Gaza : Nul ne pourra dire qu’il ne savait pas

dimanche 4 janvier 2009.
 

Bonsoir,

Il y a maintenant quatre heures que les blindés israéliens ont pénétré dans Gaza. Une armée sur-entraînée, équipée des systèmes de vision nocturne contre une population d’une densité incroyable.

On sait déjà que le décompte des morts sera terrible demain matin.

Il y a bien évidemment l’incroyable disproportion. Disproportion des forces militaires en présence. Disproportion des victimes déjà recensées depuis une semaine (rappelons-le quand même : 430 morts à Gaza, dont 26 femmes et 74 enfants, et 3 civils israéliens et un militaire de Tsahal).

Le Président de notre Union Européenne déclare : "A l’heure actuelle et à la lumière des événements des jours derniers, nous estimons que cette mesure constitue une action défensive, et non offensive".

Georges W. Bush lui aussi déclare que le Hamas "cible délibérément des civils israéliens innocents".

Et le soi-disant journaliste de France-Info que j’écoutais tout à l’heure parlait avec son ton doucereux de "l’offensive contre le Hamas et ses forces militaires"....

Et les gazaouites ?

J’ai été sur les lieux que ravagent actuellement les chenilles des tanks israéliens. J’y ai vu des maisons détruites, car trop proches des habitations des colons d’alors. J’y ai vu des gamins, excités par notre présence lancer des pierres sur un tank... et les tankistes riposter à balles réelles, la terre soulevée à quelques mètres des gamins. J’y ai vu des fermes détruites, des oliviers arrachés, des orangers mis à terre, des champs labourés par les chars, des fenêtres drapées de plastique.

Oui, j’y ai vu, et il y a déjà six ans, des civils, paysans, lycéens, écoliers cartable au dos, tenus en ligne de mire par des soldats sur-armés. J’y ai vu des populations civiles victimes de la pression militaire insoutenable de l’armée israélienne.

Alors permettez-moi de rester de marbre sur les déclarations actuelles, et de m’en tenir aux faits : 430 morts d’un côté et 4 de l’autre. Et ne me dites pas qu’il ne faut pas se référer aux nombres, que toutes les morts sont atroces... quand justement la presse et les pouvoirs refusent de considérer la mort des gazaouites comme une atrocité.

Permettez moi de vous rappeler les photos du massacre des jeunes engagés dans la police de Gaza. On nous les présente comme des "hommes du Hamas", alors qu’il s’agit plus simplement des jeunes qui ont trouvé un emploi dans un coin de terre où le chômage atteint les 80%. Regardez bien les photos. Ces hommes sont désarmés. Ils étaient en train de prêter serment. Les F16 ont largué leurs bombes à ce moment même. Acte héroïque ? ou violation des règles pourtant trop laxistes de la guerre ? Depuis quand les policiers sont-ils considérés comme des armées ennemies ? Qui plus est désarmés dans une cérémonie, dont on peut penser ce qu’on veut, mais qui ressemble à toutes les cérémonies de serment des forces civiles dans tous les pays du monde....

Ce qui est terrible dans la situation actuelle va au-delà des massacres qui sont perpétrés. Ceux-ci seront condamnés demain par un tribunal de justice international. Les massacres, malheureusement, constituent le lot de l’humanité.

Non, ce qui est terrible, c’est l’aveuglement. Ce sont les phrases de la négation qui, ceux qui s’intéressent à l’histoire du vingtième siècle le savent bien, font plus de ravage dans notre conception même de l’humanité, de la politique, des relations entre groupes, états et pouvoirs que le tragique des faits eux-mêmes.

Ne pas regarder la réalité, et se masquer derrière des mots creux, c’est d’ores et déjà nier le massacre qui s’est mis en place à Gaza.

Avant-hier, Israel, par la bouche même de Tzipi Livni, prévoyait d’envoyer des "convois humanitaires" à Gaza. Une telle distortion du sens de la langue ne peut qu’entraîner la confusion mentale, et derrière laisser la porte ouverte aux pires dérèglements historiques.

Oui, ce qui est terrible, c’est l’incapacité de nos journaux, de nos médias, de notre réflexion, et de nos dirigeants politiques à sortir du cadre étroit de la propagande pour regarder simplement la réalité en face : maintenir un million et demi de personnes sous un blocus qui détruit tout avenir et qui provoque la faim et nourrit la haine ne peut que provoquer des réactions. Prendre raison de ces réactions pour accentuer plus encore l’oppression est d’un cynisme sans nom.

La constitution française de 1793 en avait déjà prévu cette situation en proclammant : Article 33. La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.

Article 34. Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé ; il y a oppression contre chaque membre, lorsque le corps social est opprimé.

Article 35. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Si vous étiez gazaouite aujourd’hui, que feriez-vous de ces règles constitutionnelles ?

Ajoutons un dernier mot : Dans un premier temps, Israël a simplement cherché à nier l’existence même des Palestiniens. "Les Palestiniens, qui sont-ils ? Ils n’existent pas." déclarait Golda Meir.

Maintenant, en raison même de leur résistance, et quoi que l’on puisse penser des méthodes de cette résistance, une telle négation n’est plus possible.

Alors il s’en invente une autre, plus retorse encore, avec la complicité de toute la soi-disant "communauté internationale" : les Palestiniens n’ont pas de représentants avec qui on puisse discuter...

Il en a été ainsi de Arafat, il en est ainsi du Hamas, il en sera ainsi de tout autre représentant à venir, élu ou non, soutenu ou non par son peuple.

Le négationisme est la véritable plaie de l’intelligence, parce qu’il empêche l’analyse des situations concrètes, parce qu’il instaure la primauté absolue et intemporelle de l’idéologie. Parce qu’il repousse les humains en dehors de la sphère du langage et de la négociation.

Et si les complices du nouveau négationisme avaient une responsabilité plus grande encore, en ce qu’ils rendent possible la négation de l’autre et impossible la paix.

La paix, c’est toujours un pacte que l’on tisse avec ses ennemis. Nier l’existence de l’autre, c’est refuser la possiblité même d’une paix possible. Croyez-vous vraiment qu’un seul côté du conflit actuel soit dans cette posture ? Croyez-vous que les déclarations des dirigeants occidentaux puissent avoir quelque relation avec la vérification des faits qui est la seule antidote au négationisme ?

Il faut en finir avec l’idéologie, regarder la terrible réalité en face, et imposer la Paix par la présence des casques bleus de l’ONU le long de la frontière de Gaza. C’est pour cela que l’ONU a été créée. Qui aujourd’hui s’y oppose ? Pourquoi n’entend-on point parler de l’interposition des forces de paix internationales ? De quel aveuglement les flashs des médias sont-ils coupables ?

Ouvrons les yeux, oublions l’idéologie, agissons pour que la Paix redevienne un horizon possible. Et refusons la négation du réel, qui peut entraîner les pires horreurs.

Nul ne pourra dire qu’il ne savait pas.

Caen, 3 janvier 2009, 23h30. Hervé Le Crosnier


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