Fachoda (Soudan) Sommet de l’affrontement colonial entre Royaume-Uni et France

dimanche 29 septembre 2024.
 

- 1) Le contexte et l’enjeu

- 2) L’incident de Fachoda vu par ses témoins (Marc Michel, La mission Marchand, 1895-1899, Paris, La Haye, Mouton, 1972, pp. 216-218.)

- 29 juin 1896 L’expédition du commandant Marchand part pour Fachoda afin de prendre possession du Soudan au nom de la France

- 19 septembre 1898 à Fachoda (Soudan) Armées anglaise et française face à face

1) Le contexte

La colonisation de l’Afrique par les puissances européennes se développe durant tout le XIXème siècle et début du 20ème.

Une concurrence farouche naît entre les gouvernements anglais et français dont l’intérêt est fréquemment contradictoire.

C’est à Fachoda, sur le Haut Nil, dans la région du Soudan que cette rivalité franco-britannique atteint son point culminant. La région du Soudan est alors stratégique pour les deux puissances. D’un côté, les Français souhaitent relier par chemin de fer Dakar à Djibouti, de l’autre, les Britanniques souhaitent construire un chemin de fer entre Le Cap en Afrique du Sud et Le Caire en Égypte. La ville de Fachoda se trouve à l’intersection de ces deux projets.

La décision française de faire une expédition dans le Haut Nil date de 1894 quand le ministre des Colonies, Théophile Delcassé en donne l’ordre. Le 10 juillet 1898, une petite mission militaire française commandée par le capitaine Marchand, comprenant quelques officiers français, 250 tirailleurs sénégalais et des milliers de porteurs, prend possession du poste militaire déserté de Fachoda sur le Nil, à 650 kilomètres au sud de Khartoum, la capitale du Soudan, alors aux mains des Mahdistes (du nom de Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi, fondateur de l’état théocratique du Soudan).

Les mahdistes envoient 2000 à 3000 combattants reprendre Fachoda. Mal commandés et manquant de chance (un des deux bateaux tombe en panne durant le combat), ils sont défaits par les Français qui restent maîtres du terrain et se fortifient.

Marchand s’attend au retour de troupes mahdistes. En fait, il voit arriver une forte armée anglaise de 20.000 hommes sous les ordres de Lord Kitchener. Celle-ci remonte le Nil vers Fachoda pour unifier les territoires coloniaux britanniques d’Afrique de l’Est.

Les Britanniques sont présents en Égypte depuis 1882. Après une première défaite en 1885 face aux mahdistes soudanais, les Britanniques lancent une reconquête et l’emportent lors de la bataille de d’Omdurman début septembre 1898. Lord Kitchener, commandant son armée de 20 000 hommes, continue ensuite son expédition vers le Haut Nil où il découvre le drapeau français le 18 septembre.

Anglais et Français vont-ils s’affronter par les armes ?

- Sur place, le rapport des forces très favorable aux Anglais incite Marchand à accepter un compromis en attendant une décision politique du gouvernement français.

- A Paris, la République est présidée par Félix Faure avec Théophile Delcassé comme ministre des Affaires étrangères. Celui-ci a pour but essentiel de construire une alliance franco-anglaise contre le 2ème Reich allemand considéré comme le danger principal, d’autant plus que l’Alsace-Lorraine vient d’être perdue à son profit à l’issue de la guerre de 1870 1871. Le gouvernement français donne l’ordre à la colonne Marchand de se retirer.

Les Français et les Anglais signeront peu après, le 8 avril 1904, l’ Entente cordiale.

2) L’incident de Fachoda vu par ses témoins

La rencontre fut d’abord une surprise pour les Français. Le 18 septembre, en effet, les Chillouk (indigènes du Soudan Sud) confirmaient le retour en force des Mahdistes vers Fachoda : des coureurs du Mek, « couverts de sueur », annoncèrent la nouvelle « tandis que d’énormes colonnes de fumée s’élevaient sur la rive droite, signaux des Dinka à l’approche d’un grand danger ».

Ignorant l’écrasement des Derviches à Omdurman, Marchand et ses compagnons crurent à l’arrivée, dans le sud, des forces du Khalife en retraite. Ces forces paraissaient très considérables : dans la soirée du 18, les informateurs Chillouk les évaluaient « à cinq vapeurs et 20 dabiehs pleines de soldats » et affirmaient qu’ils les avaient vus, « douze kilomètres en aval ». Marchand avoua alors qu’une bataille lui paraissait cette fois aléatoire. Ce n’était pas l’avis de Mangin, nous le verrons.

Les Français s’installèrent une nouvelle fois aux postes de combat et attendirent l’attaque des Derviches à l’aube. Cependant Marchand aurait pu soupçonner l’arrivée des Anglo-Égyptiens car durant la nuit on annonça chez les Chillouk le retour de deux des leurs, « disparus depuis plus de quinze ans », et porteurs de lettres. Les deux Chillouk se présentèrent au bastion nord, à 6 heures du matin et les Français reconnurent alors les plumets rouges des tirailleurs soudanais britanniques. Les deux tirailleurs remirent à Marchand la lettre adressée par Kitchener « au chef de l’expédition européenne de Fachoda » : le Sirdar informait ces « Européens quelconques » installés à Fachoda, de la victoire d’Omdurman et de son intention de venir au fort. Marchand répondit immédiatement au Sirdar qu’il serait heureux de le recevoir à Fachoda au nom de la France » et fit expédier sa réponse par une baleinière montée par les piroguiers Yakoma ; Marchand s’intitulait « Commissaire du Gouvernement français sur le Haut-Nil et le Bahr el Ghazal ».

La rencontre eut lieu à 10 heures du matin. La flottille, « battant pavillon turc », apparut dans le chenal du fort, le Sultan en tête, « canons en batterie, tous les équipages aux postes de combat ». Ce déploiement de forces était impressionnant : 5 canonnières remorquaient une douzaine d’énormes chalands (dabiehs) portant environ 2 000 hommes : tout l’État-Major, 60 officiers anglais ou égyptiens, un bataillon de Highlanders, et les 10e et 11e bataillons « Sudanese ». Le major Cecil, aide de camp de Kitchener et neveu de Salisbury, accompagné du commandant de la flottille, le commodore Keppel, descendirent à terre pour inviter Marchand à rendre visite au général en chef à bord du Sultan. Quelques minutes plus tard, Marchand et Germain rencontrèrent Kitchener qui était assisté du colonel Wingate chef des services de renseignements égyptiens.

Le récit de la célèbre entrevue, que donne Marchand dans son rapport, confirme les autres relations. Bien que l’un et l’autre des deux adversaires aient été fort irrités par le premier contact, il n’y eut pas d’éclat. Kitchener parla en français et demanda seulement que le drapeau égyptien fût planté à Fachoda à côté du drapeau français jusqu’à la décision des gouvernements. Cette proposition était le fruit des conseils de Wingate. Elle ne correspondait pas au choix politique fait à Londres le 25 juillet 1898 lorsque le cabinet anglais décida de recommander à Cromer et Kitchener « the two flags policy » [égyptien et britannique]. Mais elle permit à Marchand de garder son calme en même temps qu’elle l’embarrassa car il lui était difficile d’y opposer un refus. Par ailleurs, Kitchener fit apprécier sa puissance à Marchand en lui rappelant la présence de ses 2 000 bommes et de ses canons : Marchand se rendit compte de la vanité et du danger d’une épreuve de force.

Le drapeau du Khédive fut donc planté à Fachoda. Wingate aurait voulu qu’il flottât dans l’enceinte ou sur le bastion sud ; Germain lui fit accepter les ruines en contrebas de ce bastion. Un bataillon soudanais commandé par le major Jackson s’installa non loin pour assurer la garde du pavillon. Il conservait aussi l’appui de l’Abu-Kléa, amarré près du fort. Les deux camps étaient établis à 500 mètres l’un de l’autre : la coexistence commença.

Le lendemain, une nouvelle rencontre a lieu entre Jean-Baptiste Marchand et Lord Kitchener. Ce dernier demande aux Français de quitter les lieux, arguant de sa supériorité numérique. Selon le rapport de Marchand, la rencontre reste cordiale. Au moment où Marchand affirme son intention de maintenir la position quitte à mourir, Kitchener lui répond : « Oh, il n’est pas question de pousser les choses aussi loin. Je comprends que chargé d’exécuter les ordres de votre gouvernement, votre devoir vous commande de rester à Fachoda jusqu’à ordre contraire […] nous laisserons les choses en l’état jusqu’à la décision de nos gouvernements. »

Le gouvernement français n’était pas prêt à aller jusqu’à la guerre, tandis qu’en Angleterre, le « camp impérialiste » représenté au gouvernement en agite la menace. De plus, la Royal Navy multiplie les démonstrations de force devant des ports français. En novembre, la France cède et Marchand retire ses troupes.

Cet épisode permet un rapprochement diplomatique entre les deux pays menant à la signature de l’Entente cordiale en 1904.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message