Au Tréport, les éoliennes en mer font des vagues

mercredi 8 septembre 2010.
 

Symbole du développement durable au Danemark, les éoliennes en mer créent la polémique en France. Un projet de gigantesque parc porté par La Compagnie du Vent au large du Tréport (Seine-Maritime) suscite une levée de boucliers.

L’appel massif du gouvernement visant à construire les premières éoliennes au large des côtes françaises n’est pas encore lancé (lire encadré), mais la tempête gronde déjà. L’ambiance est électrique au Tréport (Seine-Maritime), petit port de pêche situé entre Dieppe et la baie de Somme. Pêcheurs, commerçants, habitants, élus, longue est la liste des opposants au projet de Parc des Deux-Côtes, porté par La Compagnie du Vent, filiale de GDF-Suez.

Sur les plans, l’entreprise envisage de mettre en service, à l’horizon 2015, 141 éoliennes à une quinzaine de kilomètres des côtes, sur une superficie totale de 73 km2, soit quatre fois la taille d’une ville comme Rouen. Il s’agit du projet de parc éolien marin actuellement le plus avancé. De quoi susciter des débats publics publics houleux, le dernier en date ayant eu lieu ce mardi (7 septembre).

Figure de proue de l’opposition, Alain Longuent, maire du Tréport (PCF, élu sur une liste Union de la gauche). Tout en reconnaissant que le débat public, "bien mené" a eu le mérite de soulever les bonnes questions, il s’emporte : "Comme la plupart des habitants et comme certains maires des côtes d’Albâtre et Picarde, dont celui du Touquet, je m’oppose au projet. Ce serait une catastrophe économique et touristique pour Le Tréport, dont le coeur de ville bat au rythme du port et de la pêche, et dont les eaux sont, à l’échelle française, l’une des plus riches en poissons. Une catastrophe aussi pour les 240 marins qui ne pourraient plus pêcher, et pour les commerçants qui en dépendent (poissonneries, restaurants...).

Par ailleurs, il se pourrait que le prix de rachat, par EDF, du courant produit par La Compagnie du Vent, soit scandaleusement élevé (30 centimes d’euros le kilowatt au lieu de 10 centimes d’euros), ce qui risque, en bout de course, de léser les consommateurs."

Pêcheurs en colère

Olivier Becquet, directeur de la Coopérative des artisans pêcheurs associés (Capa), a le sentiment de "se faire marcher dessus" et déplore l’attitude "cavalière" de la Compagnie du Vent : "Ils sont arrivés comme si le projet était déjà fait, alors que le gouvernement n’a pas encore annoncé les sites retenues pour les premières éoliennes offshore françaises. D’ailleurs, si, dans son futur appel d’offres, le gouvernement confirme le choix du Tréport, il faudra de nouveau un débat public."

Et d’enfoncer le clou : "Je ne suis pas réfractaire aux éoliennes, mais pas comme ça. Pourquoi s’implanter dans des zones de pêche ? Nous avons fait des propositions alternatives, mais sous couvert de propositions peu satisfaisantes, La Compagnie du vent campe sur ses positions." Quant à l’attrait touristique que pourraient représenter les éoliennes, Olivier Becquet assène, grinçant : "Soyons sérieux, on ne me fera pas croire que ce sera la cohue pour venir assister au coucher du soleil derrière les éoliennes !"

"On a déjà trois centrales"

"On ne vient pas au Tréport pour faire des bains de mer ou de soleil. Sans la pêche, que devient Le Tréport ? Une ville morte !" reprend Gérard Bilon, qui préside l’association Sans offshore à l’horizon, fédérant les opposants au projet. Et de dénoncer, "de jour comme de nuit", la gêne occasionnée en termes visuels par ce long "rideau d’éoliennes".

Ex-cadre d’EDF, il ajoute : "Avec deux centrales nucélaires (Panly et Paluel) et une centrale thermique (Le Havre), la côte d’Albatre assure déjà 10% de la production électrique française. En alimentant 900 000 habitants, les éoliennes de La Compagnie du Vent produiraient douze fois moins que ces trois sites réunis. D’ici 2020, il n’y a pas le feu au lac. Nous avons le temps de réfléchir à des projets d’énergies renouvelables plus raisonnables." Et de sonner la rassemblement : "On a un mastodonte en face, mais on garde l’espoir de lui faire entendre raison."

La Compagnie du Vent tempère

Chef de projet du parc des Deux-Côtes pour le compte de La Compagnie du vent, Jean-Mathieu Kolb joue l’apaisement : "Que l’on se rassure, si le projet doit se poursuivre, nous prendrons le temps de la réflexion et comptons bien tenir compte de tous les arguments."

Jean-Mathieu Kolb souligne aussi l’appui, "sous conditions", de certains acteurs économiques locaux (régions et chambres régionales de commerce et d’industrie de Haute-Normandie et de Picardie, départements de la Seine-Maritime et de la Somme) et de plusieurs associations, "comme Picardie Nature". Il évoque par ailleurs un "gisement de 2 000 emplois sur trois ans, dont 650 à 900 localement, pour la fabrication et la construction du parc, et de 150 emplois pérennes, pour trente ans, pour l’exploitation du site".

Ce mardi, jour de clôture du débat public, l’entreprise a proposé d’amender certains points. "Pour rendre son projet de parc éolien compatible avec toutes les activités de pêche, y compris au chalut", elle s’est dit prête "à aligner les éoliennes dans le sens des courants marins et à enterrer les câbles reliant les éoliennes à un 1,50 m de profondeur. Un périmètre de sécurité resterait interdit à la navigation et à la pêche, à proximité immédiate de chaque éolienne. Il constituerait une réserve à poissons par la mise en place de récifs artificiels au pied des fondations."

Autre amendement suggéré : "Les premières éoliennes seraient implantées à 15 km des côtes, au lieu de 14 km, et la distance moyenne des éoliennes du projet avec la côte passerait à 18 km au lieu de 16 km, comme initialement prévu."

Bientôt un appel d’offres massif

Arguant du retard de la France dans le domaine de l’éolien marin, le gouvernement doit lancer ce moi-ci un appel d’offres massif visant à construire environ 600 éoliennes offshore (c’est-à-dire au large des côtes), soit un investissement estimé à 10 milliards d’euros. Pour atteindre les objectifs du Grenelle de l’Environnement, le ministère de l’Ecologie et du Développement durable (23% d’énergies renouvelables en 2020) mise en effet en partie sur la production future de 25 000 mégawatts par les éoliennes, dont 6 000 en mer. Mais voilà : avant même que la liste des sites retenus ait été dévoilée (une douzaine de zones sont actuellement envisagées), des boucliers se lèvent un peu partout contre les éventuels projets, notamment chez les pêcheurs, comme en Seine-Maritime et dans les Côtes d’Armor.


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