Des arbres et des hommes L’arbre de Vie

mercredi 18 avril 2018.
 

Du bonsaï au séquoia en passant par le modeste platane, l’arbre est notre compagnon de tous les jours, à la fois impavide et exubérant, rassurant et mystérieux. Combien de fois passons-nous à côté de lui sans le voir… Arrêtons-nous un instant sur les liens qui nous unissent à ce géant, ce reflet de l’Homme profondément enraciné dans notre culture.

Présent sur Terre depuis 370 millions d’années, l’arbre a occupé une place centrale parmi les premières civilisations et croyances de l’humanité. Vénéré par les Grecs et les Romains à travers leur mythologie, il perd son caractère sacré dans la religion chrétienne qui lui réserve pourtant une place de choix... Isabelle Grégor

Arbre de vie, mosaïque de Kirbat al-Majfar (Palestine), VIIIe siècle ap. J.-C. Un vieil ami discret

On le sait désormais : l’homme descend de l’arbre, comme son cousin le singe. Ou plutôt il en est tombé, si l’on croit les dernières recherches sur la cause de la mort de notre ancêtre Lucy. Malgré cet accident malheureux, on peut penser que les premières relations entre hominidés et arbres ont été cordiales, ce dernier servant de point de repère, de source de nourriture et de refuge avant d’offrir ses branches pour allumer l’indispensable feu.

Ralan-Rala (Tassili n’Ajjer, Algérie), représentation de palmiers-dattiers.Apparu il y a 370 millions d’années, l’arbre a en effet toujours fait partie du paysage de nos ancêtres, qu’ils aient vécu dans l’espace ouvert du paléolithique ou dans les grandes forêts du mésolithique (à partir de 10 000 ans av. J.-C.). Pour ces hommes de l’Âge de la pierre, le bois est indispensable sous la forme d’armes comme les propulseurs, d’outils, de combustible ou de matériau de construction.

Oued Djerat (Tassili n’Ajjer, Algérie), peinture de palmier et char, période caballine (3 500 à 2 000 av. J.-C.).Mais sur les murs des grottes, des objets du quotidien ou sous la forme de statuettes, nulle représentation d’arbre ! À moins que l’on s’accorde à dire que certains tracés représentent branches ou feuilles, la part belle est faite au monde effrayant des bêtes sauvages qui ne laissent aucune place à notre végétal pacifique. Voilà une mise à l’écart bien mystérieuse quand on pense à l’importance de notre arbre par la suite !

Il faut attendre le néolithique pour que les chasseurs-cueilleurs devenus agriculteurs-éleveurs daignent les représenter sous la forme de palmiers-dattiers du côté du Tassili, en Algérie. Ici simple symbole de richesse, il devient avec le développement de la spiritualité celui de la puissance des forces cosmiques : comment l’Homme aurait-il pu en effet rester indifférent à cette image de la liaison terre-ciel, de la renaissance printanière, voire même de la vie et de l’éternité ? Un objet religieux

Spécialiste de l’histoire des religions, Mircea Eliade s’interroge ici sur la place de l’arbre dans les croyances : Bas-relief du palais de Khorsabad (Irak), VIIIe s. av. J.-C., Paris, musée du Louvre. L’agrandissement montre Assurnasirpal II devant un arbre sacré, bas-relief du palais de Nimrud (Irak), VIIIe siècle av. J.-C., Londres, British Museum.« Il est certain que, pour l’expérience religieuse archaïque, l’arbre (ou plutôt, certains arbres) représente une puissance. Jamais un arbre n’a été adoré rien que pour lui-même, mais toujours pour ce qui, à travers lui, se " révélait ", pour ce qu’il impliquait et signifiait. […] c’est en vertu de sa puissance, c’est en vertu de ce qu’il manifeste (et qui le dépasse), que l’arbre devient un objet religieux. Si l’arbre est chargé de forces sacrées, c’est qu’il est vertical, qu’il pousse, qu’il perd ses feuilles et les récupère, que par conséquent il se régénère (il " meurt " et " ressuscite ") d’innombrables fois, qu’il a du latex, etc. C’est en vertu de sa puissance, autrement dit, c’est parce qu’il manifeste une réalité extra-humaine – qui se présente à l’homme dans une certaine forme, qui porte fruit et se régénère périodiquement – qu’un arbre devient sacré. Par sa simple présence (« la puissance ») et par sa loi propre d’évolution (" la régénération "), l’arbre répète ce qui, pour l’expérience archaïque, est le Cosmos tout entier. » (Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, 1989).

Arbre de la fertilité, fontaine de Massa Marittima, 1265. Entre Terre et ciel

C’est logiquement qu’on retrouve l’arbre au cœur des premières croyances sous la forme de l’arbre cosmique, représentation de l’axe du monde qui permet aux différentes parties de l’univers de tenir en équilibre : figuier dans la civilisation de l’Indus, frêne pour les Indo-Européens, il est kiskanu à Sumer. Dans cette région désertique, où la vie est issue de l’irrigation, l’arbre en lui-même est un miracle qu’on associe au culte de la Déesse-Mère et de la fertilité.

Représentation de la déesse-arbre, « La grande Nout », Tombe de Sennedjem, XVIIIe dynastie, Louxor, Égypte.Mais pour leurs constructions, les Sumériens dédaignaient leurs peupliers ou palmiers-dattiers et regardaient avec envie du côté de l’ouest, vers ces terres où pousse le cèdre. Il n’est donc pas étonnant que cet arbre soit l’objet d’une des quêtes de Gilgamesh, premier héros littéraire. Mais d’arbre sacré, point ! On le vénère non pour ce qu’il est, mais pour ses liens avec les divinités.

Et sur les bords du Nil, où on rencontre le sycomore sur nombre de places de villages, c’est cet arbre-là qui recevait les offrandes des fidèles habitués à en envelopper les fibres dans des amulettes protectrices.

Représentation d’Apophis et de l’arbre Ishet, Tombe de Sennedjem, fac-similé de Charles K. Wilkinson, 1920, New-York, MetMuseum.Il était aussi vu comme le représentant de la déesse Nout qui, au moment de la mort, émergeait de ses branches pour offrir au défunt eau et nourriture. Porteur de vie, le sycomore était assimilé à la déesse Isis et pouvait donc être représenté en train d’allaiter lui-même Pharaon.

Lorsque celui-ci parvenait au pouvoir, la proclamation officielle du début de son règne se déroulait au temple d’Héliopolis. Elle était inscrite par le dieu Thot sur les feuilles du persea Ished, un type de laurier au pied duquel le chat de Rê aurait abattu le serpent Apophis, personnification du Chaos.

De l’autre côté de la Méditerranée, c’est bien une véritable dendrolâtrie (culte de l’arbre) qui se met en place dans les civilisations préhellénistiques, notamment en Crète, alors couverte de forêts. Certaines représentations minoennes montrent en effet un autel sur lequel on distingue un végétal dont devait sortir le dieu, c’est-à-dire l’énergie dont se nourrit la plante. À l’aide de danses, on participait à la regénération de la nature ; les arrosages devaient appeler la pluie tandis que l’arrachage évoquait l’entrée dans le sommeil de l’hiver.

Sceau-cylindre « Gilgamesh domptant un taureau » sur lequel est représenté l’Arbre-pilier, Syrie, XVIIe siècle av. J.-C., BnF, Paris. L’entrée dans l’Histoire

C’est en Mésopotamie que l’on trouve la toute première mention d’un arbre, certainement un saule ou un peuplier, dans l’Épopée de Gilgamesh.

« Un petit arbre huluppu croissait au bord de l’Euphrate, qui le nourrissait de ses eaux. Un jour, le vent du sud l’attaqua sauvagement, et le fleuve submergea l’arbuste. Inanna, la déesse, l’emporta en sa ville d’Uruk. Elle le planta dans son jardin sacré et le soigna du mieux qu’elle put, car elle avait l’intention, une fois qu’il aurait grandi, de tirer de son bois un siège et un lit. Des années passèrent, et il finit par devenir grand. Mais lorsque Inanna voulut l’abattre, elle s’en trouva fort empêchée : le Serpent avait fait son nid au pied de l’arbre, l’oiseau Imdugud avait installé ses petits au sommet, et Lilith avait construit sa maison dans les branches. Ce que voyant, la jeune déesse, d’habitude si gaie, se mit à verser des larmes amères.

Le lendemain quand le dieu du soleil Utu, son frère, sortit à l’aube de sa chambre, elle lui raconta en pleurant ce qui était advenu de l’arbre huluppu. Sur ces entrefaites, Gilgamesh, ayant sans doute entendu ses doléances, vint à son secours de chevaleresque façon ; il endossa son armure, qui pesait cinquante mines ; et avec sa hache, qui pesait sept talents et sept mines, il tua le Serpent. » (Épopée de Gilgamesh, vers 2600 av. J.-C.).


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