Démantèlement du service public du rail : gouvernement et Europe libérale font cause commune (éditorial national Parti de Gauche)

samedi 14 mars 2009.
 

Le gouvernement est en train de faire adopter au Parlement une nouvelle loi d’ « organisation et de régulation du transport ferroviaire » qui poursuit le démantèlement du service public ferroviaire français, déjà engagé en application des directives européennes de libéralisation du rail. Philippe Mühlstein, membre de la commission écologie du Parti de Gauche décrypte les origines et les modalités de ce démantèlement Le contexte législatif national et européen

Depuis la loi du 13 février 1997, l’unité du système ferroviaire français a été brisée : la gestion de l’infrastructure (les rails) a été confiée à l’établissement public RFF et la SNCF n’a conservé que la gestion des services ferroviaires publics (les trains et leur commercialisation).

Pourtant, la législation européenne n’impose qu’une séparation comptable, avec comptes de bilan séparés, entre la gestion de l’infrastructure et celle des services. Il s’agit du minimum imposé par les directives et règlements de l’Union européenne (UE) afin de soumettre à la concurrence privée les compagnies ferroviaires publiques historiques (directive 91/440, puis 1er, 2ème et 3ème « paquets ferroviaires »). Aucun Etat-membre n’a eu le courage d’entrer en conflit avec l’UE pour empêcher la séparation sur son territoire. Or, l’efficacité, le progrès technique, la sécurité d’un système ferroviaire ne peuvent être obtenus qu’en tenant compte de la liaison intrinsèque très forte entre l’infrastructure et les mobiles dans un mode de transport guidé comme le chemin de fer.

Le dilemme des Etats face au dogme européen de la concurrence libre et non faussée

* - Soit respecter la législation en limitant le plus possible le démantèlement de leur opérateur ferroviaire historique public, ce qui implique de le transformer en holding publique avec une filiale d’exploitation des trains et une filiale de gestion de l’infrastructure. Cette option permet, grâce à la supervision par une holding puissante, de sauvegarder l’unité de stratégie et d’action du système global. Il s’agit du choix allemand, mais aussi autrichien, belge, italien, luxembourgeois, irlandais, suisse,... encore majoritaire en Europe.

* - Soit séparer institutionnellement (deux établissements juridiquement distincts) la gestion de l’infrastructure et celle des services ferroviaires. Comme ces entités ont des intérêts antagonistes (le gestionnaire d’infrastructure veut dépenser peu et percevoir le maximum de péages ; l’opérateur des services veut une infrastructure performante et des péages modestes), cette option impose la mise en place de « forces de rappel » contractuelles pour garantir la qualité de l’infrastructure (disponibilité, fiabilité, performances) aux exploitants des services, eux-mêmes garants de la qualité (fréquence, vitesse, confort) des dessertes. Ces contrats, complexes, permettent de réduire les conséquences de la séparation. Il s’agit du système anglais où, après de tragiques accidents, l’Etat a re-nationalisé l’infrastructure et en est responsable ; ce choix, avec des variantes, est celui de l’Espagne, du Portugal, de la Suède, des Pays-Bas,...

Le choix français d’un démantèlement croissant du service public

En France a été sélectionné, par la loi du 13 février 1997, le pire des deux options : une séparation institutionnelle (RFF et SNCF) sans véritables règles contractuelles. RFF n’assume aucune responsabilité sur la qualité du service final de transport. La séparation provoque des conflits d’intérêts à tous propos entre les deux établissements, arbitrés par un gouvernement obsédé par la limitation des dépenses publiques ferroviaires et qui favorise donc toujours le point de vue de RFF. La qualité de service se dégrade car le réseau classique, très ancien, subit une pénurie d’entretien et de développement. La SNCF soumet sa gestion au seul critère de maximisation de sa marge en fonction de ses péages à RFF et supprime des trains classiques pour développer le TGV, seule activité à marge positive. Pour éviter des conflits sociaux, la loi de 1997 a maintenu l’entretien de l’infrastructure et la circulation des trains (secteur « Exploitation ») à la SNCF, sous les directives de RFF. Elle est ainsi devenue un sous-traitant soumis, mis en concurrence avec le secteur privé pour construire les nouvelles lignes et bientôt aussi pour les exploiter, avec les « partenariats public-privé » qui vont fragmenter encore le système. A Droite, il y avait - il y a toujours - une volonté idéologique de démanteler la SNCF pour la privatiser par morceaux et briser, au passage, la résistance sociale des cheminots, quitte à détruire l’outil public. C’est plutôt la naïveté et la méconnaissance de la technique ferroviaire qui ont caractérisé la « gauche plurielle ». A son arrivée au pouvoir en juin 1997, elle n’a pas remis en cause la loi de 1997 qui a ainsi été mise en œuvre et pérennisée.

Les missions réelles de RFF, « bras armé » du ministère chargé des Finances :

* - Déresponsabiliser l’Etat quant à ce bien public qu’est le réseau ferroviaire national et « faire les poches » des collectivités locales en leur faisant payer une part des dépenses d’investissement et d’entretien de l’infrastructure ferroviaire ;

* - Minimiser les dépenses d’entretien du réseau, sachant que les conséquences, vis-à-vis des usagers et de l’opinion, seront assumées par les cheminots et pas par RFF ;

* - « Siphonner les comptes » de la SNCF avec des augmentations permanentes de péages ; ceux-ci étaient de 900 millions d’euros en 1997, première année d’existence de RFF, ils ont atteint 2,6 milliards en 2007 et atteindront 3,4 milliards d’euros en 2010, avant d’atteindre les coûts complets en 2015 soit 6,2 milliards d’euros, en désaccord avec toute logique économique et sociale ;

* - Mettre en permanence la pression sur les cheminots de l’infrastructure, sous-traitants pressurés afin de leur faire cracher toujours plus de productivité ;

* - Promouvoir par tous les moyens l’ouverture du réseau à la concurrence privée en lui facilitant l’entrée par l’attribution des sillons et en lui permettant d’écrémer les trafics les plus rentables de la SNCF ;

* - Obliger la SNCF, trop longtemps réticente selon les gouvernements (et pourtant !), à abandonner les trafics les moins rentables et à fermer les lignes correspondantes pour permettre la revente des terrains par RFF au profit de l’Etat ;

* - S’asseoir en toute impunité sur toute politique sociale (les tarifs ferroviaires augmentent et vont encore augmenter), de protection de l’environnement et d’aménagement du territoire puisque, à nouveau, c’est la SNCF qui se verra reprocher cette politique ;

* - Mater la résistance sociale des cheminots par la casse des collectifs de travail qui résulte de la fragmentation/désintégration toujours plus poussée de la SNCF ainsi que la course incessante à la productivité, jusqu’à la privatisation progressive.

Le démantèlement s’accélère

Le gouvernement ne tient aucun compte de l’expérience et poursuit aujourd’hui le démantèlement du rail. La nouvelle loi ferroviaire soumise au Parlement crée une « Commission de régulation des activités ferroviaires », sur le modèle des régulateurs des télécommunications ou de l’électricité. Prévu par les textes européens, ce régulateur aurait pu servir à améliorer le système en mettant fin à l’irresponsabilité de RFF sur la qualité du service de transport. Or, le projet de loi ne crée rien d’autre qu’un gardien de la concurrence « libre et non faussée ». En outre, le gouvernement a fait voter au Parlement un amendement au texte pour créer une direction de l’exploitation ferroviaire autonome au sein de la SNCF, dont le directeur ne sera pas nommé par la direction de la SNCF Pour garantir selon le texte « une concurrence libre et loyale ».

Pour vraiment mettre fin au recul du service public du rail, la gauche devra revenir sur le démantèlement ferroviaire de 1997. L’unité organisationnelle du système ferroviaire public est la condition sine qua non de son unité de stratégie et d’action. Elle est d’autant plus nécessaire que le développement du rail jouera un rôle éminent dans la planification écologique que nous appelons de nos voeux. Au delà de cette mesure de base, c’est à une véritable re-nationalisation du système ferroviaire qu’il faudra procéder, afin de le mettre enfin au service du plus grand nombre et d’en faire l’outil, démocratiquement géré, d’une nouvelle politique des transports, inséparablement socialiste et écologique.

Surenchère libérale entre le gouvernement et la Commission européenne

Sous la présidence française de l’UE, le gouvernement a multiplié les gages donnés à la Commission européenne pour faire figure de bon élève libéral en Europe. Le secrétaire d’Etat aux transports Dominique Bussereau a ainsi réaffirmé contre les faits que « la libéralisation du secteur ferroviaire constitue un facteur de développement et de progrès ». Et il a confirmé la date de 2010 pour l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire international de voyageurs. Mais il a aussi proposé d’aller plus loin que ce que demandait la Commission, en « expérimentant la concurrence des services TER » ... Tout ce zèle libéral n’a pas empêché la Commission de continuer à presser la France pour qu’elle accélère le démantèlement de la SNCF. Ainsi, dans un rapport du 28 janvier 2009, la Commission « recommande à la France d’améliorer le cadre concurrentiel dans les secteurs de l’énergie et du fret ferroviaire.

...Dans le fret ferroviaire, une séparation plus forte entre le gestionnaire d’infrastructure (RFF) et l’opérateur dominant (SNCF) serait nécessaire et le projet de loi créant une autorité de régulation indépendante et forte doit maintenant être adopté et appliqué » Ce que le gouvernement est aujourd’hui en train de faire à la lettre ...

Quelques conséquences de la désintégration du système ferroviaire public national

Les exemples suivants, pris parmi des dizaines d’autres, sont connus des cheminots et de la direction de la SNCF, qui n’en parle pas et se plie à la « raison d’Etat ». Ils illustrent les dysfonctionnements quotidiens et croissants introduits dans le système ferroviaire public par les directives européennes et leur mise en œuvre depuis la loi du 13 février 1997 :

* - environ 1500 kilomètres de lignes ferroviaires (sur 29000 km au total) connaissent des ralentissements, parfois à des taux très bas (10 km/heure !), par rapport aux vitesses pratiquées auparavant, faute d’entretien ;

* - environ 150 kilomètres de lignes, qui étaient parcourues par des trains de voyageurs TER, ont été totalement fermées à la circulation ferroviaire ces dernières années, notamment en Auvergne, parce que leur état de vétusté ne permet plus d’y circuler en sécurité, même en roulant au pas ;

* - les « plans fret » successifs de la SNCF depuis 2003 lui ont fait perdre environ 25% de son trafic, transféré sur des camions, d’où la circulation d’environ 1,5 millions de poids lourds supplémentaire par an sur les routes ; la SNCF a fermé nombre de gares et de lignes dédiées au fret, en contradiction avec les incantations pro-rail du « Grenelle de l’environnement » et en vain, puisque le déficit du fret ferroviaire n’a fait que croître ;

* - la ligne de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, électrifiée par la Compagnie du Paris-Orléans dans les années 1920, vient d’être des-électrifiée par RFF pour économiser la rénovation des installations de traction électrique et les trains sont désormais Diesel (encore une contribution au « Grenelle », sans doute ?) ;

* - les choix de RFF visent à minimiser ses dépenses, même s’ils fragilisent l’exploitation, dont RFF ne se soucie pas : ainsi, dans le cadre des travaux de la ligne de Bourg-en-Bresse à Bellegarde (destinés à relier Paris à Genève par TGV en 3 heures), RFF a refusé la construction d’une sous-station de fourniture du courant à la caténaire, ce qui risque d’empêcher, dans certains cas, le redémarrage des TGV arrêtés en gare de Bellegarde à destination de Genève ;

* - depuis 2007, une part du trafic entre l’usine d’embouteillage des eaux d’Evian et Calais, reprise par un opérateur privé (ECR), a lieu avec de puissantes locomotives Diesel polluantes, alors que les 900 km de ce parcours, y compris l’embranchement particulier de l’usine d’Evian, sont intégralement électrifiés ; les riverains, évidemment, apprécient...

La mise en garde de Jean-Luc Mélenchon dans le débat de 1997

Jean-Luc Mélenchon est longuement intervenu au sénat le 21 janvier 1997 pour pointer les dangers de la séparation entre SNCF et RFF. Extraits choisis d’une mise en garde :

« Vous voulez privatiser le service public du transport ferroviaire. Ne pouvant le faire d’un seul coup, car il vous faudrait « avaler » en même temps tous les cheminots et une bonne partie de l’opinion républicaine, vous vous en donnez les moyens en organisant un dispositif qui y conduit tout droit, à petits pas.

Avec la création de deux sociétés là où il n’y en avait qu’une, avec le système de relations que vous organisez entre elles, vous réunissez les éléments qui produiront de la logique privée, du marché privé, du statut privé, de l’objectif privé ...

Toute la dynamique vers la privatisation repose sur ce que vont être les relations de ces deux sociétés (RFF et SNCF). Les conséquences seront : ouverture des lignes à de nouveaux exploitants s’acquittant donc de péages supplémentaires ; réduction des coûts liés à la conception, à la réalisation et à l’entretien des équipements.

Ainsi, en fin de course, ce qui était un droit - l’accès égal aux transports en commun - deviendra une option de la société marchande. S’agissant du transport en commun public, on touche, contre l’inégalité d’accès géographique, contre le désordre spontané des allées et venues nécessaires à chacun, contre l’inégalité des moyens devant la liberté de circuler, à l’idée centrale d’unité et d’indivisibilité de notre République. Cette idée a un sens géographique, humain, social. Vous rompez le caractère intégré et unifié de l’entreprise publique qui porte cette idée [...] »


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