Gaza : La vérité coloniale en face… (PAR Denis Sieffert, Politis)

dimanche 11 janvier 2009.
 

Selon l’usage que l’on en fait, la tradition des vœux peut être routinière ou hypocrite. Par les temps qui courent, les nôtres seront cette année plus encore que d’habitude des vœux de mobilisation des énergies et de combat. Car même s’il y a dans nos vies, Dieu merci, des aspects personnels, nous avons en commun, nous autres, lecteurs ou journalistes de Politis, d’être des « animaux politiques », au sens d’Aristote. On peut le dire aussi plus drôlement, à la manière de Coluche : « Chaque fois qu’un avion s’écrase quelque part dans le monde, c’est sur nos pompes. » Non seulement nous ne savons pas nous murer dans l’indifférence, mais nous ne le voulons pas. Nous revendiquons d’être des citoyens actifs, face à la crise sociale, comme dans les guerres et les conflits. Et nous ne souffrons jamais plus que lorsque nous avons le sentiment de l’impuissance. C’est ce sentiment que nous éprouvons, bien sûr, depuis dix jours que s’abat un déluge de feu sur Gaza. Notre conscience est tout autant révulsée par l’incroyable conditionnement des esprits que par la violence inouïe de l’opération militaire israélienne. Le discours de l’homme de la rue en Israël, que nos médias relaient abondamment, qui soutient « à cent pour cent » (« à mille pour cent », disent certains) son armée commettant les pires atrocités dans l’étroit territoire palestinien, choque par son uniformité. De toutes les bouches tombent exactement les mêmes mots, les mêmes formules. « On n’a pas le choix » ; « On ne fait que se défendre. » Comme si une nation entière avait appris la leçon sous la dictée d’un chargé de communication diabolique.

Ainsi, tout Israël semble ignorer que ce n’est pas le Hamas qui a rompu la trêve conclue le 19 juin, mais un raid meurtrier de l’aviation israélienne, le 4 novembre. Plus grave encore, tout Israël ou presque semble tenir pour négligeable cette violence initiale : le blocus. Cette sanction économique injustifiable imposée aux habitants de Gaza depuis que le Hamas a pris le contrôle de l’étroit territoire, en juin 2007. La conscience majoritaire dans ce pays ne veut toujours pas connaître la violence coloniale, celle du blocus à Gaza, comme celle du mur et des expropriations, en Cisjordanie. Ou, tout simplement, celle du refus de la souveraineté nationale. Et, une fois de plus, c’est par la violence extrême qu’Israël évite de regarder la réalité coloniale en face. Sans les raids du mois de novembre, il aurait fallu commencer à se poser le problème du desserrement du blocus. C’est d’ailleurs manifestement ce que les dirigeants du Hamas attendaient en retour. Et c’est la raison pour laquelle ils avaient, fin juin 2008, imposé par la force le respect de cette trêve aux factions irrédentistes. Mais cette logique conduisait Israël à transgresser l’interdit de l’étiquette « terroriste ». Elle conduisait à faire « de la politique » avec le Hamas. Tous les faits et tous les événements qui pouvaient aller dans cette direction ont donc été comme effacés de la mémoire collective.

Sur le fond, ce pays est plus à l’aise dans le conflit que dans la négociation avec les représentants d’un peuple dont il a longtemps nié l’existence. La froide indifférence avec laquelle son armée peut en ce moment même massacrer toute une population montre que ce déni d’humanité n’est toujours pas surmonté. Les raisons profondes du massacre de Gaza sont là : dans ce rapport colonial. Israël mène aujourd’hui sa « bataille d’Alger ». S’y ajoutent des considérations de calendrier. Le leader travailliste (on croit cauchemarder en employant ce mot), Ehud Barak, ministre de la Défense, et la présidente de Kadima, Tzipi Livni, refont dans le sang leur retard sur la droite de Benyamin Netanyahou. Cela en vue des élections anticipées du 10 février. Et puis il y a le mystère Obama. Israël n’est pas trop sûr du futur président américain, qui doit prendre ses fonctions le 20 janvier. Du côté de l’Union européenne, en revanche, rien à craindre. La « mission » de Nicolas Sarkozy dans la région, même vaine, aurait pu être au moins naïve et sympathique, si elle n’avait pas suivi de trois semaines un geste politique de soutien inconditionnel à l’État hébreu. En rehaussant le niveau de partenariat commercial avec Israël, l’Europe s’est en effet privée de tout moyen d’action. De ce côté-là aussi le calendrier était donc favorable. Tout cela a donc peu à voir avec les roquettes du Hamas. L’écho planétaire de l’une des plus scandaleuses injustices de notre époque peut continuer de faire ses ravages. Principalement dans le monde arabo-musulman, qui ne peut pas ne pas avoir le sentiment d’être méprisé. Un écho que ni la censure israélienne ni la désinformation dans les grands médias ne parviennent à étouffer. Ce qui nous ramène à nos vœux. Ceux que nous formons pour nous-mêmes, pour Politis et pour ceux qui dans ce métier veulent faire entendre d’autres voix. Nous en sommes réduits aujourd’hui à crier notre indignation, à appeler à manifester, samedi prochain notamment [1] ; et, horriblement, à scruter les images qui pourraient enfin réveiller les consciences. C’est en cela que le massacre de Gaza nous avilit tous.

Notes [1] Symboliquement j’irai, à Paris, dans le cortège de l’Union juive française pour la paix.


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