Adolescence des années 1960 : la fraiseuse et l’amour

mercredi 6 novembre 2013.
 

Georges Courbot "La pierre". Prologue de son récit autobiographique "Je suis né dans le socialisme"

Chez mes grands parents : Cyprien le rouge et Catherine la tsigane. Première partie de "Je suis né dans le socialisme" ( autobiographie de Georges Courbot, militant ouvrier)

Enfance et école à La Garenne Colombes : Deuxième partie de "Je suis né dans le socialisme" ( autobiographie de Georges Courbot, militant ouvrier)

C’est décidé, je serai fraiseur. Troisième partie du récit autobiographique de Georges Courbot : "Je suis né dans le socialisme"

Chez Citroën. Quatrième partie du récit autobiographique de Georges Courbot : "Je suis né dans le socialisme"

Au lycée Vauban pendant la guerre d’Algérie. Cinquième partie du récit autobiographique de Georges Courbot : "Je suis né dans le socialisme"

17 ans en 1960 : Usine, banlieue et vacances. Sixième partie du récit autobiographique de Georges Courbot : "Je suis né dans le socialisme"

Retrouver aussi la maison, les tensions, les engueulades, les cris et les brimades. Il n’y a plus de coups car Marcel sait que je ne me laisserai plus faire.

Oui mais il y a aussi les potes du rugby. Je me suis rouillé à lézarder sur la côte sauvage, il va falloir retrouver le rythme.

Marcel et Marinette sont allés en vacances à Ax les Thermes ; ils se sont fait des amis, les Maury, qui habitent La Garenne-Colombes aussi. Ils sont gérants d’un immeuble de studios meublés.

Les ouvriers de mon entreprise eux aussi sont revenus de congés. Peu sont bronzés car très peu peuvent se payer des vacances, à part les rares qui ont une famille en province. La reprise est laborieuse, les dos, les bras ont perdu l’habitude de l’effort physique sur de longues journées.

Ma mère du fait de ses problèmes de santé et de son bagage d’études a bénéficié d’un autre poste très promotionnel, elle est chargée des achats de la boîte. Elle occupe un bureau vitré face aux ateliers de fabrication. Je sens des jalousies à son encontre d’autant que son salaire a été revu en conséquence.

Ma Gertrude est bien reposée, il le faut car m’attend une pile de dessins figurant des pièces intéressantes que je vais devoir réaliser. Tant mieux les journées passent beaucoup plus vite lorsque la besogne est variée et pose des problèmes pour la réalisation finale.

Mercredi j’ai repris l’entraînement de rugby heureux de retrouver mes copains. Nous travaillons dur ! J’en ai pour deux jours de courbatures. Mon dirigeant Monsieur Barthès me fait la proposition de m’occuper avec deux copains de l’école de rugby le samedi après-midi. Bénévole bien sûr mais quelle fierté d’être choisi pour cette responsabilité valorisante qui doit débuter le 1er samedi d’Octobre.

Samedi j’ai récupéré mon scooter à la gare. Je suis heureux de retrouver ma mobilité, nous devons sortir ce soir avec Christian.

En ce début de soirée, je traînasse dans le quartier au guidon de mon Lambretta, lentement en quête de rencontre, copains, copines ?

En entrant dans la cité je tombe sur trois ou quatre filles qui discutent sur l’asphalte, coup d’œil deux ou trois que je connais depuis longtemps, pas trop d’intérêt.,,, Tiens mais il y en a une que je n’ai jamais vu, voyons un peu, je m’arrête, coupe le moteur, bonjour, je serre les mains, attention celles-ci pas de bisous sinon elles vont encore s’imaginer…. En revanche je suis très attentif à l’inconnue. Bonjour « jojo » elle répond « josy ». Poli je ne veux pas interrompre la conversation perturbée par mon arrivée. C’est Josy qui reprend le fil de la discussion ; elle raconte ses vacances en Suède. J’écoute ou plutôt j’observe. Très blonde, des cheveux très longs, soyeux et ondulés, très jolie silhouette, ses yeux bleus pétillent c’est une très jolie nana ! Sans aucun doute la plus belle du quartier ! Son âge ? Un peu moins que moi quoique avec les filles on ne peut être sûr. Elle parle aussi avec les mains, elle est expansive dans ses explications. Je comprends qu’elle aussi est fille de cheminot. D’où débarque-t-elle ? Je connais toutes les filles de la cité et surtout les SNCF. Je suis avec amusement la façon dont elle a posé une ballerine en avant talon planté et pointe de pied en l’air, cela me touche ! Cette fille représente tout mon idéal féminin : c’est elle !

Je l’ai rêvé mille fois et elle est là devant moi. Vêtue d’une robe beige cintrée à la taille et gonflante très mode sixties à la Nathalie Wood dans West Side Story. Cette fille n’est pas de notre monde, elle diffère trop des copines de la cité. Je dois savoir absolument où elle habite, très calme j’attends l’épuisement des jacasseries et sentant la dissolution du groupe chacune devant regagner ses pénates, je lui propose de la raccompagner (je vais bien voir d’où elle vient). Je suis surpris de son accord. Elle grimpe en amazone pour ne pas abîmer sa robe.

Cette façon qu’ont les filles de grimper sur les scooters avec leurs jupes gonflantes des années 60 est un ravissement pour les yeux. « Ca paye ! » (Notre expression favorite), ça paye quoi ? Nous ne savons pas mais nous le disons quand même.

J’espère que ma traversée de la cité n’est pas passée inaperçue. Pour se tenir elle a passé ses bras autour de ma taille, je sens sa chaleur. Elle me fait sortir de la cité et je prends la rue pavillonnaire direction Bois-Colombes, nous passons le passage à niveau, frontière entre nos deux communes, deuxième maison à gauche. Bois-Colombes, ses villas cossues. On baigne dans la bourgeoisie, je me doutais un peu que cette fille était d’une autre condition. Ma présence devant chez elle semble la compromettre, bisous furtifs « bonsoir josy ». Retour trois minutes après dans mon monde de bâtiments ; effectivement nous ne sommes pas passés inaperçus. Guy et François (un autre bon copain) me font signe de m’arrêter pour me poser des questions sur la fille grimpée sur mon scooter. Je fais l’indifférent, blasé « oui c’est une copine » « Elle est super d’où vient-elle ? » Tu penses si je vais vous le dire, je la garde pour moi, « salut les copains ! ».

Le soir, rentrés de notre virée, Christian couche dans mon lit et je repense à Josy. Comment la revoir ? Puis il y a aussi Nicole, ma relation du moment. Tout va bien. Dodo.

Tous les soirs j’ai rendez-vous avec Nicole, nous flirtons dans les coins tranquilles de la cité. Je pense toujours à la petite blonde, mais je l’ai perdue de vue. Chance, je la retrouve discutant avec des jeunes garçons et filles de la cité voisine. Cette fois je ne vais pas louper l’occasion. Elle accepte mon invitation à la reconduire en scooter. Avant son domicile je m’arrête ; elle m’apprend qu’elle travaille dans un bureau à Paris et qu’elle rentre tous les soirs à la Gare des Vallées au train de 19H15. Premiers baisers.

Chasse le naturel il revient au galop. Je vois Nicole à 18H30 juste après le boulot, il va falloir faire vite pour passer de l’une à l’autre ! Cependant j’arrive à assurer les horaires. Cela dure un bon mois jusqu’au moment où une sale jalouse informe Josy qu’elle n’est pas seule. Elle me téléphone au boulot pour savoir, dans le bureau de ma mère. J’ai horreur du téléphone, en plus ma mère est devant moi, ma pudeur en prend un coup ! Rupture.!

Cela va de plus en plus mal entre Marcel et Marinette. Ils en viennent aux mains, je me suis interposé plusieurs fois, cela ne peut plus durer. Ma mère est consciente qu’un jour il va se produire une catastrophe, il rentre très alcoolisé et surtout très nerveux et méchant. J’en parle avec ma mère : il faut trouver une solution. Elle en parle avec les Maury, ses nouveaux amis rencontrés cet été. Un petit studio va se libérer. Ma mère contacte un déménageur, je demande de l’aide au copain Daniel. Un matin dés le départ de Marcel nous déménageons à la cloche de bois, soucieux de partager équitablement les choses. Nous lui laissons tous les meubles. Seul le nécessaire pour vivre et la machine à laver Bendix que je me pèle sur le dos sur les quatre étages est enlevée. A 11 H c’est plié, nous sommes au studio. Marinette a acheté une banquette lit pour elle. Je bénéficie d’un lit pliant dans un meuble. Marcel à dû faire une drôle de tête en rentrant le soir, lisant la lettre laissée sur la table. Il ne va pas être inerte, il viendra à la sortie de notre boulot. Ma mère étant sur mon scooter il n’ose pas l’approcher, il va se faire une raison et se consoler quelques temps dans les bras d’une voisine.

Cela fait plus d’un an que je suis embauché, je pense donner satisfaction, j’ai le salaire tarifé d’un P1. Pour obtenir une augmentation je dois changer de catégorie professionnelle. Je suis confiant d’autant que le grand patron vient parfois le soir et me retient afin de démontrer qu’un concurrent a contrefait son système d’amortisseur. Pour ce faire je dois ouvrir à la fraise les appareils concurrents qu’il déposera au Tribunal. A chaque fois après ce travail il me glisse un billet dans ma poche de blouse. Le litige porte sur plusieurs millions de francs lourds.

Un matin arrive l’ingénieur dont je dépends, il m’amène un croquis de sa main pour réaliser un outillage. J’en profite pour lui demander de pouvoir passer P2. Je le surprends, il me dit que je n’ai pas 19 ans, d’autres professionnels plus âgés sont encore P1. Dans le service nous n’avons qu’un seul P3 après le départ de mon prédécesseur. J’argumente que je veux avancer dans le métier. Il comprend ; nous sommes en 1961, le plein emploi est la règle, on demande des fraiseurs partout et surtout dans notre banlieue nord-ouest où fourmillent des boîtes de mécanique. Je sais que le rapport de force est en ma faveur. Il me quitte, me laissant à la tâche qu’il vient de me confier.

En fin de journée je lui amène le travail demandé que j’ai particulièrement soigné ! J’espère qu’il m’en sera gré. Il se montre satisfait et me prends à contre-pieds, je m’attendais à une promotion automatique pour bons et loyaux services. Il a discuté avec les deux autres ingénieurs du service. Je dois passer un essai professionnel. Il me remet un plan et un morceau de matière cylindrique creux en bronze. Je pige tout de suite, ils m’ont coincé, si je ne réussis pas ce sera de ma faute et pas de la leur, et je pourrai attendre longtemps pour passer P2. « Merci messieurs ! » Je redescends retrouver ma Gertrude ! Je regarde le dessin, il faut complètement usiner en croix ; la pièce va être fragilisée dès que j’aurai attaqué la moitié de la croix. Elle va casser ou s’écraser. Ils m’ont eu, c’est une pièce pour un fraiseur accompli, j’en suis encore très loin. Le soir j’emmène le plan et la pièce dans notre studio.

Ma mère ne connaît rien au fraisage, mais elle comprend qu’ils m’ont filouté, ce sont des ingénieurs ! Je réfléchis, si j’étais P3 je saurai traiter ce problème, comment faire ? Cela va s’écraser dès la moitié de la réalisation. Après réflexion l’idée me vient, la pièce est creuse, il faut la remplir pour la rigidifier. De plus, si je me loupe, rien ne m’empêche de faire une autre pièce en bronze et de recommencer. Ils n’ont pas poussé le vice jusqu’à apposer un repaire. Je m’entends bien avec les tourneurs, ce ne sera pas un problème. Le lendemain je demande à un tourneur de me fabriquer une pièce en aluminium qui comblera le creux et apportera la rigidité espérée. J’enfile la pièce en alu dans celle en bronze, je vérifie que les deux soient solidaires. L’usinage avec cette combine se déroule sans problème. A la fin de la réalisation je n’ai plus qu’à retirer ce qu’il reste de l’aluminium. La pièce est aux côtes et conforme à la demande. Je biche, j’attends 14 H pour remonter au bureau d’études. Ils sont là, et prennent un café. Je tends la pièce propre, ébavurée, impeccable à l’ingénieur et lui rends son croquis. Il regarde ma réalisation, la passe à ses collègues, reprend la pièce en main et me dit « c’est bon tu as gagné tu seras P2 à la fin du mois ! » Puis il jette la réalisation de mes angoisses dans sa poubelle ; je suis frustré, révolté, mortifié, cette pièce n’était qu’une éprouvette ! Sortant de son imagination tordue.

A la fin du mois je passe de 3,10 F à 3,40 F, trente centimes sur 200 H avec les heures supplémentaires cela fait plus de 60 F d’augmentation par mois. C’est considérable.

Depuis mon départ avec ma mère de la cité des cheminots je ne vois plus les potes et je ne veux pas risquer de rencontrer Marcel, cela pourrait mal tourner.

J’ai changé de quartier. Pour moi c’est donc boulot, dodo, rugby. Plus de petite amie non plus !

En ce dimanche 24 Décembre 1961 ? Veille de Noël je vais faire un petit tour en scooter à la gare des Vallées, peut-être avec de la chance vais-je croiser un copain où une copine. Je tourne, vire, personne ! en désespoir de cause je remonte la rue afin de retourner à la maison.

Quand j’aperçois une silhouette qui me rappelle quelqu’un. Un quart de tour de poignée d’accélération, je suis à sa hauteur : Josy. Culotté je lui fais la bise comme si je l’avais quitté la veille. Depuis un moment je m’en voulais de la façon cavalière avec laquelle j’avais rompu. Taraudé aussi par l’obligation du séjour aux armées qui m’attend inexorablement. Comment s’engager dans une relation qui à peu de chance d’aboutir et qui peut faire souffrir les deux parties. Mais là devant Josy, toutes mes interrogations s’envolent. Elle cherche une guirlande pour le sapin de Noël de sa petit sœur Françoise qui a deux ans. Grand seigneur comme toujours je l’invite sur mon cheval et nous partons à a recherche de la lumière !

Ensuite je la raccompagne chez elle. Bisous, que fait-elle cet après-midi ? Elle aussi a un beau-père et a rendez-vous avec lui à la Gare St Lazare pour acheter une robe de chambre à sa sœur Françoise. Pas plus sérieux à 18 ans qu’à 17 ans voyant qu’elle est prête à renouer avec moi, je lui propose de l’amener au Marché aux puces de St Ouen pour trouver son cadeau et elle accepte ! Le Pierre (son beau-père) il va faire le poireau sous l’horloge de la Gare St Lazare pendant longtemps. Nous passons un après-midi idyllique, c’est reparti entre nous, je suis heureux d’avoir effacé ma maladresse. Gros problème pour elle, le lapin posé à son beau-père lui rapporte une privation de sortie de plusieurs semaines.

Malgré la punition nous nous rencontrons tous les soirs après le boulot. Notre relation s’affirme. Nous sommes bien ensemble, nous parlons d’avenir, mais je suis toujours soucieux de la fragilité d’un engagement avant le service militaire.

Janvier 1962, je suis en arrêt de travail pour une angine carabinée contractée au Rugby. Je suis donc alité avec 40° de fièvre. Josy va m’attendre en vain, que va-t-elle encore penser ?

Je demande à ma mère de prévenir par téléphone la jeune fille. Devant mon embarras elle découvre en même temps notre relation. Ma mère appelle Josy, mais en plus elle l’invite à venir me voir ! Aie ! La relation s’officialise malgré moi, je suis piégé. Josy s’ouvre aussi à sa mère de notre histoire. Cette dernière désire faire ma connaissance. Le piège se referme. Elle me reçoit chaleureusement et me fait visiter la maison et la chambre de Josy me faisant remarquer le négligé du rangement. On ne peut pas dire qu’elle vante sa marchandise….

Toujours sous le coup de la punition nos deux génitrices se rencontrent et se mettent d’accord sur l’évolution de nos rapports amoureux. Tout m’échappe, je ne contrôle plus rien. Josy viendra chez moi manger tous les mardis soirs et nous pourrons sortir le dimanche pour les matchs de rugby jusqu’à 19 H. Courant mars Josy à trouvé un nouvel emploi d’aide comptable mieux rémunéré et à Colombes ce qui la rapproche de son domicile. Un soir alors que nous sommes tous les deux, une 2 CV s’arrête près de nous. Josy se raidit : son beau-père Pierre ! Le type se déplie de sa voiture, il est très imposant ! Que va-t-il se passer ? « Vous jeune homme suivez moi à la maison « Josy et moi le suivons. L’entrevue sera rude mais fructueuse. Plus de punition du tout, quelle joie.

Notre histoire va s’étoffer, s’affermir, Josy m’accompagne à chaque rencontre de rugby ; elle va m’attendre dans le froid, sous la pluie bien sagement en compagnie d’autres compagnes de mes partenaires du club. Tout cela pour vivre après le match des moments d’extases, de caresses et de baisers dans le petit studio de ma mère. Celle-ci étant comme chaque dimanche chez mes grands parents. Le repos du guerrier ! mais tout cela en restant dans le respect de son intégrité. La proximité de mon départ sous les drapeaux nous interdit toute folie.

Au boulot, notre équipe s’est trouvé renforcée par l’arrivée de deux nouveaux compagnons venant d’une entreprise rachetée par mon employeur. L’alcool est très présent dans le monde de la métallurgie. Le litre de vin posé au pied de la machine fait souvent des aller retour entre le sol et le gosier.

L’entreprise a fait installer depuis quelques mois des distributeurs de boissons avec fontaine d’eau froide et chaude. Pour le sirop et le viandox cela coûte 20 centimes. Tout de suite bien sûr nous avons réalisé des rondelles en métal à la dimension de la monnaie et en avons fait profiter tous les amis ! S’apercevant de notre roublardise la direction a eut vite fait de calculer que le prix du métal et de la fabrication de la monnaie artificielle coûtait plus cher que le sirop et le viandox. Dès la première découverte de la maigre recette la gratuité est installée.

Me vient à l’idée de faire une niche à un type, la quarantaine, qui a été victime du STO (Service Travail Obligatoire) pendant l’Allemagne nazie. Ce compagnon quitte son poste pour soulager sa vessie aux toilettes, je subtilise son litron de rouge par un litron contenant du viandox pur. Avec les potes nous attendons patiemment son retour en pouffant derrière nos machines. Quand il revient, il remet son tour en marche et deux à trois minutes plus tard, il reprend son geste usuel vers le goulot et en avale une gorgée. Nous nous esclaffons, pliés de rire. Lui recrache le viandox, il a compris tout de suite que j’en suis l’instigateur. Furieux il se dirige vers moi et l’attrape par le col de ma blouse. Les copains nous séparent heureusement car le type est gaillard. Il me dit « Jojo tu peux toucher à ma femme, mais jamais à mon litre, c’est compris ! » Nous resterons bon copain par la suite, il n’est pas rancunier Robert.

D’autres anecdotes croustillantes, telle celle où nous devons tester les tiges d’amortisseurs d’EBR (ceux de mon usinage) composées d’acier Martin . Elles sont traitées mais pas trempées à cœur, leur rupture occasionnant l’arrêt du char. Ces tiges de 14 mm de diamètre nous les serrons verticalement très fermement dans un étau et avec un long tube nous tirons dessus pour déterminer si elles se plient ou si elles se rompent, ce qui signifie la défectuosité.

Nous sommes à deux agrippés au tube pour faire levier afin de contrôler. Dans les entreprises il y a toujours des individus proches de la direction. Ils sont qualifiés de plusieurs noms d’oiseaux : jaunes, fayots, mouche, mouchard, faux-cul, collabo etc. Nous nous méfions toujours de ces personnages prompts à renseigner le patron. Un parfait spécimen du genre que nous surnommons » pied d’alu « se pointe au moment où nous tirons comme des cinglés sur le tube. Nous y mettons toutes nos forces. Avec son accent du terroir il se fout de nous et décide de nous montrer son efficacité. Il tire sur le levier, rien ne se passe, la tige reste intacte. En désespoir de cause il monte sur l’établi et commence à pousser la tige et son tube. Cela résiste, alors il recule ses pieds et prend appui sur le mur et progressivement ses pieds gravissent le mur à reculons. Il est presque à l’horizontale quand brusquement la tige craque, il s’envole, passe par-dessus l’étau et va atterrir un mètre plus bas sur le ventre. Il est sonné, les bras en croix, il souffle comme une locomotive à l’arrêt. On lui dit « tu vois cette tige n’était pas bonne » Nous allons chercher du secours pour l’emmener à l’infirmerie, où ce que nous appelons l’infirmerie c’est-à-dire un petit bureau avec quelques produits et un lit de campagne. Son état nécessite une huitaine de jours d’arrêt pour accident du travail. L’histoire fera plusieurs fois le tour de l’usine déclenchant l’hilarité de toutes et tous.

Il me reste encore d’autres histoires d’atelier dans ma besace, mais mon objectif n’est pas un recueil d’anecdotes ouvrières dans ces écrits.

Dans cette année 1962 je ne suis pas présent au massacre du 8 février au métro Charonne, mais je serai dans la rue avec des centaines de milliers d’autres pour la grande manifestation du 13 février. Le sinistre préfet de police Papon passera sans dommage ce crime organisé quand il sera jugé et condamné pour crimes contre l’humanité, ces faits ne seront pas pris en compte dans son procès ! L’indulgence de notre justice s’exerce beaucoup plus pour certains criminels que pour d’autres. Quelques exemples : Le Vilain assassin de Jaurès, les insurgés de l’Algérie Française qui seront graciés, alors que d’autres comme le Groupe Action Directe vont croupir dans les prisons sans mansuétude. Justice de classe qui protège les possédants et pourfend le défenseur du peuple.


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