Manuels scolaires, socialisme et libéralisme

mercredi 12 novembre 2008.
 

La doxa libérale est malmenée comme jamais depuis quelques années au coeur de la société, mais elle continue de régner en maître au lycée. Tour d’horizon des nouveaux manuels d’histoire de première où la critique du capitalisme se voit ignorée, voire même diabolisée.

Un socialiste est aujourd’hui président de la République française. Mais le socialisme, lui, késako ? Les nouveaux manuels d’histoire qui expliquent les XIX et XXèmes siècles aux élèves de première devraient aider à y répondre. Flambant neufs, ceux-ci viennent à peine de sortir des imprimeries suite à une réforme des programmes initiée par le gouvernement Sarkozy. A la définition du socialisme, on n’y trouve pourtant que des réponses alambiquées. Et même, ça tiraille sec. Les responsables du nouveau programme nous imposent leur catéchisme libéral, mais l’on sent bien que les rédacteurs des manuels, eux, doutent que le Parti socialiste soit encore socialiste. D’après leur grille de lecture, il y a en tout cas peu d’espoir que le PS remette un jour à nouveau en cause le capitalisme.

Une critique en creux

Chez l’éditeur Belin, le libéralisme trône dès la deuxième page du cours, alors que le socialisme se traîne à la trois cent douzième. Excusez du peu. La relégation n’empêche pas ce dernier terme d’être défini : « Idéologie et mouvement politique prônant, par la révolution ou par des réformes, la remise en cause de l’économie capitaliste. » La double peine. Comment nous suggérer que depuis 1983 le PS s’est pris les pieds dans les mots ? Tous y sont, mais dans le désordre : « Depuis sa révolution, ce mouvement politique remet en cause son socle idéologique et prône les réformes nécessaires au capitalisme. » Quelle claque ! D’après notre brochette de rédacteurs agrégés, seuls Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou ont encore le droit au label.

Les éditions Nathan éditent, elles, deux manuels de première. Les deux ont un lexique, et dans les deux lexiques il n’y a pas de définition du socialisme. Comment faut-il l’interpréter cet oubli ? Le socialisme est-il devenu inutile ? Dans les deux ouvrages en tout cas, le libéralisme a le droit à une belle définition. Un des deux précise ainsi que le libéralisme veut « assurer l’enrichissement général », alors que dans la même colonne la finalité du marxisme est, elle, totalement ignorée.

Dans un des manuels, un cours consacré aux idéologies s’avère aussi assez instructif. Au titre des courants qui « ont justifié ou combattu le capitalisme et la mondialisation », le socialisme n’a le droit de cité qu’en couleur sépia, au XIXème siècle. Il représente alors « la voie réformiste qui entend améliorer le sort des plus démunis en faisant adopter des lois sociales ». Après ? Après ils disparaissent. Au XXème siècle, ils sont remplacés par les socio-démocrates. Le coup est rude. C’est pour cela que, parmi « les dirigeants des grandes puissances économiques » qui s’inspirent du libéralisme au cours des années 1980, le manuel oublie de citer Laurent Fabius et feu Pierre Bérégovoy. Il n’y en a que pour Reagan et Thatcher. Il eut pourtant été instructif de faire comprendre comment notre PS hexagonal changea alors de camp. La couverture de Paris Match où Hollande et Sarkozy soutenaient ensemble, sourire aux lèvres, la concurrence libre et non faussée du traité constitutionnel européen, en 2005, aurait pu illustrer le propos. Par tact, les rédacteurs se sont abstenus. Cela aurait pourtant permis aux étudiants de comprendre l’évolution du PS et pourquoi « au tournant du XXIème siècle » on ne parle plus du tout des socialistes parmi les résistants à la mondialisation et au capitalisme. Ils sont insensiblement remplacés par le « courant antimondialiste qui se mue bientôt en mouvement altermondialiste ».

L’autre manuel Nathan traite tardivement du socialisme. En page 337 seulement ! Seul le féminisme est plus mal traité, ses combats n’étant relatés qu’en dernière page du manuel. Autant dire que pour terminer son programme, le professeur pourra aisément sauter ce « cadrage ». Le chapitre s’intitule « L’organisation d’un puissant mouvement ouvrier ». Comme le programme constate le déclin du monde ouvrier, ce passage pourrait faire penser que le PS a disparu avec les bleus de travail. A moins que l’explication de ce traitement ne se trouve résumé en douce dans la biographie de François Mitterrand, hors cours, à la fin du manuel. Pour le coup, la charge est violente : « Issu d’un milieu de droite…, il dirige la Vème République pendant 14 ans, incarnant d’abord l’alternance et les grandes réformes, puis la conversion du socialisme à la "rigueur" ». Le mot libéralisme aurait été plus juste, mais point trop n’en faut. On se contentera de « rigueur ». Seuls les lecteurs attentifs remarqueront cette critique en creux. Mais c’est incontestable, voilà les socialistes habillés pour l’hiver. Malheureusement nos profs rédacteurs ne peuvent pas aller plus loin, ils sont encadrés par les responsables des programmes, qui par leurs choix, ont restreint le champ des possibles.

La fiscalité, connais pas

Les nouveaux manuels de première ne parlent pas de fiscalité. La question de l’impôt a tout simplement disparu du nouveau programme. C’est dommage, les manuels d’avant la traitaient. Hachette Education proposait ainsi « deux réponses théoriques à la dépression : plus d’impôts ou moins d’impôt », la légende des tableaux confrontait « la réponse libérale : la déflation » à « la réponse keynésienne : la relance ». Tout cela est tombé aux oubliettes. Pour légitimer une éventuelle réforme fiscale du nouveau gouvernement, ne comptez pas davantage sur un cours qui traiterait de l’augmentation des inégalités depuis les années 1990. On aurait pu l’espérer après le chapitre sur la mondialisation. L’apparition à la fois de travailleurs pauvres et d’ultra riches, une de ses conséquences, aurait pu être choisie comme un exemple de ces « Mutations des sociétés » traitées par le programme.

Rien. Les responsables du programme ont préféré un très consensuel cours sur « l’immigration et la société française au XXème siècle », ce qui fait réagir Annette Wieviorka, dans un article récent du la revue l’Histoire : « Les nouveaux programmes d’histoire tendent à faire communier les adolescents dans les douleurs du passé. »

La mondialisation est inévitable

Si par hasard les socialistes avaient l’audace de proposer une pause dans le néolibéralisme mondialisé, ils vont également devoir ramer à contre courant. Le nouveau programme conduit à une résignation sans faille. La mondialisation y est présentée comme une lame de fond. La doxa libérale a bien fait son travail. Les étudiants doivent comprendre que la mondialisation configure le monde depuis cent soixante ans, soit plus de cinq générations, et que ce n’est pas un petit pays comme la France qui pourra l’arrêter. Comme le prouvent des articles récurrents publiés dans le Monde, les profs d’économie des séries économiques et sociales (ES) tentent de résister aux injonctions du patronat et des chroniqueurs des Echos, mais les responsables des programmes d’histoire, eux, se sont couchés.

Aucun élève de lycée ne doit songer à y échapper. Pour cela les 10 premières heures de cours sont consacrées à « Croissance économique, mondialisation et mutations des sociétés depuis le milieu du XIXème siècle ». Même dans ses rêves les plus libéraux, Pascal Lamy, le patron de l’OMC, n’aurait pas osé. Le socialisme peut, au mieux, panser les blessés de la mondialisation. L’Histoire a prévenu notre nouveau président.

L’Etat providence est condamné

Le Belin termine son chapitre sur « Les bouleversements économiques et sociaux » par : « Depuis la crise des années 1970, les sociétés postindustrielles entrent dans une phase de croissance démographique et économique plus lente. Le chômage et la précarité renaissent : même s’ils sont amortis par l’Etat providence, ils rendent plus difficile son financement ». Point. Un nouveau chapitre commence.

L’histoire ne s’occupe pas de l’avenir. Sauf que les manuels réfléchissent à « quelle mondialisation pour demain ? ». Un poids deux mesures. Devant la mort programmée de l’Etat providence, l’élève devra se débrouiller seul avec cette conclusion. L’historien chargé de son éducation ne lui dira pas que la France n’a jamais été aussi riche. Il ne fera pas davantage le lien entre ces difficultés de financement et l’explosion des inégalités.

Les idéologies n’ont aucun pouvoir

Il n’y a donc plus rien à espérer. Le programme précédent faisait encore une petite place aux idéologies. L’introduction se faisait par les « transformations économiques, sociales et idéologiques ». Dans le nouveau, les idéologies ont disparu. Parties, à la trappe... C’est l’économie qui gouverne le monde et façonne la société, qu’on se le dise dans les cours de lycée. Avant, on étudiait « les courants qui tentent d’analyser la société industrielle pour l’organiser ou lui résister (libéralisme, socialisme, traditionalisme, syndicalisme) ». Tout cela est derrière nous. Le programme ne fait plus référence aux résistances au capitalisme. Certains manuels y consacrent encore une page, mais ce n’est pas obligatoire. C’en est donc fini de la conviction commune à Keynes et à son cher ennemi le libéral Hayek « que ce sont les idées qui mènent le monde ». Il n’y a pas d’alternative. Ici aussi le TINA de Thatcher s’est imposé. There is No Alternative.

La révolution impossible

Si par hasard, certains rêvent de forcer le destin par un grand soir, ils devront donc y regarder à deux fois avant de prôner la révolution. Le programme ne leur en donne qu’un seul exemple et celui-ci conduit directement au Goulag. La flèche est large et rouge de sang. Voilà le pourtant très conservateur Raymond Aron dépassé sur sa droite, lui qui écrivait dans son fameux cours : « Il serait injuste de juger l’ensemble du régime soviétique et son œuvre d’après le phénomène de terreur policière. » La Révolution russe de 1917 tue, mutile, déporte au même rythme que son cousin nazi. Et là, nos rédacteurs sont de concert avec les responsables des programmes. Dans un des manuels Nathan, la définition du Goulag renvoie à quatre pages, autant que les camps d’extermination. Le monde a bien changé en trente ans. Dès le deuxième renvoi, le bilan du NKVD dissuadera les plus énergiques. En deux ans, entre octobre 1936 et juillet 1938 précise la légende, 556 529 opposants seront condamnés à la peine de mort. De tels chiffres invitent à réfléchir à deux fois avant de s’insurger.

En histoire donc, comme ailleurs, les institutions défendent le libéralisme, avec d’autant plus de force que les individus doutent.

Bertrand Rothé


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