Traité constitutionnel européen : "Il s’agit, en fait, de constitutionnaliser un modèle économique : le principe de libre concurrence" (JL Mélenchon, octobre 2003)

dimanche 10 avril 2005.
 

Un vote massif pour le " non " Jean-Luc Mélenchon

par Jean-Luc Mélenchon, co-animateur du courant Nouveau Monde. Entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 24 octobre 2003 Propos recueillis par Caroline Monnot

Vous êtes résolument hostile à la ratification du projet de Constitution européenne. Vous appellerez à voter " non " ?

Les socialistes ne peuvent pas dire oui ! Je suis très étonné par la désinvolture de certains de mes camarades devant l’exigence démocratique. Car, pour un républicain, le mode d’élaboration de cette Constitution est contraire aux principes les plus élémentaires : ce n’est pas une assemblée constituante mais une sorte de club de cooptés qui a rédigé ce texte. L’architecture du document ne vaut pas mieux. Par exemple, le principe de séparation des pouvoirs, qui est une condition de base de la démocratie, est radicalement ignoré ! Sur le fond, ce texte marque la fin du pacte entre sociaux-démocrates et démocratie chrétienne en Europe. C’était un pari politique pour les socialistes. Il reposait sur l’idée suivante : plus on fera d’intégration économique, plus cela entraînera du pouvoir citoyen. Ce pari-là a échoué. Aujourd’hui, voilà un texte très idéologique qui demande notre capitulation sans condition : c’est la revanche des libéraux sur les partisans de l’Etat-providence.

Que voulez-vous dire ?

L’Europe n’est pas un projet en soi. Pour un socialiste, la finalité de l’Europe devrait être de protéger et de développer nos acquis sociaux et notre modèle démocratique. Or, plus l’Europe s’intègre, plus ceux-ci sont battus en brèche. On nous dit qu’il s’agit de faire contrepoids aux Etats-Unis, mais, en fait, il s’agit de les battre à leur propre jeu. Par exemple, on en vient à trouver trop coûteux des systèmes de protection sociale qui ont pourtant été mis en place au lendemain de la guerre alors que nos pays étaient détruits. Il s’agit, en fait, de constitutionnaliser un modèle économique : le principe de libre concurrence est consacré dans le texte comme ayant une portée supérieure à tous les autres. C’est la première fois, depuis celle de l’URSS, qu’une Constitution proclame un modèle économique !

Ne pensez-vous pas que les clivages se sont accentués, au sein du PS, entre les partisans du " oui " et ceux du " non " ?

Je crains plutôt les stratégies d’évitement du débat. J’entends dire qu’il ne sert à rien de se prononcer tant qu’on ne connaît pas le texte final. C’est là un recul dans notre culture de gouvernement. Si nous étions au pouvoir, nous aurions à nous prononcer. Ensuite, si le texte n’est pas aujourd’hui satisfaisant pour un socialiste, il y a peu de chances qu’il le devienne après intervention du président de la République. J’entends dire aussi : " Danger : sans cette Constitution, c’est le traité de Nice qui s’appliquera. " Etonnant, non ? La gauche plurielle aurait donc signé un mauvais traité à Nice ? Cela mériterait débat.

Ce projet de Constitution déroute beaucoup le PS. Certains d’entre nous ont tellement idéalisé la construction européenne qu’ils ne voient plus la réalité. Cet aveuglement se traduit par une incapacité à prolonger au niveau européen notre idéal républicain et social : nous n’osons même plus dire que nous sommes fédéralistes ! Cette inconstance est l’une des causes majeures de notre séparation de corps avec les Français. Nous sommes à présent au pied du mur. Un vote massif pour le " non " en France provoquerait une rupture salutaire. C’est le seul moyen de reprendre des discussions multilatérales sur d’autres bases.


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