais bien dans l’organisation du système capitaliste qui produit des crises successives au sein de l’économie réelle et qui pousse au développement des marchés financiers pour tenter d’y faire fructifier l’argent qui y est misé. Si aujourd’hui les indices boursiers continuent de faire du yo-yo et si la mine inquiète des spéculateurs remplace l’air réjoui des deux derniers jours, c’est uniquement parce qu’on assiste aux premiers effets de la crise financière qui à son tour agit sur l’économie réelle. De crise financière et crise bancaire, elle affecte les capacités d’emprunt des entreprises comme des particuliers et menace en fin de course l’emploi, les entreprises elles-mêmes et la production.

Bien que les mots soient bannis dans le langage officiel, nous assistons en réalité à un début de récession qui fait craindre une véritable dépression digne des années 30 du siècle dernier. Voila pourquoi en quelques heures l’annonce de chiffres qui concernent les « résultats » et la « santé » économiques mondiales provoque à nouveau sur les marchés un vent de panique et un effondrement des cours.

Ainsi, selon les instituts allemands de conjoncture, « l’Economie allemande, la première d’Europe, est au bord de la récession » alors que « l’Irlande y est déjà ». L’activité économique américaine « a faibli en septembre » et « les conditions d’obtention de crédits se sont durcies », a constaté le Livre Beige de la Fed. Les ventes de détail aux Etats-Unis ont reculé en septembre de 1,2% par rapport à août, une baisse nettement plus importante que prévu. « L’économie américaine semble en récession », a jugé une responsable de la Fed, Janet Yellen. En Europe, les ventes de voitures neuves ont plongé de 8,2% sur un an en septembre, atteignant leur niveau le plus bas depuis 10 ans. Le Royaume-Uni se rapproche à grande vitesse de la barre des deux millions de chômeurs et son taux de chômage a atteint 5,7%, un sommet depuis mars 2000. Et François Fillon, Premier ministre, annonce déjà des lendemains qui déchantent avec « une panne de croissance » pour la France l’an prochain, et donc des « conséquences » sur l’emploi. En Asie, le Japon a vu son excédent courant chuter de moitié en août, et sa production industrielle a baissé de 6,9%. Les prix du baril de pétrole s’approchaient à grande vitesse des 70 dollars, la dégradation de l’économie mondiale attisant les craintes de déclin de la demande.

Ainsi donc sommes nous entrés de façon visible dans un cycle où se nourrissent les crises qui trouvent leur fondement dans le capitalisme comme système : la crise de l’économie réelle crée la crise financière qui elle-même renforce la crise de l’économie réelle et ainsi de suite…

Une affaire qui vient de loin

Il est toujours surprenant de voir les responsables politiques, économiques, financiers faire mine de découvrir aujourd’hui les conséquences d’un système sur lequel ils sont assis, qu’ils défendent et qu’ils financent. Le maître mot, hier propagé par les alter mondialistes, aujourd’hui repris par le président de la République Nicolas Sarkozy lui-même des salons de l’Elysée ou de la tribune des nations unies ou encore de la présidence européenne est la nécessité de « maîtriser l’argent fou ».

Mais comment découvrir aujourd’hui ce qui constitue l’activité première des capitalistes depuis que le capitalisme existe !. Déjà dans les années 2000, alors que le fond spéculatif LTCM venait de s’effondrer menaçant d’entraîner avec lui la planète financière, des sommets de « Hedge Fund » se tenaient de part le monde, où on pouvait croiser des banquiers proposer des milliards de dollars à des gestionnaires de fonds pour faire de l’argent avec de l’argent[3]. Telle était la consigne chaudement approuvée alors par les représentants de la banque mondiale qui n’y voyaient que signe de bonne santé des économies américaines, européennes et asiatiques….

Le rapport à l’économie réelle a été immédiat avec la multiplication des opérations de LBO qui se sont développées considérablement dans la dernière période et qui ont permis aux capitalistes et aux actionnaires de se doper à coups de 15% de retour sur investissement, au détriment de « l’économie réelle »[4], des entreprises, des chefs d’entreprises parfois et bien sûr des salariés. Pour « mener à bien » ces opérations, ce sont les « fonds de capital-investissement » qui sont sollicités, particulièrement visibles sur le marché financier. Le volume des actifs que gèrent ces fonds particuliers est estimé à 1500 milliards de dollars. En 15 ans, il a été multiplié par 100 ! Une énorme force de frappe qui modifie le tissu économique et industriel. Leur fonction est l’acquisition d’entreprises[5].

En Europe ils frôlent les 160 milliards d’euros et en France ils franchissent la barre des 40 milliards. Ils contrôlaient 1500 entreprises françaises en 2006. Des entreprises ou enseignes de renom sont passées sous la coupe du capital investissement[6]. Ces fonds richissimes ? Oui et pourtant ils sont loin de posséder les sommes nécessaires aux rachats qu’ils effectuent. Là est la source de leur enrichissement vertigineux et des fortunes faites par les responsables qui en sont à la tête. Leurs acquisitions sont en effet financées pour la moitié, sinon les deux tiers, par emprunt via un montage financier nommé LBO[7] qui renferme des monceaux d’ingéniosité. Le LBO fait porter la dette par l’entreprise rachetée, laquelle rembourse les intérêts par la trésorerie qu’elle génère. Résultat, le fond se retrouve propriétaire d’une entreprise en ne mettant qu’un tiers à la moitié du prix nécessaire à son acquisition. Au bout de trois ans, après augmentation de la productivité, réorganisation, et presque toujours licenciements de salariés pour diminuer la masse salariale, l’entreprise est revendue à un prix bien plus élevé que ce qu’elle a coûté[8], revendue généralement à un autre fond, sur la base d’un nouveau montage de LBO, pour tirer à nouveau de la richesse de l’entreprise les profits qui permettent un enrichissement purement spéculatif. Décidément il fallait y penser. Le LBO revient en fin de compte à enrichir les fonds, leurs actionnaires, et les responsables qui achètent l’entreprise et un peu plus tard, « pour rationaliser les dépenses » à jeter à la rue les salariés qui auront permis par leur travail de dégager les marges nécessaires à l’opération. Exploité d’abord, viré ensuite ! Jusqu’à ce que l’entreprise elle-même n’ait plus de place dans le tissu industriel…

Cause toujours…

Il est assez cocasse dans ce contexte d’entendre tous les discours et de voir toute l’agitation dont le seul but est la préservation du système capitaliste qui pourtant porte en lui la tempête qui se déchaîne sous nos yeux.

Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et le Premier ministre britannique Gordon Brown ont exhorté Washington à « s’impliquer davantage pour améliorer la surveillance du système financier ». Il ne s’agirait donc que d’une seule question de surveillance alors que tout le système, financier bien sûr, mais économique d’abord basé sur la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit à tout prix, engendre les crises à répétition et celle que nous vivons actuellement.

Le Président Nicolas Sarkozy condamne « la crise de trop » et demande « une réorganisation du capitalisme. Avec les autres chefs de gouvernement réunis à Bruxelles, il prône un « nouveau Bretton Woods » en référence au sommet qui avait défini en 1944 un nouvel ordre financier mondial. Sauver le capitalisme, voila la ligne sur laquelle pour l’instant se brisent toutes les « bonnes volontés » gouvernementales.

L’affolement est tel qu’on assiste à une inflation d’arguments. Le président de la république déclare sa volonté de s’attaquer aux paradis fiscaux, aux agences de notation, aux fonds spéculatifs. L’association Attac serait-elle au pouvoir ? Car du côté des altermondialistes, on dénonce bien sûr le « néolibéralisme » dont on demande de sortir pour « mettre fin à l’emprise de la finance sur l’ensemble de la société ». Mais rien sur le capitalisme.

Le parti socialiste est traversé par la volonté de ses responsables d’emboîter le pas du Président de la République. Il y a quelques mois, le PS se rangeait, à la suite de tous les partis sociaux démocrates d’Europe, dans sa nouvelle déclaration de principes, derrière la défense inconditionnelle de l’économie de marché, c’est-à-dire du capitalisme, de la propriété privée et de la recherche du profit à tout prix. Aussi, alors que le gouvernement faisait voter son plan de 360 milliards accordés aux banques par les députés, les socialistes s’abstenaient. Mais non sans mal. François Hollande, premier secrétaire du PS et Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée, ont bataillé ferme pour que l’union nationale, conformément à la volonté présidentielle, soit réalisée et que les députés socialistes votent avec l’UMP le plan en faveur des banques. Manuel Valls et Pierre Moscovici, entre autres, ont défendu que « le sommet de l’Eurogroupe à Paris était la première manifestation d’un gouvernement économique de l’euro que la gauche appelle de ses vœux » et qu’il fallait donc en « soutenir les décisions »… Alignement derrière les institutions européennes, derrière le gouvernement UMP, derrière le sauvetage des spéculateurs, la réalité UMPS prenait un nouvel élan sous le coup de la crise, malgré la réticence d’élus socialistes qui à la veille de leur congrès voient assez mal un ralliement direct, sans arme ni bagage, sous la bannière sarkozyste. D’ailleurs l’ancien ministre socialiste, aujourd’hui président du FMI, Dominique Strauss Kahn, annoncé déjà comme le candidat naturel des socialistes en 2012, a été le premier à développer l’idée des « nationalisations provisoires », c’est-à-dire de ce jeu « à qui perd gagne » qui collectivise les pertes et garantit la privatisation des gains. Malgré lui, le président du FMI n’en lâche cependant pas moins le mot qui menace : la nationalisation, celle qui devrait permettre à l’Etat de s’emparer notamment des banques et de remettre dans la sphère publique ce qui a été privatisé depuis les années 80 et qui a nourri jusque là la spéculation mondiale, les profits de quelques-uns au détriment des intérêts et de la vie de la grande majorité des citoyens. La nationalisation dans le secteur bancaire et industriel, notamment de toutes ces entreprises viables qui préfèrent pour le profit de quelques actionnaires la délocalisation pour aller là où le salaire est moindre au détriment de millions de travailleurs privés d’emplois.

Mais comme toujours, la crise économique profonde du système capitaliste qui traverse le monde trouvera son prolongement sur le terrain social. Dans chaque pays et en France. L’emploi, les salaires, les services publics, la sécurité sociale – dont le déficit de 11 milliards d’euros était abyssal alors que 360 milliards pour les banques sont débloqués en une soirée- les retraites, l’éducation… tout ce qui constitue le ciment de la vie collective va être mis à rude épreuve. Car comme dans chaque crise, il faudra bien que quelqu’un paye. Et comme le disait Coluche, entre les pauvres et les riches ce sont toujours les premiers qui sont appelés à payer. Ils rapportent moins, mais ils présentent l’avantage d’être beaucoup plus nombreux que les riches….

Jacques Cotta le 16 octobre 2008


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