9 novembre 1938 : la nuit de cristal

dimanche 4 décembre 2022.
 

A) La "nuit de cristal" symbole de la terreur antijuive du nazisme avant 1939 (Jacques Serieys)

De 1919 à 1933, la terreur nazie s’opère essentiellement contre le mouvement ouvrier allemand (parti communiste et autres organisations anticapitalistes, syndicats ouvriers, quartiers de tradition antifasciste).

Génocide de la gauche allemande et des Juifs par les nazis : Nuit de Noël 1933 au camp de concentration extermination de Fuhlsbuettel

Dachau : Premier camp de concentration nazi 20 mars 1933

"Dachau, dans le camp des meurtriers" Livre d’Hans Beimler paru en août 1933 sur les débuts des camps d’extermination

Aussi, de grandes banques et de grandes entreprises capitalistes (particulièrement américaines et anglaises) subventionnent puis prennent à charge les salaires des SS et SA.

En 1933 et 1934, le principal objectif des nazis comme des forces de droite alliées au NSDAP consiste à réussir un génocide de la gauche allemande. Comme cela avait déjà été expérimenté contre les poussées démocratiques et sociales des années 1919 à 1925, l’antisémitisme devient déjà un moyen de mobilisation de milieux sociaux réactionnaires se laissant manoeuvrer par la logique des boucs émissaires. Les juifs subissent déjà une terreur de masse, y compris dans les camps de concentration.

Les groupes paramilitaires nazis et les Jeunesses Hitlériennes commencent dès février 1933 à brutaliser des juifs dans la vie de tous les jours et à briser des vitrines.

A partir d’avril 1933 au plus tard, les chefs régionaux du parti prennent en charge eux-mêmes la direction de cette terreur. Dans le même temps, les commerces et entreprises dirigées par des juifs subissent une première vague de boycott. La fonction publique se sépare d’un grand nombre de personnes jugées juives ou d’ascendance juive.

Les Jeux Olympiques de juin 1936 sont soutenus par les pays occidentaux malgré le racisme systématique du régime dans les organisations sportives depuis le printemps 1933.

1 au 16 Août 1936 : Aux Jeux Olympiques de Berlin, les "démocraties occidentales" valorisent le régime nazi

B) Nuit de cristal, nuit des barbares d’extrême droite (Brigitte Blang)

  1. En 1938, en Allemagne et en Autriche, le 9 novembre, c’est la Nuit de Cristal (en allemand Reichskristallnacht), la nuit des pogroms, des destructions de synagogues, de magasins, d’agressions contre les Juifs.
  1. Les brutes nazies, en civil pour faire croire à des mouvements spontanés contre ceux qu’on désignait comme les profiteurs, brûlent, pillent, brisent, frappent indifféremment hommes, femmes, enfants, livres et objets.
  1. Sait-on encore que les juifs seront condamnés à verser des amendes pour les troubles causés ?
  1. Sait-on encore que les Allemands (on veut dire les « bons aryens », bien sûr) trouvèrent scandaleux les incendies, mais ne s’émurent pas plus que ça des violences perpétrées sur les personnes.
  1. Nuit de cristal, dirent les nazis, en souvenir du joli bruit que fait une vitrine en dégringolant…

Brigitte Blang

C) 9 novembre 38 : vaste pogrom antijuif (Aigline de Causans, PG)

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 des militants nazis provoquent des émeutes antijuives sur le territoire du Reich. Au matin une centaine de juifs ont été assassinés, près de deux cents synagogues et lieux de culte détruits, 7 500 commerces et entreprises exploités par des juifs saccagés. C’est la nuit de Cristal, (Reichskristallnacht), en référence aux vitrines et à la vaisselle brisées cette nuit-là.

Présenté comme un mouvement populaire spontané, ce pogrom a en fait été décidé par le chancelier du Reich, Adolf Hitler, et minutieusement organisé par Joseph Goebbels. Le ministre de la propagande prend le prétexte de l’agression d’un conseiller de l’ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst vom Rath, par un jeune juif polonais dont les parents sont internés en Allemagne. À l’annonce de la mort de vom Rath, dans la soirée du 9 novembre, Gobbels dénonce un « complot juif » contre l’Allemagne et lance les SA et les jeunesses hitlériennes dans les rues pour brutaliser les juifs. Les consignes leurs précisent d’être en tenue de ville pour laisser croire à un mouvement populaire spontané. Les SS et la Gestapo soutiennent le pogrom, le prenant comme prétexte pour procéder à l’arrestation d’environ 30 000 hommes qui sont envoyés en camp de concentration.

Les nazis attribuent aux juifs eux-mêmes la responsabilité de la nuit de Cristal et infligent à la communauté juive allemande une amende d’un milliard de marks (soit 400 millions de dollars au taux de change de 1938) en réparation des dégâts qu’ils auraient provoqué. Le Reich confisque également toutes les indemnisations des assurances qui auraient dû être versées aux propriétaires juifs des établissements commerciaux ou des habitations pillés et détruits. Cette nuit de violence marque le renforcement des mesures antijuives. Le 12 novembre le plan de spoliation se met en œuvre avec une circulaire ordonnant la fermeture de tous les commerces de détail tenus par des juifs et la radiation de tous les artisans juifs des registres professionnels. Le processus d’aryanisation est complété le 3 décembre par un décret étendant ces interdictions à toutes les entreprises industrielles et aux biens immobiliers juifs.

Prémices de la Shoah, cette violence planifiée d’une nuit annonce des heures sombres pour l’Europe.

Source : https://www.lepartidegauche.fr/date...

D) Révélations sur la « Nuit de cristal »

par Hans-Jürgen Döscher, Maître de conférences à l’université d’Osnabrück

L’Histoire n°274, mars 2003, pages 18-19

Le 7 novembre 1938, un secrétaire de l’ambassade allemande à Paris était victime d’un attentat commis par un jeune Juif. Un crime qui allait servir de prétexte aux persécutions de la Nuit de cristal… Des archives nous révèlent les dessous inattendus de cette affaire.

Le 7 novembre 1938, un jeune Juif polonais de dix-sept ans, Herschel Grynszpan, se présente à l’ambassade d’Allemagne rue de Lille, à Paris. Il est introduit auprès du troisième secrétaire, Ernst vom Rath, et lui tire dessus à bout portant avec un revolver. Vom Rath s’effondre. Il va succomber à ses blessures dans l’après-midi du 9 novembre.

En Allemagne, dès le lendemain matin de l’attentat, une violente campagne de presse s’en prend à la population juive. Le soir du 8 novembre, des synagogues sont incendiées, des magasins juifs pillés. Et c’est dans la nuit du 9 au 10 novembre que, sur ordre de Goebbels aux Gauleiter (chefs de district du parti nazi) réunis à Munich, des pogroms ont lieu dans toute l’Allemagne.

Une centaine de morts et 30 000 déportés

La Nuit de cristal, comme l’appelleront les nazis, entraîne la destruction de 267 synagogues, de plusieurs milliers de magasins, la mort d’une centaine de Juifs et la déportation de 30 000 autres. La mort de vom Rath est ainsi le prétexte à une campagne d’une violence inouïe contre la population juive en Allemagne.

On a longtemps pensé que Grynszpan avait voulu tuer l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Johannes Graf Welczeck. Cet acte désespéré aurait été une vengeance personnelle après la déportation en Pologne de la famille de Grynszpan, domiciliée à Hanovre, à la fin octobre. Dès lors, le diplomate allemand devenait un martyr politique, lâchement assassiné par les Juifs. Le procès prévu contre Grynszpan devait même prouver au monde le combat de la Juiverie mondiale contre le IIIe Reich et contre la paix. Pourtant, il n’aura pas lieu, les nazis ayant découvert les véritables motivations du meurtrier – que des archives nouvelles font apparaître.

Les autorités du Reich s’efforcent d’étouffer l’affaire

Selon le rapport adressé au ministère des Affaires étrangères par l’ambassadeur allemand dès le 8 novembre 1938, Herschel Grynszpan avait dit au portier qu’il voulait parler au secrétaire d’ambassade, et non à l’ambassadeur lui-même, ce que confirme l’adjoint de service de l’ambassade le 18 novembre dans sa déposition auprès du juge d’instruction à Paris. Par ailleurs, Herschel Grynszpan avait été admis librement sans avoir à remplir de formulaire. Autant d’éléments qui laissent supposer que Grynszpan et vom Rath se connaissaient déjà.

D’autres témoignages déposés au parquet de la ville d’Essen, lors du procès contre Diewerge, un ancien conseiller auprès du ministère de la Propagande, prouvent que Grynszpan et vom Rath s’étaient rencontrés en fréquentant le milieu homosexuel parisien. Avant d’être muté, au mois de juillet 1938, à l’ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst vom Rath était en poste, depuis 1936, au consulat général de Calcutta, qu’il avait dû quitter, un an plus tard, pour des raisons de santé. De nouvelles sources indiquent qu’il souffrait d’une gonorrhée rectale – maladie provoquée par des rapports homosexuels.

Comment Grynszpan en est-il venu à tirer sur le secrétaire d’ambassade ? En juillet 1938, le ministère de l’Intérieur français refuse au jeune homme une demande de permis de séjour permanent parce qu’il est arrivé en France illégalement, qu’il a « perdu » son passeport et qu’il ne dispose pas de revenus réguliers. Grynszpan doit quitter la France au plus tard le 15 août 1938.

Or, il ne respecte pas l’ordre d’expulsion, préférant rester à Paris dans la clandestinité. Afin de légaliser son séjour et de pouvoir éventuellement retourner en Allemagne, il lui faut impérativement un visa de sortie et d’entrée. Ses parents confirment, en décembre 1938, qu’il a demandé au secrétaire d’ambassade de les lui délivrer. Mais vom Rath refuse, ce qui pousse Grynszpan à commettre l’irréparable.

« Les relations les plus intimes avec son petit Juif d’assassin »

En 1942, au cours de l’enquête sur ce crime, les autorités du Reich viennent à soupçonner des « rapports défendus » entre vom Rath et Grynszpan. Les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères s’efforcent alors d’étouffer l’affaire. Impossible d’avouer que celui dont le meurtre a été le prétexte à la « Nuit de cristal » était homosexuel.

Rappelons en effet qu’à partir du 1er septembre 1935 ceux qui sont convaincus du crime d’homosexualité encourent dans l’Allemagne nazie dix ans de travaux forcés et l’internement à vie dans les camps de concentration. Ils ne trouvent pas leur place dans un pays qui exalte les valeurs viriles et les assimilent à des sous-hommes, susceptibles de pervertir l’équilibre de la société allemande.

Déjà, l’assassinat des cadres SA, lors de la Nuit des longs couteaux (29-30 juin 1934), avait été l’occasion de stigmatiser les pratiques homosexuelles de Röhm et de son entourage. Cette persécution des homosexuels trouve surtout son aboutissement avec leur déportation dans les camps de concentration, où près de 20 000 « triangles roses » vont trouver la mort.

Pour justifier le procès spectacle que les autorités allemandes souhaitent à tout prix organiser contre Grynszpan, on demande donc à l’ambassadeur Welczeck de faire une déposition prouvant que c’était lui qui était visé.

Grynzpan se serait attaqué au secrétaire d’ambassade faute de mieux. Mais le comte Welczeck se refuse à toute déclaration sur un projet d’attentat contre sa personne.

Finalement, à l’automne 1942, les préparatifs du procès sont interrompus sans motivation officielle. Quant à Herschel Grynszpan, il semble qu’il ait été exécuté au camp de Sachsenhausen.

La vérité sur l’assassinat de vom Rath aurait pu éclater dès 1938. À l’époque, André Gide déclarait : « On saurait de source certaine que l’attaché d’ambassade von [sic] Rath qui vient d’être assassiné avait les relations les plus intimes avec son petit Juif d’assassin. De quelle nature fut l’assassinat ? Il n’importe. L’idée qu’un représentant du Reich, qui vient d’être glorifié, péchait doublement au regard des lois de son pays, est assez drôle, et les représailles atroces n’en paraissent que plus monstrueuses, plus simplement intéressées, utilitaires. Comment ce scandale n’est-il pas exploité par la presse ? » [Cahiers André Gide, Les Cahiers de la petite dame, 1937-1945, Paris, 1975, p. 122]


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