La victoire électorale du Front populaire et l’essor du mouvement social histoire

mercredi 19 novembre 2008.
 

Les surprenants résultats électoraux du 3 mai 1936 sont un moment essentiel d’un mouvement commencé depuis deux ans. Ils créent un climat politique favorable à la généralisation des grèves et à la mise en œuvre d’une politique gouvernementale conforme aux engagements pris.

Unis sur un programme électoral commun signé au début de l’année 1936, les différents partis du Front populaire se sont présentés sous leur propre drapeau lors du premier tour qui a lieu le 26 avril. Dans la campagne électorale, la lutte contre la crise, la défense de la démocratie, l’action contre le nazisme ont été à l’ordre du jour, en riposte aux dénonciations par la droite des « moscoutaires » et à l’impuissance économique des forces de gauche.

Quand on examine les résultats du premier tour, l’impression globale dominante est celle de la stabilité. Le taux de participation de 84,30 % est très élevé, signe d’une grande mobilisation de l’électorat, mais c’est à peine plus qu’en 1932 (83,68 %). La répartition des suffrages exprimés selon le clivage gauche/droite n’est pas bouleversée et ne connaît qu’une faible modification puisque la droite régresse, entre 1932 et 1936, de 37,35 % des inscrits à 35,88 %, tandis que les partis du Front populaire progressent de 44,48 % à 45,94 % des électeurs inscrits. Il n’y a pas eu de raz de marée électoral  : le clivage traditionnel de la vie politique française n’a donc pas disparu. Cela vaut également pour la répartition territoriale des votes. La gauche reste plus influente en milieu urbain et dans le Midi, alors que la droite domine dans le nord du pays et dans les zones rurales. Mais derrière cette stabilité globale, il y a des mouvements importants à l’intérieur des deux blocs électoraux, sans compter certains glissements entre eux.

La progression du PCF est l’élément le plus neuf de cette élection. Il double presque ses voix tandis que la SFIO conserve difficilement ses suffrages et que les radicaux en perdent près d’un quart. Les petits partis, adhérant au Front populaire, le PUP (Parti d’unité prolétarienne) ou l’USR (l’Union socialiste et républicaine), augmentent leurs voix. L’influence électorale du PCF s’affirme dans la plupart des départements où elle était jusqu’alors inexistante. La progression considérable des voix communistes est générale mais se fait sentir particulièrement dans les zones où le PCF était déjà très influent, en région parisienne ou dans le Nord. Fait nouveau, le vote communiste s’affirme dans les villes du Sud-Est méditerranéen. Il s’étend également dans certaines zones rurales, les départements du Lot-et-Garonne, de Haute-Garonne, de la Dordogne ou de la Haute-Vienne. Même si cette percée dans le monde paysan est encore limitée, elle reflète la nouvelle physionomie de l’électorat communiste. Ses gains sont hétérogènes  : dans le Midi ou en région parisienne, le PCF a attiré d’anciens électeurs socialistes. En revanche, ailleurs, notamment dans les zones rurales et dans le Centre, il a mordu sur le radicalisme. Une dimension inattendue dans le processus de mise en œuvre du programme de Front populaire

Le Parti socialiste, nettement devancé par les communistes en région parisienne, continue de dominer dans les grandes villes du Nord et consolide ses positions dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, au détriment des radicaux. Il subit cependant les contrecoups de la scission de 1933 car les élus socialistes dissidents ont souvent, en tant que maires, conservé une forte audience électorale. L’électorat radical connaît, lui, un délitement variable selon les régions. Ici, ce sont les partis du Front populaire qui en attirent une partie ; là, ce sont au contraire les partis de droite. Au bout du compte, le radicalisme perd de sa consistance et se replie sur ses bastions méridionaux où il est fortement concurrencé par les socialistes. La droite conserve ses positions fortes dans l’Ouest et le Nord, surtout dans les zones rurales, sans parvenir à progresser dans la moitié sud du pays. Les démocrates populaires, le courant politique chrétien social, ont gagné des voix ainsi que les conservateurs de l’URD au détriment des modérés de l’Alliance démocratique compromis avec les radicaux.

Au lendemain du premier tour, les partis de gauche lancent un appel aux électeurs pour qu’ils se rassemblent derrière le candidat unique du Front populaire. À l’issue, les partis du Front populaire disposent d’une majorité parlementaire confortable à condition que leur entente résiste à la victoire et se traduise dans une politique gouvernementale commune. Les mouvements sociaux qui éclatent au lendemain des élections introduisent une dimension inattendue dans le processus de mise en œuvre du programme de Front populaire. Ils indiquent, s’il en était encore besoin, que l’alliance de Front populaire, malgré ses ressemblances avec les accords électoraux antérieurs, le Bloc des gauches de 1902 ou le Cartel des gauches de 1924, a l’originalité d’impliquer le mouvement ouvrier à la mobilisation duquel les résultats électoraux contribuent avant qu’en retour l’immense mouvement de grève vienne infléchir, à son tour, la mise en œuvre du changement politique.

Nouveau rapport des forces à gauche. Seuls 174 députés (1) avaient été élus au 1er tour  : il y a 424 ballottages. Le second tour, le 3 mai 1936, avec la procédure des désistements, amplifie en termes de sièges le déplacement des voix en faveur des partis du Front populaire. Les désistements fonctionnent bien entre les candidats de gauche. Le scrutin d’arrondissement, rétabli en 1927 pour limiter la représentation parlementaire communiste, produit cette fois-ci l’inverse en consolidant les gains du premier tour. Le PCF, qui n’avait que 10 députés, en obtient 72. Le nombre de députés socialistes est en augmentation (146 contre 97 en 1932). Les radicaux, qui n’ont plus que 116 députés (contre 159), sont les grands perdants  : ils ne sont plus la principale formation.

(1) Le Front populaire et les élections de 1936, G. Dupeux, Paris, 1959.

Repères :

6 février 1934 L’émeute des ligues d’extrême droite devant le Palais Bourbon fait vingt morts.

24 octobre  1934 Maurice Thorez lance un appel à la formation d’un « Front populaire de la liberté, du travail et de la paix ».

18 janvier  1935 Un meeting commun réunit le PCF, la SFIO et le Parti radical à Paris.

Juillet-août  1935 Le 7e congrès de l’Internationale communiste approuve la stratégie du Front populaire.


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