Retour sur le Forum écologique du Parti de Gauche (par Guillaume Desguerriers dans Respublica n° 609)

mercredi 18 février 2009.
 

Ce samedi 24 janvier se tenait à Paris une grande première pour le Parti de Gauche (PG), le front de gauche et indirectement pour la gauche du XXIème siècle : le forum du PG sur l’écologie et le développement durable. D’abord, il ne s’agit pas de dire qu’en une journée le programme du PG concernant le développement durable a été fixé, et concrètement c’est même tout le contraire qui s’est produit !

La critique du texte mis en débat a été portée aussi bien par des intervenants internes au PG (entre autres Franck Pupunat, Corinne Morel-Darleux, Jacques Généreux ou Jacques Rigaudiat), que par des invités qui ont répondu chaleureusement à l’invitation (Martine Billard, député des Verts, et Hervé Kempf, journaliste auteur de « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme »). Dès les premières interventions, le texte initial a très justement porté sa désignation de « texte martyr » (et un grand merci a été adressé à la susceptibilité de ceux qui ont rédigé ce texte qui servi de base aux débats). La base qu’il proposait a été largement débordée, répondant en cela aux vœux des organisateurs de ce forum. Très rapidement, l’analyse initialement proposée (très économiste et macroscopique, rendant le capitalisme seul responsable de la dégradation de l’écosystème) est remise en cause : comment comprendre l’échec écologique des ex pays soviétiques ? Agir au niveau macroscopique suffit-il lorsque les modes de vie sont au cœur d’un système ? Quelle planification mettre en place ? La planification agit au niveau macroscopique (la société), or l’expérience des pays de l’Est montre qu’agir et penser l’action sur ce seul plan ne suffit pas.

Sur le plan macroscopique, la planification est discutée, complétée, enrichie et assise. Les grands changements de société ne peuvent être confiée à des intérêts privés pour lesquels priment « le temps court » alors que certains sujets (comme l’écosystème) demande des actions sur le « temps long ». Mais cette planification a été également discutée de manière culturelle : compte tenu de l’impact même du mot (lié aux expériences soviétiques des « gosplans »), un tel terme est-il encore souhaitable ? La réponse vient de notre propre fond culturel et de notre propre tradition politique, car la France et le Pacte Républicain sont liés aux planifications, et notre pays se dota du Commissariat au Plan (créé en 1946 sous De Gaulle et dissout par la droite après les manifestations du CPE) précisément pour relever les défis d’une communauté de destin voulant la paix, tant collective qu’individuelle. Des exposés de grande qualité ont montré l’imbrication de l’économie, de l’agriculture, de la société et de l’écologie. Une grande partie des échanges s’est faite sur les indicateurs, sur la critique du PIB comme boussole des politiques publiques, mais aussi sur la nécessité de se doter de plusieurs indicateurs (et non un seul !) et le contenu de ces indicateurs non exclusivement centrés sur le niveau macroscopique, mais tenant compte du niveau microscopique, c’est à dire la vie de l’individu-citoyen.

Le microscopique mine l’analyse purement macroscopique

De manière moins attendue, le texte servi également de base pour une critique profonde de l’approche de la politique Nombre de termes firent très rapidement leur apparition dans les interventions : « culture », « mode de vie », « mœurs », « référents culturels », « temps court – temps longs », « société de consommateurs », « valeurs culturelles », « l’avoir sur l’être », « du beau réservé aux riches et du sale réservé aux pauvres », etc. Autant de termes et d’expressions qui montrent que la question de l’écologie politique est l’occasion d’un débat plus profond que la seule critique d’un système économique. La conclusion majeure du forum est que la gauche du XXIeme siècle ne peut plus se contenter de rester sur ce plan macroscopique (économique et société), tout la pousse à aller affronter le capitalisme sur le terrain de l’éthique de vie, terrain sur lequel celui-ci règne en maître depuis que la gauche s’est enfermée dans l’analyse purement macroscopique.

L’écologique politique amène à constater que le capitalisme a dressé des individus pour que chacun d’eux désire et se réfère à des valeurs de vie qui rendent indispensable un système axé sur la production de toujours plus de biens matériels. Il n’a pas fallu attendre 1 heure de débat pour que des propos portent sur les valeurs de vie, sur la culture, sur le fait que c’est par cette main mise sur les consciences que le capitalisme se rend indispensable et fait accepter les énormes destructions dont il est la source. Mieux, les propos mirent en évidence que les pays soviétiques, négligeant les analyses en terme de culture et d’éthique, se sont construits eux aussi sur une vision productiviste et industrieuse de l’existence. Sur ce plan là, le choix du PIB (ou de son équivalent dans les pays soviétiques) pour guider les politiques publiques est révélateur : il n’est pas un choix économique, il est un choix relevant d’une vision du monde, de la société, et de la vie individuelle exclusivement tourné vers la production, l’exploitation du monde, le bien matériel.

Seul ce niveau d’analyse permet de montrer pourquoi, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest du mur de Berlin, les politiques conduisirent à la destruction de l’écosystème. L’analyse économique vient après, car elle ne décide que de comment fût mené ce choix éthique et culturel (par un centralisme d’état ou par la propriété individuelle).

Vers une rupture profonde avec la tradition de le Gauche du XXieme siècle

Il faut remercier le PG qui depuis le début propose une rupture profonde avec la tradition de la gauche du XXieme siècle.

D’abord une rupture avec les mentalités à gauche : qu’il s’agisse d’Eric Coquerel, de Jean-Luc Mélenchon ou de François Delapierre, tous ces intervenants ont eu a cœur de rappeller que le PG est désireux des expériences, des mentalités, et que la gauche doit nourrir des familles politiques, non pour s’étriper, se morceler, mais pour discuter, se concerter, échanger et s’enrichir.

Rupture sur les pratiques : le texte proposé pour initier la discussion fût un « texte martyr ». Il n’avait pas vocation à être l’introduction et au final... la conclusion du forum ! Il n’était là que pour faire réagir, lancer les débats, servir de point de départ et non être le point d’arrivée. La gauche du XXieme siècle est mourante de n’avoir pas su remettre en cause sa production idéologique.

Rupture également sur la vision élitiste : la gauche du XXIème doit repolitiser des individus isolés par les valeurs inculquée par le libéralisme anglo-saxon. Et il n’y a d’autres solutions que le vote, le débat et les référendum pour ancrer les grandes décisions d’une communauté de destin, comme notamment le choix des indicateurs qui doivent guider les politiques publiques. La tradition du XXIème siècle doit s’ancrer sur des individus-citoyens, acteur du Pacte Républicain (et non « consommateurs »...)

Enfin, une rupture est à venir avec l’arrivée en force de l’écologie politique. Car de manière très naturelle, tous les propos ont repris, notamment, les travaux d’André Gorz qui expliquait que l’analyse économique et sociale est une impasse, que la contradiction ultime du capitalisme n’est pas économique et sociale : elle est écologique. Car sans écologie : plus de vie humaine possible sur la planète. Or, ce niveau d’analyse de l’écologie politique englobe à la fois l’analyse macroscopique (économie, société), mais aussi le niveau d’analyse microscopique (l’individu). Et si la gauche a une grande tradition politique sur l’analyse macroscopique, elle est un « nain » sur le plan microscopique... et c’est précisément parce que la gauche a laissé ce terrain aux seuls libéraux qu’elle est toujours en retard. C’est pour cette raison que le terme « individualisme » renvoie souvent à un vulgaire« égoïsme », alors que des intellectuels de gauche ont toujours entretenu et défendu un « individualisme-républicain » porteur de nos valeurs.

Au final, mettre en place une planification écologique heurtera de plein fouet nos modes de vie, nos référents individuels, nos intimités, notre conception de ce que « doit être une vie heureuse ». Ces référents sont pour l’heure définis par les seuls libéraux : eux seuls imposent à l’individu les valeurs pour le guider dans ses rapports au monde, à lui même et aux autres (définition de ce qu’est une philosophie de l’individu). Si la gauche du XXIème siècle veut l’emporter, elle doit impérativement entrer et se battre sur ce terrain ; non pour diriger ou imposer « comment vivre », mais pour expliquer que des référents de vie, des valeurs de vie personnelles, il en existe plein et qu’il y a milles autres façon d’être heureux et de mener une vie sereine autrement qu’en possédant, achetant et travaillant des heures de vie durant pour rembourser ce que le libéralisme a imposé dans les valeurs comme étant « indispensable pour se sentir heureux ». Voila la rupture à venir : penser l’éthique et la culture, rompre avec l’émancipation individuelle comme conséquence évidente de l’émancipation collective et se doter d’une idéologie traitant du macroscopique aussi bien que du microscopique. Cette rupture à venir est certainement le plus grand défi que la gauche du XXIème siècle ait à relever car elle remet en cause 150 ans de culture politique. Mais les périodes de crise sont des occasions de révolution idéologique, ne doutant pas que celle-ci nous donnera de quoi construire un autre monde.

Guillaume Desguerriers


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