Quelques réflexions après le meeting de présentation du parti de gauche (par Robert Duguet)

dimanche 7 décembre 2008.
 

Incontestablement la présentation du Parti de Gauche lors du meeting du 29 novembre à Saint Ouen représente un fait politique d’une ampleur considérable : pendant des années ceux et celles qui avaient la volonté de travailler au compte de la recomposition d’un projet politique anticapitaliste à gauche, qu’ils aient été membre d’organisations politiques ou non, avançaient à pas de tortue. Depuis 1983 tentatives avortées, découragement se succédaient aux espérances. 3000 militants regroupés, dont beaucoup ont derrière eux un long passé au compte du combat pour le socialisme, ayant fait pour certains plusieurs expériences à gauche du socialisme officiel, c’est une force considérable. Avec l’initiative prise par Marc Dolez et Jean Luc Mélenchon, l’histoire a fait un pas de géant. A l’heure qu’il est nous n’en mesurons pas encore l’importance, ni d’ailleurs les principaux protagonistes qui tâtonnent pour apprécier jusqu’où peut porter l’onde de choc.

Sans doute un certain nombre de militants trouveront des arguments pour rester sur les marges du rassemblement qui s’opère : est-ce le bon moment aujourd’hui ? n’aurait-il pas fallu sortir du PS après la victoire du non contre le TCE en 2005, alors que la direction Hollande était à genoux ? parti de gauche, parti autoproclamé ? parti clef en main ? le parti d’Oskar Lafontaine, Die Linke est-il un modèle à suivre ? Ne faut-il pas définir tout d’abord les éléments d’un programme ? On peut enchainer à l’infini les arguments avancés par certains, ce qu’on peut lire ici et là sur les sites internet. Marc et Jean Luc sont sortis du PS adossés à leurs propres habitudes politiques. Marc et Jean Luc sont deux personnalités qui ont durant des années guerroyés dans la gauche du PS. Jean Luc milite au PS depuis 1976 et a exercé à peu près toutes les responsabilités qu’on pouvait y exercer, expérience gouvernementale comprise. Comme tous ceux qui sont passés par la gauche du PS, durant le second septennat de François Mitterand, je fais partie des cadres politiques issus de la gauche socialiste qui n’ont pas approuvés certaines dérives et qui sont à l’époque sortis à la fois de la Gauche Socialiste et du PS. Fallait-il passer par ce chemin tortueux, celui de Jean Luc, fait de lumières ( citons au passage la prise de position courageuse contre l’aventure de la première guerre du Golfe), mais aussi de compromis boiteux conduisant à la désespérance ; beaucoup de camarades de la gauche du parti ont quitté toute activité politique, ou ont cherché un autre chemin dans les regroupements divers à gauche de la gauche sans pouvoir véritablement déboucher… J’ai par ailleurs connu Marc Dolez dans la courageuse campagne menée pour le non au TCE et je suis à nouveau revenu au PS pour combattre la ligne social-libérale, au moment où cette résistance s’est fortement exprimée à hauteur de 42% dans l’organisation socialiste elle-même.

Il semble qu’un certain nombre de militants politiques, dont par ailleurs je ne mets pas en cause la bonne foi, découvrent que Marc Dolez et Jean Luc Mélenchon sont des produits du parti d’Epinay ; comment peut-il en être autrement, ils y ont milité plus de trente ans. Lorsque la révolution russe de 1917 a entraîné la scission du congrès de Tours, ceux qui ont fondé la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste), étaient de purs produits du courant socialiste. Et alors, fallait-il être du côté de ceux qui voulaient isoler la révolution russe ou du côté de ceux qui voulaient nouer un lien puissant avec les classes ouvrières allemandes et françaises ? Poser la question c’est y répondre, le lien solide avec la révolution allemande, aurait sans doute évité la catastrophe du stalinisme…

Cherchons notre fil à plomb, nous qui sommes issus de la tradition du matérialisme historique et qui n’avons pas abandonné la perspective de construire le parti de classe. La crise financière mute en crise économique, il n’y a pas un jour qui passe sans que de nouvelles fermetures d’entreprises, délocalisations, développement du chômage technique ne ravage les conditions d’existence du salariat. Des convulsions sociales brutales et de grande ampleur sont devant nous. Nous avons besoin d’un parti qui soit un outil dans la crise sociale et politique qui s’avance, à la fois pour résister au cœur du mouvement social, c’est ce que les fondateurs du PG appellent « le bouclier social » mais surtout pour gouverner au compte du salariat. Ce qui reste du parti de François Mitterand va progressivement se déliter : la coalition derrière Martine Aubry est un ensemble profondément hétéroclite qui va de Strauss Kahn à Emmanuelli. Ségolène Royal a, de son point de vue raison lorsqu’elle déclare au lendemain du congrès de Reims, « nous vivons là les derniers soubresauts du vieux parti ». Face aux conséquences de la crise qui sont devant nous, le PS sera une machine à perdre les élections et au-delà du suffrage universel cela ouvrira à nouveau la porte aux aventures. Nos parents ont connu cela… la grande crise financière de 1929, la division du PS et du PC allemand aux ordres de Staline, la victoire de Hitler, la défaite de l’Espagne ouvrière et républicaine, le recours à la guerre pour permettre au capitalisme de surmonter ses contradictions… Nous ne voulons pas recommencer cette histoire.

Des expériences politiques s’achèvent, celle de la social-démocratie et des partis de la seconde internationale, qui partout ont liquidé le contenu progressiste du parti de Jaurès, défendre pour le compte du salariat les acquis sociaux et démocratiques, ceci permettant de faire exister dans la même organisation les courants réformistes et révolutionnaires. Partout la social-démocratie s’est couchée devant la mondialisation capitaliste, quand elle n’a pas, comme en Amérique Latine fait tirer sur le peuple. La décomposition du système stalinien à l’est, issu de l’isolement de la révolution russe, n’a pas généré autre chose que le retour à un capitalisme sauvage, avec des formes maffieuses, les nouveaux riches n’étant pas autre chose que les membres de l’ancienne nomenklatura. Un cycle historique s’achève, nous devons renouer avec notre tradition, celle de la première internationale, celle de Marx et Engels. Je crois à la possibilité d’un parti creuset qui regroupe en son sein des composantes venues de tous ceux qui dans la période précédente ont combattu pour l’émancipation socialiste autour d’un courant issu du socialisme historique en capacité de les fédérer, oui ! c’est ce qui vient de commencer à naître. Définir des objectifs politiques généraux suffit amplement pour construire un parti. Inutile de chercher à y inscrire une conception globale du monde, fut-ce celle du matérialisme historique. Permettre à l’intérieur de ce parti et au dehors l’existence de toutes les écoles de pensées, redonner sa place à une vivante discussion socialiste, voilà ce qu’il faut faire. De ce point de vue un tel parti regroupera forcément des composantes réformistes et d’autres plus à gauche, pour des mesures visant directement l’expropriation du capital.

Il me semble que la naissance du parti de gauche, pourrait permettre le développement d’une organisation de ce type. Ne restons pas sur la ligne de touche pour voir si Jean Luc et Marc sont en capacité d’aller jusque là, comme Denis Collin qui dans son abondante littérature depuis quelques semaines sur « la colline inspirée » d’Evreux, multiplie les obstacles théoriques tournant autour d’une question : le parti de gauche est-il le parti qu’il nous faut ? Le Linke allemand est-il un modèle à suivre ? Jean Luc et Marc vont évoluer dans des conditions précises, celle de la construction d’un nouveau parti. En avançant ils se dépouilleront du vieil homme, comme nous-mêmes du reste, ils s’en dépouilleront d’autant plus vite que les militants et la nécessité de répondre aux conséquences de la crise, seront leur environnement naturel. Là se pose et se posera la question programmatique de fond, celle de la démocratie. Etablir une passerelle avec les militants qui durant les deux dernières décennies ont été écœurés, ont abandonnés les partis de gauche… mais aussi d’extrême gauche, sont prêts aujourd’hui à relever le drapeau avec nous. Tendons-leur la main. C’est la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier qu’une génération manque en politique, celle des quarante ans, celle de nos enfants, tant la crise de la représentation politique a été profonde et dévastatrice à gauche. Pour passer cette période qui sera difficile à surmonter, nous avons besoin d’un « parti creuset », l’expression est de Jean Luc, mais le creuset n’est possible que si la pratique de la démocratie politique est pleine et entière. Ouvrons les portes et fenêtres, discutons. Bien sûr donnons-nous les moyens de constituer un front de gauche aux européennes en capacité d’infliger une défaite à la droite et au social-libéralisme. C’est possible… Mais discutons et agissons.

La naissance du parti de gauche est un enjeu considérable. Entrons-y, sans arrière pensée et sans tenue de camouflage. Jean Luc citait Bachelard dans sa conclusion : « l’avenir ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que nous allons faire »


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