En ce moment, toutes les banques spéculent en Bourse. Et elles le font avec l’argent qui leur est fourni par l’Etat

jeudi 23 octobre 2008.
 

Il était une fois un écureuil qui voulait se changer en loup mais a été transformé en bouc (émissaire)... L’annonce d’une perte de 600 millions d’euros par le département « dérivé actions » de la Caisse d’Epargne a donné lieu à un invraisemblable numéro d’hypocrisie de la part d’un pouvoir pressé de parer à l’émotion populaire suscitée par cet « incident ». Au moment où 80 000 personnes participaient à la plus grande manifestation de la rentrée face aux restrictions de crédits dans l’école publique, la nouvelle risquait de mettre le feu aux poudres. Sarkozy s’est donc lancé dans un nouvel exercice de défausse, exigeant que les coupables soient sanctionnés pour mieux faire oublier le contenu de sa politique en faveur des banques

Car que reproche-t-on en définitive aux traders des Caisses d’Epargne. D’avoir joué les fonds propres de leur Banque en Bourse ? Mais c’est leur métier. Ils ont fait leur travail, en cohérence avec la politique suivie par la Caisse d’Epargne depuis son changement de statut en 1999. En effet, dès qu’il est sorti du secteur public, le prudent Ecureuil n’a eu de cesse de se muer en un redoutable prédateur des marchés. Le groupe a voulu devenir une « banque universelle ». Il a racheté des banques dans une stratégie offensive de « croissance externe ». Avec l’argent de ses déposants, il a créé une filiale cotée en Bourse, Natixis, qui l’entraîne aujourd’hui vers le fond. A travers une autre filiale, Nexity, il s’est lancé dans l’immobilier… et dès lors subit en plus le coût de la crise immobilière. Toutes ces décisions ne sont pas le fruit de trois traders. Elles ont été prises par toute la direction de l’entreprise au nom d’une stratégie approuvée par le pouvoir politique, notamment par les ministres de l’économie successifs, au nombre desquels compte Nicolas Sarkozy lui-même.

Reproche-t-on plutôt aux traders des Caisses d’Epargne d’avoir perdu de l’argent ? Leur hiérarchie peut le faire. Mais pas le pouvoir politique. Car pour que certains gagnent sur les marchés financiers, il faut bien que d’autres perdent ! L’attitude de Sarkozy ressemble à celle qui consisterait à décorer les parieurs victorieux à la fin d’une course hippique et à arrêter tous les autres pour avoir pratiqué un jeu immoral.

En ce moment même, toutes les banques spéculent en Bourse. Et elles le font avec l’argent qui leur est fourni par l’Etat ! Bien sûr, les milliards apportés aux banques ces dernières semaines sont présentées comme des moyens de « financer l’économie ». Jamais on ne nous a autant parlé des PME qui ont des difficultés pour emprunter. Mais en réalité, l’Etat n’a fixé aucune contrepartie à son plan de sauvetage des banques. Il n’a imposé aucune règle limitant leur activité spéculative. Par exemple, il ne leur a pas interdit la titrisation qui permet de se délester des crédits douteux. Il n’a pas davantage limité l’effet de levier qui permet d’acheter des actifs à crédit et de multiplier ainsi les gains spéculatifs… mais aussi les pertes. Derrière les poses, le système (dys)fonctionne comme avant.

Et cela d’autant plus que l’un des objectifs affichés par le gouvernement est de venir en aide aux actionnaires en aidant à la reprise des cours de Bourse. Or le niveau actuel des cours est la conséquence d’une bulle spéculative sans rapport avec l’économie réelle. Même après la dégringolade historique des derniers mois, le CAC 40 vaut aujourd’hui 3,5 fois son niveau de 1988. Si l’on enlève l’inflation, cela représente une hausse de 200% de la valeur des portefeuilles en action. Dans le même temps, la production réelle des richesses mesurée par le PIB n’a progressé que de 35%. Cela signifie que pour maintenir les cours il faut que les marchés financiers captent une part croissante de la richesse produite. C’est ce qui se passe avec les cotisations des futurs retraités lors du passage aux systèmes de retraite par capitalisation, avec la richesse produite par les économies émergentes, avec les crédits immobiliers titrisés ou encore en récupérant l’épargne des particuliers déposés sur le livret A et autres fonds propres de la Caisse d’Epargne que Sarkozy se lamentait il y a peu de voir échapper aux marchés financiers...

Il est donc impossible de maintenir le niveau des cours de bourse sans injection de crédits supplémentaires dans la machine spéculative. L’accroissement de l’exploitation des travailleurs par le travail du dimanche et autres mesures ne permettra pas de maintenir le taux de profit des entreprises car la crise de l’économie réelle va les frapper. Les autres ressources menacent de se tarir. La croissance chinoise marque le pas. Le coût du crédit augmente. La bulle immobilière se dégonfle. Dès lors que reste-t-il ? L’Etat et nos impôts, immédiatement appelés à la rescousse. L’un des objectifs des plans de sauvetage des banques adoptés partout dans le monde est de permettre à la spéculation financière de continuer avec l’argent des contribuables en pompant le travail humain de nations entières. Le seul tort des traders des Caisses d’Epargne est de risquer par leur maladresse de vendre la mèche d’un aussi explosif secret.


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