1968 1998 Retour des rebelles

lundi 2 mars 2009.
 

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. » Lancée en conclusion du Manifeste, la résolution des communistes a fait long feu. Rangée au musée des utopies révolutionnaires, avant de se retourner contre eux, l’Internationale a changé de camp. Des bourgeoisies triomphantes sont en passe d’imposer l’union planétaire de l’exploitation de l’homme, acharnées à déconsidérer, démanteler ou réprimer toute les formes de résistance organisée.

Et pourtant, des résistances existent bel et bien : syndicats des maquilas (usines d’assemblage) du Mexique, des zones franches de l’île Maurice, des usines esclavagistes du Bangladesh, du Salvador ou du Nicaragua (1) ; organisations de paysans sans terre ou en lutte contre les multinationales de l’agrobusiness au Brésil, en Bolivie, en Colombie, au Honduras, au Pérou, en Inde, aux Philippines, au Sénégal, au Mozambique, au Togo, mais aussi en Europe : France, Espagne, Suisse, Norvège, Estonie... ; minorités ogonie, sahraouie, maorie, maya, aymara... combattant pour leur survie et la reconnaissance de leurs droits ; ouvriers et employés mobilisés contre la flexibilité, les privatisations, délocalisations et licenciements au Canada, aux Etats-Unis, en Argentine, en Belgique, en Allemagne, en France, en Ukraine, en Indonésie, en Corée du Sud... ; membres de mouvements de chômeurs ou d’étudiants, militants écologistes et des droits humains, des associations de consommateurs ou du secteur alternatif...

Au Canada, les travailleurs refusent la privatisation des services postaux ; en Amérique latine des paysans occupent des terres au risque de leur vie ; d’autres, en Inde, détruisent le siège de Cargill ou, en France, les stocks de maïs transgénique de Novartis. A tout instant, quelque part dans le monde, sous une forme ou sous une autre, le mouvement social organise des résistances ou conduit des offensives qui, si elles bénéficiaient de la même couverture médiatique que les opérations de concentration capitaliste ou l’activité boursière des grandes places financières, révéleraient à tout un chacun l’ampleur des luttes. Contrairement à ce que ressassent les grands organes d’information aux mains des puissances d’argent, les exploités n’ont pas abandonné le combat et ne se sont pas résignés à subir leur condition.

A commencer par le mouvement syndical, volontiers traité avec commisération, et dont on ne cesse d’annoncer la mort prochaine par dégénérescence. Effectifs en baisse régulière en Europe comme en Amérique du Nord, tombés au-dessous de 10 % en France, réduits de moitié en moins de deux décennies aux Etats-Unis, où le plus important syndicat - et l’un des plus actifs -, celui des camionneurs, les Teamsters, a vu ses adhérents passer en vingt ans de 3 à 1,5 million ; bureaucraties frileuses, soucieuses avant tout de leur pérennité ; crispations corporatistes et nationalistes, etc. Le diagnostic n’est guère contestable : l’Internationale syndicale a une génération de retard sur celle du capital.

Elle est encore incapable d’élaborer et de conduire, comme l’adversaire, des stratégies mondiales, adaptées en particulier aux nouvelles formes d’exploitation, comme le télétravail. D’une part, dans les entreprises, ses structures sont fragiles ou inexistantes : il aura fallu, par exemple, plus de vingt ans de luttes pour que soient légalisés, à l’échelon de l’Union européenne, des comités de groupe au sein des firmes transnationales.

En outre, les moyens d’information et d’action concertée sont limités : un syndiqué sur deux n’est rattaché à aucune des organisations internationales. Lesquelles sont encore marquées par les divisions héritées de la guerre froide entre une Fédération syndicale mondiale (FSM) en pleine déconfiture depuis la chute des régimes « communistes » de l’Est et une Confédération internationale des syndicats libres (CISL) dominée par les courants les moins contestataires de la social-démocratie, à commencer par son président, le très conservateur Britannique Bill Jordan, et la majorité du syndicalisme allemand, néerlandais, japonais, américain. Sans parler de la Confédération mondiale du travail (CMT), à base confessionnelle, où se retrouvent aussi bien les chrétiens belges de la Confédération belge des travailleurs chrétiens (CBTC) que les Polonais de Solidarnosc ou le syndicat Prospérité (SBSI) indonésien, contraint à la clandestinité.

Et pourtant, l’action concertée reste la principale crainte d’un patronat qui n’a jamais véritablement accepté la liberté syndicale et le droit de grève. Partout dans le monde, il s’acharne à poursuivre et réprimer sections et délégués. Cela va du licenciement - 75 000 cas en cinq ans en France - à l’élimination physique par des milices et « escadrons de la mort » à sa solde. En Indonésie, par exemple, où dictature militaire, népotisme, violence et corruption sont érigés depuis trente ans en système de gouvernement, seul est toléré un syndicalisme officiel sous contrôle du pouvoir et de l’armée. A la plus grande satisfaction des investisseurs... Les syndicats indépendants, regroupés dans la SBSI, sont pourchassés, leurs responsables arrêtés et jetés en prison, leurs cadres assassinés.

Aux Etats-Unis, autre exemple, le big business et sa grande presse, en particulier le New York Times, appuyés par la majorité républicaine conservatrice du Sénat, s’emploient avec succès à déstabiliser et faire tomber à coups de révélations et d’enquêtes la direction des Teamsters. En particulier, le courant qui, en son sein, incarne la renaissance syndicale (Teamsters for Democratic Union) et qui est coupable d’avoir fait céder le patronat lors du conflit d’United Parcel Service (UPS) de l’été 1997 (2).

Malgré tout, les capacités d’action demeurent considérables. La principale organisation internationale, la CISL, regroupe plus de 180 millions d’adhérents, dont plus de 55 millions dans l’Union européenne. La mobilisation conjointe de ces effectifs, voire d’une partie d’entre eux, sur des cibles et des objectifs précis suffirait à faire reculer n’importe quel cartel de transnationales et, à terme, à modifier le rapport de forces. D’autant que, comme l’ont bien montré les récentes grèves, aussi bien en France, qu’aux Etats-Unis, en Belgique ou en Corée du Sud, la solidarité avec la minorité la plus active s’étend rapidement à la majorité de la population. Notamment à des travailleurs que la pression du chômage, la précarité de l’emploi et le chantage patronal dissuadent de participer activement au mouvement et qui en sont donc réduits à arrêter le travail par procuration.

Un peu partout se développe un syndicalisme plus revendicatif, local, professionnel, capable de faire la démonstration de l’utilité et de l’efficacité des luttes. Lorsque les organisations traditionnelles se révèlent réticentes à prendre en compte ces nouvelles exigences, elles sont concurrencées sur le terrain par de nouveaux syndicats et coordinations. Le mouvement de rénovation gagne les confédérations autrefois membres de la FSM, sud- africaine (Congress of South African Trade Unions, Cosatu), brésilienne (Central Unida dos Trabalhadores, CUT) ou belge (Fédération générale du travail de Belgique, FGTB).

A côté du mouvement syndical, on assiste à une floraison d’associations d’une richesse et d’une diversité étonnantes, et qui participent à la contestation du nouvel ordre mondial : des mouvements associatifs locaux aux organisations non gouvernementales (ONG) internationales, ils sont, au total, plusieurs centaines de milliers à mobiliser plusieurs centaines de millions de militants. Comme le proclame le manifeste de la Conférence des peuples contre le « libre »-échange et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tenue à Genève en février 1998 : « Le plus important est de développer l’action directe contre la mondialisation (...). Seule une alliance globale des mouvements populaires, respectant l’autonomie et facilitant une résistance tournée vers l’action, peut vaincre le monstre (...). Nous affirmons notre volonté de combattre (...) toute forme d’oppression (3) ».

Christian de Brie Journaliste.

(1) Lire Maurice Lemoine, « Les travailleurs centraméricains otages des “maquilas” », Le Monde diplomatique, mars 1998.

(2) Lire Rick Fantasia, « Spectaculaire victoire des camionneurs américains », Le Monde diplomatique, décembre 1997.

(3) Secrétariat de la conférence : AMP, c/o IAS, 5, rue Samuel-Constant. CH-1201 Genève. (http://www.agp.org) Malgré la répression ouverte ou larvée, un mouvement syndical affaibli ou divisé, l’indifférence ou l’hostilité des médias, les exploités n’ont pas abandonné le combat


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