La mondialisation de quoi, comment, pour qui ? (3 les instruments de la mondialisation des marchés )

lundi 28 août 2006.
 

Cette fois-ci, nous allons passer en revue quelques-uns parmi les nombreux moyens auxquels on a eu recours pour faire avancer le processus de l’intégration économique à l’échelle des Amériques. Nous commencerons par les accords de libre-échange parce que c’est le moyen qui a été privilégié dans les contextes canadien et québécois, après quoi nous verrons des stratagèmes puis des politiques auxquels on a eu recours dans les contextes des pays moins développés de l’Amérique latine.

1- Les accords de libre échange

Dans les Amériques, c’est l’Accord de libre échange (ALE) entre le Canada et les États-Unis, entré en vigueur le premier janvier 1989, qui a donné le coup d’envoi et ouvert la voie à l’intégration économique telle que nous la connaissons. Par la suite, la négociation s’est faite à trois, avec le Mexique, et l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) est entré en vigueur le premier janvier 1994. La même année, en décembre, le Premier Sommet des chef d’État et de gouvernement des Amériques amorçait les négociations qui devraient conduire à la création d’une Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) en 2005.

Jusqu’à maintenant, ces accords ont de nombreux points en commun. Ils se négocient en cercles fermés loin des forums que sont les assemblées parlementaires. Ils abolissent les tarifs douaniers sur de nombreux produits, affaiblissent les politiques protectionnistes des États et consacrent des droits nouveaux aux investisseurs, maîtres du commerce. Ces droits vont jusqu’à remettre en question la souveraineté des États en permettant à une entreprise de poursuivre un gouvernement et d’obtenir compensation si l’entreprise estime qu’une politique a nui à ses profits.

Ces droits présentent un autre aspect inédit, ils fonctionnent à sens unique. Un gouvernement ne peut poursuivre une entreprise. Pour les multinationales, c’est l’impunité : ces entreprises ne rendent des comptes qu’à leurs actionnaires et visent uniquement l’accroissement de leurs profits.

Au cours des négociations de ces accords, des voix se sont élevées. Entre autres, les mouvements syndicaux canadien et québécois se sont d’abord opposés fermement à l’ALE. Devant le fait accompli, la bataille s’est orientée vers la revendication de modifications du contenu des accords pour y introduire les droits des travailleuses et des travailleurs, les droits humains, les droits des femmes, les droits des autochtones et la protection de l’environnement et ce, au même titre que les droits des investisseurs.

Lors de la négociation de l’ALENA, alors que le Mexique se joignait au Canada et aux États-Unis, la mobilisation dans les trois pays a entraîné l’ajout de deux accords parallèles à l’ALENA. Ces accords parallèles portent sur le travail et l’environnement . Premiers pas timides dans la bonne direction, ces accords n’ont cependant pas de véritables mécanismes de sanction. Leur caractère est plutôt symbolique.

Dans la foulée de l’ALE et de l’ALENA, les négociations de la ZLEA visent maintenant à étendre les nouveaux droits du grand capital à l’ensemble des Amériques.

Pendant ce temps, des accords bilatéraux, (i.e. entre deux États), ont été signés entre le Canada et le Chili, par exemple.

Par ailleurs, des groupes de pays signent des ententes de marché commun, comme le MERCOSUR (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) avec deux États associés, le Chili et la Bolivie, ou réactivent d’anciens accords comme le Pacte Andin (Pérou, Équateur, Colombie, Vénézuela et Bolivie). Préparent-ils le terrain à la ZLEA ou sauront-ils l’infléchir en leur faveur ?

Les autres régions

Ailleurs dans le monde, les autres continents développent aussi les échanges et les organisent de différentes manières.

À l’est des Amériques, l’Union Européenne (UE) regroupe quinze pays qui se sont dotés d’institutions communes pour administrer les économies et les sociétés. Ils renégocient les termes de leur souveraineté respective et se sont donné une monnaie commune, l’euro. Ils ont consulté leur population par référendum sur le Traité de Maastricht. Ils ont négocié en vue d’harmoniser leurs politiques sociales. La libéralisation des échanges s’étend non seulement aux marchandises mais aussi aux personnes, aux services et aux capitaux.

À l’ouest, les négociations se poursuivent entre dix-huit pays qui bordent le Pacifique, dont le Canada, les États-Unis, le Mexique, le Chili d’un côté, la Chine, Taïwan, le Japon, l’Australie, l’Indonésie, la Corée du Sud, entre autres de l’autre, dans le cadre d’un Forum de Coopération économique Asie-Pacifique, mieux connu sous son sigle anglais APEC. Là aussi, les grands conglomérats sont partie prenante et organisés dans un groupe patronal appelé APEC Business Advisory Committee, ou ABAC. Là aussi cependant, des forces sociales sont à pied d’oeuvre et cherchent à s’imposer en tant que voix autonome et surtout, à imposer leurs revendications économiques, sociales et politiques propres, comme en témoigne l’affaire dite "du poivre de Cayenne" lors du Sommet de l’APEC à Vancouver en novembre 1997.

Au-delà des régions

Pendant qu’on s’activait au niveau régional, certains parmi ces mêmes acteurs préparaient la prochaine étape au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) autour de négociations qui auraient dû déboucher sur la signature d’un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI).

Derrière des portes closes, les négociateurs des pays membres de l’OCDE ont concocté un projet d’entente et une stratégie qui visaient à adopter une véritable Charte des droits des investisseurs, d’abord aux pays signataires, puis aux autres pays non signataires qui seraient forcés de signer l’entente un jour ou l’autre. Au mépris des engagements auxquels pourraient souscrire des gouvernements à venir, au mépris des populations, de leurs intérêts et de leur culture, au mépris des droits sociaux, l’accord aurait empêché qu’un gouvernement puisse entraver la circulation des capitaux.

Une fuite a révélé le contenu de cet accord et il s’en est suivi une levée de boucliers. Partout à travers les pays de l’OCDE, des protestations se sont élevées. Ici au Québec, l’Opération SalAMI a sensibilisé l’opinion publique. Des gouvernements ont fini par s’inquiéter et les négociations qui devaient reprendre à l’automne 1998 ont été déplacées vers l’OMC.

Entre-temps, des accords bilatéraux ou multilatéraux se négocient (par exemple la ZLEA) et reprennent les termes de l’AMI qui s’inspirait lui-même de l’ALENA. Le projet n’est donc pas mort et la mobilisation s’impose encore.

Le libre échange exacerbe la concurrence et entraîne des bouleversements considérables. Les lois du marché qui sont supposées permettre une meilleure distribution des richesses provoquent en fait le nivellement par le bas des conditions de travail et des politiques sociales. Au début de 1999, l’annonce par Bell Canada du projet de vente de ses services de téléphonie à une entreprise américaine où les salaires sont deux fois moindres que ceux des téléphonistes syndiquées est un exemple de la concurrence entre travailleurs et travailleuses de pays différents. Les réductions des politiques sociales au Canada et au Québec illustrent la concurrence entre les États. Sous l’empire des lois du marché, c’est le plus petit dénominateur commun qui s’impose.

2- Les zones franches

Dans les années suivant la Deuxième guerre mondiale, plusieurs pays ont eu recours à des stratégies économiques comme, par exemple, à la substitution des importations pour contrecarrer l’entrée de produits manufacturés venus de l’étranger, afin de favoriser un développement autocentré. Cependant, au début des années soixante-dix, sous l’impulsion de stratégies de croissance défendues par des spécialistes comme l’homme d’affaires Robert McNamara, ex-pdg de Ford Motor et ancien directeur de la Banque mondiale, sous l’impulsion du FMI également, les pays du tiers monde sont amenés à renoncer au nationalisme économique et à sortir du sous-développement en recourant à la promotion des exportations, c’est-à-dire en favorisant une intégration poussée à l’économie mondiale.

Selon les défenseurs de cette approche, les pays en développement se donneraient de meilleures chance s’ils bâtissaient une infrastructure invitante pour les multinationales. Ces infrastructures pourraient prendre la forme de zones franches de fabrication. Un zone franche est une zone à l’intérieur de laquelle la transformation est effectuée à partir de produits qui ont été importés en franchise de tout droit de douane et qui ne seront pas non plus taxés à la sortie à condition que cette production soit directement exportée. Certains prétendent que cette stratégie pourrait avoir des retombées favorables pour l’économie nationale parce qu’elle permettrait d’avoir accès à une technologie de pointe.

Dans les années soixante, les grands organismes prêteurs internationaux, des institutions privées comme la Ford Foundation et des banques privées ont fortement encouragé l’implantation des zones franches. Ces institutions ont poussé les pays du tiers monde à faire de gros emprunts pour créer l’infrastructure de telles zones. Bâtiments et usines d’assemblage, aéroports, gaz et électricité, logements pour les employés, installations douanières, bureaux gouvernementaux, magasins et routes devaient être construits pour attirer les fabriquants étrangers. Louer de telles installations à des coûts minimes aux multinationales était considéré comme essentiel à la création d’un climat favorable. On conseillait en outre d’offrir des facilités financières supplémentaires : exemptions d’impôts pour plusieurs années, rapatriement des profits, exemptions de douanes, tarifs préférentiels, financement et crédits divers pour la construction de ces zones.

Le pouvoir de persuasion des prêteurs est grand. De telles zones ont proliféré à un rythme galopant. Selon les pays, on les appelle zones de promotion de l’investissement, maquiladoras, zones hors taxes, zones de libre échange. Certains n’hésitent pas à dire que dans certains cas, il s’agit de véritables camps de travaux forcés.

Aux avantages consentis aux multinationales on trouve exactement l’inverse pour les travailleurs qui sont surtout des travailleuses âgées de quatorze à vingt-quatre ans, parfois moins. Les lois du travail ne s’appliquent pas dans ces zones, les multinationales y font la loi au sens propre du terme. Les normes de santé et de sécurité au travail sont pratiquement inexistantes, les normes de protection de l’environnement également. Les syndicats indépendants du pouvoir ou des patrons n’y sont pas tolérés. Les femmes doivent démontrer qu’elles ne sont pas enceintes. Elles vivent entassées dans des logements collectifs insalubres et leur salaire ne leur permet pas de se procurer les biens essentiels pour vivre décemment.

Les multinationales n’avaient pas attendu les zones franches pour aller exploiter les ressources naturelles (mines, produits agricoles et forêts) et la main-d’oeuvre à bon marché des pays du tiers monde. Les zones franches ont cependant permis une accélération du développement des multinationales, un nouveau déploiement de leurs activités et une relocalisation de certaines chaînes de production.

La stratégie d’attraction ou de maintien d’activités économiques sur place s’appuie, dans les contextes canadien et québécois, sur l’octroi d’avantages fiscaux et de subventions de tous ordres. Ottawa et Québec ne manquent pas de générosité et d’imagination et les multinationales locales (Bombardier, Lavalin) ou des géants étrangers (Kenworth, G M, Hyundai) en savent quelque chose. Les géants de l’aluminium qui profitent des tarifs préférentiels d’Hydro-Québec aussi.

La croissance de l’implantation d’entreprises dans divers pays a été facilitée par le développement des zones franches et donne à ces entreprises un pouvoir de négociation nouveau. Ce pouvoir repose sur la rivalité entre travailleurs de différents pays et la menace réalisable et souvent réalisée de déplacer les usines là où les salaires sont moindres. L’exercice de ce pouvoir a entraîné une tendance à la baisse des conditions de travail vers le plus petit dénominateur commun.

3- Les programmes d’ajustement structurel (PAS)

Les pays pauvres qui se sont consacrés au développement d’une économie orientée vers la promotion des exportations, la mise en place de zones franches ou la spécialisation agricole se sont retrouvés surendettés. Ils ont emprunté pour construire des infrastructures afin d’attirer les multinationales et quand les prix des produits se sont effondrés, ils n’avaient plus les revenus pour payer leurs dettes. Au début des années quatre-vingt, ces pays ont été contraints de renégocier leur dette et de souscrire de nouveaux emprunts.

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) imposeront alors des ajustements structurels grâce auxquels ils veilleront à protéger les intérêts du grand capital.

Le menu typique d’un PAS comprend au moins les éléments suivants :

- Coupures des dépenses gouvernementales : sous prétexte de lutte contre le déficit, tous les secteurs de l’activité gouvernementale notamment la santé, l’éducation et les programmes sociaux passent au couperet et on assiste à des pertes massives d’emplois.

- Levée des obstacles au commerce international : abolition des tarifs douaniers, concurrence des produits importés aux produits locaux, multiplication des faillites.

- Déréglementation des prix des biens et services incluant la main-d’oeuvre : abandon des subventions aux produits de base (pain, riz,) et à des produits essentiels (carburants), hausse des prix des produits de base, baisse des salaires, chute brutale du niveau de vie.

- Privatisation des entreprises publiques : comme plusieurs pays vendent en même temps, les entreprises étrangères achètent à rabais ; le fruit des ventes s’envole vers les pays riches pour payer les intérêts de la dette ; des services deviennent inaccessibles à des pans entiers de la population et le pays perd le contrôle de segments de la politique économique.

- Appuis aux exportations : politiques d’implantation de monocultures extensives (café, coton, ananas, céréales...) au détriment des petites cultures pour le marché local ; le pays est obligé d’importer ce qu’il produisait antérieurement et, comme les réseaux de distribution sont contrôlés par le nord et qu’ils sont plusieurs à offrir les mêmes produits, les prix s’effondrent. Au nord, nous payons les fruits et légumes exotiques de moins en moins cher.

- Augmentation des taux d’intérêt : le crédit devient inaccessible aux petites et moyennes entreprises locales et aux petits paysans et pousse les entreprises locales à la faillite.

- Dévaluation de la monnaie : cette mesure ne permet pas nécessairement d’augmenter les exportations (conséquence du peu de variétés de produits à exporter), mais entraîne à coup sûr l’augmentation des prix des produits importés, carburants, engrais, médicaments.

Bref, le niveau de vie des populations baisse, les revenus d’exportation baissent ou n’augmentent pas, la spirale infernale de l’endettement poursuit son cours vers le haut et les pays pauvres enrichissent les pays riches.

Nous aurons reconnu au passage des politiques chères à nos politiciens. En effet, même si nos gouvernements ne sont pas soumis directement vis-à-vis du FMI ou de la BM, cela ne les empêche pas de suivre les recommandations que lui fait le FMI, en particulier. Par ailleurs, endettés auprès de financiers privés qui brandissent la menace de la décote du crédit, ils adoptent volontairement des politiques d’ajustement sans qu’il soit besoin de leur imposer.

Au nom de la mondialisation, il faut être compétitif nous assènent-ils. Restructuration, fusion, reconfiguration, rationalisation, re-ingénierie, flexibilité, adaptabilité, compétitivité sont les principaux mots d’ordre du nouvel ordre mondial. Ce qui se traduit concrètement par des fermetures d’usines, d’hôpitaux, des pertes d’emplois, des conventions collectives à rabais, des transferts ou menaces de relocalisation d’usines vers des pays où la main-d’oeuvre est meilleur marché.

Les problèmes du tiers monde rejoignent les pays industrialisés : déficit zéro, coupures tout azimut, surtout dans la santé, dans l’éducation et dans les programmes sociaux (assurance chômage, assistance sociale, logement social), réduction du personnel dans la fonction publique (au Canada, abolition d’au moins 60 000 postes au fédéral et des dizaines de milliers au provincial incluant le réseau de la santé et de l’éductation), réduction des salaires ou de la masse salariale à tous les niveaux des appareils publics ou para-publics, fédéral, provincial, local et municipal.

Au début des années quatre-vingt, les taux d’intérêt ont grimpé jusqu’à 21 pour cent contribuant au gonflement des dettes actuelles de nos gouvernements. Ces dettes enrichissent les financiers prêteurs et leur permettent en outre de dicter la politique économique et sociale des gouvernements. Les taux d’intérêt officiels sont maintenant bas mais à cause du faible taux d’inflation, les taux réels sont quand même élevés.

Au cours de l’été 1998, le premier ministre Jean Chrétien, sans se réjouir ouvertement de la chute du dollar canadien, n’en a pas moins insisté sur les avantages que ce bas niveau procurait aux exportateurs de produits canadiens.

Le vent de déréglementation souffle aussi ici. Au Sommet sur l’économie et l’emploi, qui s’est tenu à Montréal en octobre 1996, le premier ministre Lucien Bouchard a, à la grande satisfaction des banquiers et des hommes d’affaires, annoncé la constitution d’un secrétariat à la déréglementation relevant directement de son bureau et pris l’engagement de créer un Groupe conseil sur l’allégement réglementaire, constitué très majoritairement de représentantes et représentants des milieux d’affaires, dont il confiera la présidence à M. Bernard Lemaire, président du conseil de Cascades. Le rapport du Groupe fut remis au premier ministre du Québec le 29 mai 1998. Dès le début de juin 1998, M. Lucien Bouchard, réagissant au dépôt de ce rapport, déclarait que « le gouvernement du Québec souscrit dans une très large mesure aux problématiques et aux orientations proposées ». On peut donc craindre qu’à défaut d’une très large opposition sociale, le gouvernement du Québec donne suite à la majorité des recommandations


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