1871, les étudiants et la Commune de Paris

vendredi 20 mars 2009.
 

Sous le second Empire, on voit des étudiants trouver le chemin du parti républicain et, plus inédit, s’engager dans les rangs du socialisme, voire du socialisme révolutionnaire.

Il serait facile de voir dans les étudiants du xixe siècle, destinés à reproduire la hiérarchie sociale, une figure de l’ordre. Il faut nuancer. La première moitié du siècle a vu les étudiants s’engager souvent du côté républicain  ; ils sont nombreux sur les barricades en 1830 et en février 1848. Mais juin 1848 marque une rupture. Les étudiants sont fortement présents dans les forces répressives de l’insurrection ouvrière. La fracture de classes est là, bien présente  : républicains, oui  ! socialistes, ou collectivistes, non  !

Mais les choses sont plus compliquées  : que ce soit en 1830, 1871, 1968 ou 2018, on doit relever des constantes estudiantines qu’évoquent, avec finesse, le 8 mai 1871, les étudiants fondateurs d’une fédération (ou association) républicaine des écoles  :

Il y a un sentiment générationnel de la jeunesse – «  vous qui n’avez pas de passé politique, mais auxquels appartient l’avenir  » – qui la conduit à vouloir rompre avec le passé.

Il y a une tradition du Quartier latin et des écoles depuis Villon  : «  La défense des causes justes et généreuses.  »

Il y a un sentiment de communauté étudiante et de «  mêmes droits à sauvegarder  ».

Ainsi, sous le second Empire, on voit les étudiants trouver, nombreux, le chemin du parti républicain. Mais, plus inédit, une partie va s’engager dans les rangs du socialisme, voire du socialisme révolutionnaire. On sait toute l’influence que Blanqui va avoir sur ces étudiants qui se réunissaient en 1866 à la taverne Glaser, rue Saint-Séverin  : Rigault, Vaillant, Eudes, Vuillaume, Protot et bien d’autres que nous retrouverons au premier plan lors de la Commune. Il est vrai qu’ils n’ont parfois plus d’étudiant que le nom  ! Comme Jules Vallès, après quelques mois d’inscription en faculté de droit, ils désertent des études qu’ils trouvent médiocres – à juste titre – pour se lancer dans l’action ou le journalisme, vivant de petits boulots déjà parfois. Mais d’autres comme Flourens, Vaillant ou Protot mènent leurs études à terme.Cette génération étudiante sera donc très présente en 1871 – mais ils ne sont alors plus étudiants. Peu d’étudiants dans les rangs communards, pourtant très largement ouverts aux jeunes

Nous voici arrivés aux étudiants de 1870-1871. Soulignons d’abord des conditions très particulières. Avec le siège, les facultés doivent interrompre une grande partie de leurs cours. En fait, la reprise générale des cours était prévue pour la fin de mars 1871. Elle n’eut pas lieu. Après le 18 mars, les doyens des deux principales facultés, droit et médecine, annulèrent la rentrée. Malgré les efforts de la Commune, il n’y eut pas de reprise des cours dans ces deux facultés. En lettres et en sciences, quelques cours eurent lieu, mais nombre de professeurs étaient partis.

Force alors est de constater que le rôle des étudiants pendant la Commune fut minime. Non seulement ils ne furent pas les déclencheurs du mouvement comme en 1968 (pas de 22 mars 1871  !), mais même nous trouvons peu d’étudiants dans les rangs communards, pourtant très largement ouverts aux jeunes. Une recherche dans le Maitron, complétée par quelques autres sources, fait apparaître une quarantaine de noms. Six sont des officiers et six des médecins de la garde nationale, d’autres ont des fonctions diverses ou inconnues. Les étudiants en médecine arrivent assez nettement en tête  : assez nombreux sont ceux qui ont accepté des fonctions d’aide-major dans la garde nationale.

Et la Commune rencontre des difficultés à entraîner le plus grand nombre des étudiants. Ainsi, une réunion des étudiants en médecine refuse de s’associer à la démarche de la Commune pour rouvrir la faculté de médecine.

Cependant, la Commune est un moment d’innovation, car libérant les énergies et les initiatives démocratiques. Comment des étudiants de 1871 y auraient-ils échappé  ? C’est ainsi que va naître l’association que nous avons évoquée et qui n’est rien d’autre que la première mouture d’un syndicalisme étudiant (non une simple corporation étudiante), vingt ans avant les premières créations d’association générale étudiante.

Pour conclure, les étudiants de 1871 paraissent bien et profondément éloignés socialement du peuple communard. Ils ne sont pas comme c’est le cas en Mai 68 au cœur du mouvement social. Le plus grand nombre paraît avoir été indifférent, voire hostile à la Commune. Cependant, la génération étudiante du second Empire est bien présente dans la Commune, génération de jeunes républicains dont une partie s’est radicalisée au contact du parti ouvrier naissant.

Enfin, dans l’élan démocratique et d’innovation que représente la Commune, des étudiants veulent inventer l’avenir, fondant la première forme du syndicalisme étudiant, un syndicalisme défendant «  la liberté et la justice  ».

100 ans avant mai 68

À la fin du second Empire, on était encore très loin des 600 000 bacheliers par an actuels et même des 120 000 bacheliers de 1967. En 1870, l’université avait décerné 4 000 bachots  ! Soit moins de 2 % de la classe d’âge concernée  ! Le nombre d’étudiants était très faible  : peut-être 20 000 sur toute la France. Contre 600 000 en 1968 et 2 500 000 cette année. Les disciplines privilégiées étaient alors la médecine et le droit, devant les sciences. Les facultés de lettres sont presque marginales. Tous, donc, fils de la grande bourgeoisie. Mais pas filles de la bourgeoisie  ! C’est en 1861 que sera admise la première bachelière  ! La seconde sera admise en 1863. En 1871, donc, une poignée d’étudiantes à Paris  ! En 1968, les littéraires sont devenus largement les plus nombreux, 170 000 étudiants (dont 2/3 de filles déjà), devant les scientifiques, les étudiants de droit-sciences éco et, bons derniers, les futurs médecins. Jean-Louis Robert Historien, président d’honneur des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871

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