3 juillet 1905 Aristide Briand rapporte le texte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat

dimanche 11 juillet 2021.
 

Présentation du texte par Aurélien Soucheyre, Journaliste

Juste avant l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État, Aristide Briand, membre du Parti républicain socialiste dans le Bloc des gauches, s’adresse à l’aile droite de l’Assemblée. Rapporteur du texte, il rappelle combien cette réforme est bénéfique à tous, ni anticléricale ni anticatholique, et qu’il n’a «  pas reculé devant les concessions nécessaires  » pour un consensus.

La loi stipule que la République «  assure la liberté de conscience  », «  le libre exercice des cultes  », mais «  ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte  ». Plus tôt, Briand a fait barrage au remplacement des jours fériés religieux par des jours fériés laïcs, à l’interdiction de la tenue ecclésiastique en public et à la confiscation des lieux de culte (ceux saisis en 1789 restent propriété de l’État).

Convaincu que cette loi est une «  double émancipation  », il a déjà rappelé que la Révolution française a séparé les Églises et l’État avant que Napoléon n’établisse le concordat, et que c’est l’attitude du pape Pie X qui conduit à l’abolition de ce régime. Mais il estime que, au-delà de toute conjoncture, «  la neutralité de l’État en matière confessionnelle est l’idéal de toutes les sociétés modernes  » et que «  le maintien d’un culte officiel est un défi à la logique et au bon sens  ».

Dès 1904, Jaurès argumente comme Briand qu’il n’y a pas d’égalité des droits «  si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance est pour lui cause de privilège ou de disgrâce  », que «  démocratie et laïcité sont identiques  », et qu’elles ne font d’ «  aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale  », car il est impossible de mettre un Dieu au centre de la loi et de la justice alors que la société est composée de confessions multiples et de non-croyants.

Pour que tous s’entendent, l’ordre social et légal doit être «  essentiellement laïc  ».

Intervention d’Aristide Briand le 3 juillet 1905 à l’Assemblée nationale : la liberté religieuse pour tous et la fin du culte officiel

Vous ne pouvez pas vous plaindre, Messieurs, d’avoir rencontré avec nous, sur le fond même des choses, un parti pris tyrannique puisque, dans plusieurs circonstances, sur des points graves, je pourrais dire essentiels du projet, nous nous sommes rendus à vos raisons, désireux de faire accepter la séparation par les nombreux catholiques de ce pays. Nous n’avons pas oublié un seul instant que nous légiférions pour eux et que les droits de leur conscience exigeaient de la loi une consécration conforme à l’équité. (…)

Nos collègues de droite nous avaient dit  : «  Nous n’avons pas confiance en vous, vous êtes une Assemblée jacobine, sectaire, passionnée (…) ; nous ne pouvons attendre de vous aucune justice, vous n’avez pas l’esprit libéral qui serait qualifié pour aborder un problème si délicat.  » (…)

Eh bien, je vous le demande  : que pouvez-vous nous reprocher maintenant  ? (…) Vous êtes allés à travers ce pays, inquiétant la conscience des catholiques, leur disant  : «  Prenez garde  ; une législature se prépare qui va fermer vos églises, persécuter vos prêtres, proscrire vos croyances.  » Eh bien  ! Nous voici à fin d’œuvre, et nous vous disons  : «  Trouvez dans cette loi une disposition qui justifie vos griefs.

Montrez un seul article qui vous permette de dire demain aux électeurs  : “Vous voyez  ! Nous avions raison de vous mettre en garde. C’en est fini de la liberté de conscience, c’en est fini du libre exercice du culte dans ce pays.” Non, vous ne pouvez plus dire cela, car manifestement ce ne serait pas vrai.  » Et la loi que nous avons faite (…) oui, nous avons le droit de le proclamer, c’est bien une loi de liberté qui fera honneur à la République (…).

Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion – les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par tradition de famille –, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains, qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable par l’Église. Messieurs, l’Église, je le répète, c’est, en France, plusieurs millions de citoyens.

Outre qu’on ne fait pas une réforme contre une aussi notable portion du pays, je vous demande s’il ne serait pas imprudent de provoquer par des vexations inutiles tant d’autres citoyens, aujourd’hui indifférents en matière religieuse, mais qui demain ne manqueraient pas de se passionner pour l’Église s’ils pouvaient supposer que la loi veut leur faire violence. (…) Eh bien, je dis que, telle que nous l’avons conçue, telle que nous l’avons réalisée, laissant aux catholiques, aux protestants, aux israélites ce qui est à eux, leur accordant la jouissance gratuite et indéfinie des églises, leur offrant la pleine liberté d’exercer leurs cultes sans autres limites que le respect de l’ordre public, permettant aux associations cultuelles de s’organiser en toute indépendance avec des facultés plus larges que celles du droit commun  ; (…) je dis, oui, j’ai le droit de dire qu’une telle réforme pourra affronter, sans péril pour la République, les critiques de ses adversaires  !

La loi que nous aurons faite ainsi sera une loi de bon sens et d’équité, combinant justement les droits des personnes et l’intérêt des Églises avec les intérêts et les droits de l’État, que nous ne pouvions pas méconnaître sans manquer à notre devoir (…). La réalisation de cette réforme (…) aura pour effet désirable d’affranchir ce pays d’une véritable hantise sous l’influence de laquelle il n’a que trop négligé d’autres questions importantes, d’ordre économique ou social (…). Mais, pour qu’il en fût ainsi, il fallait que la séparation ne donnât pas le signal de luttes confessionnelles  : il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement.

Nous l’avons faite de telle sorte que l’Église ne puisse invoquer aucun prétexte pour s’insurger contre le nouvel état de choses qui va se substituer au régime concordataire. Elle pourra s’en accommoder  ; il ne met pas en péril son existence. Si la vie de l’Église dépend du maintien du concordat, si elle est indissolublement liée au concours de l’État, c’est que cette vie est factice, artificielle, c’est qu’alors, en réalité, l’Église catholique est déjà morte.


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