"Le vent se lève" Un grand film de Ken Loach

mardi 30 mai 2023.
 

- A) Enfin, le vent se lève... (Brigitte Blang)

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- B) Le vent se lève et... il souffle toujours (par Ken LOACH)

- C) Irlande : De la guerre d’indépendance à la guerre civile

- D) Synopsis (Télérama)

A) Enfin, le vent se lève... (Brigitte Blang)

Depuis Cannes, nous attendions de voir cette Palme d’Or, enfin décernée à Ken Loach, cinéaste engagé s’il en est, et nous ne sommes pas déçus.

Cette fois, c’est dans l’Irlande des années 20, celle de la guerre d’indépendance que nous plongeons, à travers l’histoire de deux frères, que le destin et le conflit vont séparer. Toutes les luttes pour la Liberté se ressemblent et l’expérience française en Algérie est très proche... L’exécution brutale (y a-t-il des exécutions qui ne soient pas brutales ?) d’un Irlandais par l’armée britannique va décider un jeune médecin à rejoindre l’IRA, où se bat déjà son frère. On suivra le parcours de ces deux-là, jusqu’à la rupture inéluctable, la guerre civile, les trahisons, les renoncements, et enfin l’échec incontournable.

L’histoire est brûlante, actuelle, universelle, et ce film est noir, et amer, résolument... On pense bien sûr à "Land and Freedom", déjà si lucide sur une autre guerre désespérée, en Espagne. Les mêmes affrontements idéologiques, les mêmes personnages purs, droits, entiers, les mêmes déceptions, aussi, quand les leaders se trompent de chemin.

On ne sera pas étonné de trouver Ken Loach de ce côté-là du conflit, du "côté des terroristes" lui a reproché la presse de son pays. On n’en attendait pas moins de cet artiste intransigeant, qui n’oublie jamais, à longueur d’entretiens, de fustiger Margareth Thatcher, évidemment, mais surtout Tony Blair, regrettant au passage la disparition programmée d’un VRAI parti travailliste en Grande-Bretagne, soutenant les mouvements d’opposition à la guerre en Irak, appelant de ses voeux l’unité à Gauche (tiens ! Ca ne vous rappelle rien ???) et la renaissance d’un mouvement syndical sans compromission. Car, dit-il "un film ne peut rien s’il n’existe pas d’organisation politique". Polémique, décidément polémique.

Voilà "le vent qui se lève ici annonce les orages et apporte un goût de cendres" (Jacques Morice). Peut-être, en sortant, penserez-vous aussi : "No bravery, only sadness" ?

Brigitte Blang pour PRS 57

B) Le vent se lève et... il souffle toujours (par Ken LOACH)

Je pense que les événements en Irlande entre 1920 et 1922 restent d’un intérêt actuel. Tout comme la guerre d’Espagne, ils représentent un moment crucial : comment une longue lutte pour l’indépendance peut être contrecarrée, au moment même où elle va aboutir, par un pouvoir colonial qui, tout en se débarrassant de son empire, sait maintenir ses intérêts stratégiques.

C’est là l’habileté de gens comme Churchill, Lloyd George, Birkenhead et les autres. Une fois coincés, quand il n’est plus vraiment dans leur intérêt de refuser l’indépendance, ils cherchent à diviser le pays. Ils soutiennent ceux qui, à l’intérieur du mouvement d’indépendance, acceptent que le pouvoir économique reste dans les mêmes mains. Ceux avec lesquels « on peut faire du business. »

C’est une tactique que l’on retrouve partout, une manipulation par le pouvoir en place : des mouvements aux intérêts divergents s’unissent contre l’oppresseur commun. Inévitablement leurs intérêts contradictoires finissent par éclater. Je suis certain que la situation est la même aujourd’hui dans un pays comme l’Irak...

En 1922, qu’aurait-il pu arriver ? Les Républicains anti-traité auraient-ils pu l’emporter, et dans quelle direction auraient-ils mené l’Irlande ? Seulement cinq ans avant, le soulèvement de 1916 avait été dirigé notamment par le socialiste marxiste James Connolly, et son mouvement d’indépendance se basait sur la lutte des classes : « La cause irlandaise, c’est la cause du travail. » Au contraire, les Irlandais ont subi les effets néfastes du traité pendant des décennies. La pauvreté a contraint les gens à quitter leur pays par milliers pour l’Angleterre ou les USA. La partition a engendré la guerre au nord, avec la suppression des libertés civiles.

J’’étais surpris de voir à quel point on parle encore de tout ça autour de Cork où nous avons tourné. Manifestement, c’est encore très présent en Irlande du Nord, puisque certains combats n’y ont jamais cessé. Je pensais que cela se serait estompé dans le sud mais nous tombions toujours sur des gens qui avaient des histoires à raconter. La plupart connaissaient le nom de nos personnages ou des héros des Flying Columns du coin, se souvenaient de dates et d’événements précis...

Je ne dirais pas de ce film qu’il est anti-britannique...Ce n’est pas un film sur les Anglais qui tabassent les Irlandais... Les gens ont beaucoup plus de points communs avec des étrangers de la même condition sociale qu’avec, disons, ceux qui sont au sommet de leur échelle sociale. Nous avons tous le devoir de nous opposer aux erreurs et aux violences perpétrées par nos dirigeants, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Loin d’être une démarche antipatriotique, c’est une obligation... Blair a mis en garde récemment contre l’« anti-américanisme »... Il veut ainsi provoquer un amalgame et mettre gouvernement US et population dans le même sac : « N’attaquez pas les erreurs du gouvernement, car vous attaqueriez le peuple. » Un argument fallacieux qui a beaucoup servi.

En Irlande, les Britanniques ont laissé de terribles séquelles et les forces de progrès ont souffert d’un énorme recul après le traité. Malgré cela, et malgré toutes les souffrances, le fait est que les Britanniques se sont retirés. Il y a là un élément d’espoir.

Ken LOACH

C) Irlande : De la guerre d’indépendance à la guerre civile

Pâques 1916, au plus fort de guerre de 14-18, l’organisation révolutionnaire secrète l’Irish Republican Brotherhood, l’organisation armée des Irish Volunteers et l’Irish Citizen Army du socialiste James Conolly tentent un soulèvement, à Dublin contre l’occupant. Les Britanniques écrasent les insurgés, mais l’exécution des chefs du soulèvement - dont James Connolly - et la répression qui s’ensuit poussent la population vers le séparatisme républicain porté par le parti nationaliste Sinn Féin. Aux élections de décembre 1918, Sinn Féin gagne une large majorité partout dans le pays, sauf dans le nord-est. Ses élus refusent de siéger à Westminster et instaurent un parlement autonome (Dáil Eireann). Aucune reconnaissance internationale ne répond à cette déclaration d’indépendance et le Dáil Eireann est déclaré hors-la-loi par les britanniques, la République d’Irlande devient clandestine.

Un vrai contre-pouvoir se met en place, avec sa justice et ses tribunaux. Les cheminots refusent de transporter matériel militaire ou troupes anglaises. Partout les forces impériales sont attaquées par l’armée républicaine irlandaise (IRA). Lutte impitoyable... Des polices spéciales sont envoyées en renfort par les Britanniques : l’une d’ex-officiers, l’autre recrutée parmi des soldats démobilisés, les sinistres Black and Tans. Arrestations et rafles poussent l’IRA à constituer des unités mobiles et mieux entraînées, les Flying Columns opérant par embuscades, à la campagne. Les Britanniques ripostent, raflent, incendient, pillent. Une spirale de violences et de représailles... L’organisation des femmes joue un rôle décisif au sein du réseau de renseignement très efficace de l’IRA. Ce sont aussi souvent elles qui dispensent la justice dans les tribunaux...

La guerre d’indépendance s’embrase vraiment à la fin de l’été 1920. En juillet 1921, une trêve est conclue. Le traité signé fin 1921 entre Britanniques et Irlandais, concède à l’Irlande du Sud, un statut d’« Etat Libre » et de « Dominion » du Commonwealth britannique. Loin de satisfaire les aspirations du Sinn Féin, ce traité consacre la partition de l’Irlande, six comtés de l’Ulster restant dans le Royaume-Uni. Les Britanniques gardent le contrôle des ports irlandais. Les élus du parlement de l’« Etat libre » doivent jurer fidélité à la couronne... Une scission s’ensuit au sein du mouvement révolutionnaire. Les pro-traité estiment que cet accord est le meilleur possible à ce stade et la seule alternative à l’ultimatum des Britanniques : « une guerre immédiate et terrible ». Ils prennent le pouvoir, avec l’appui des Anglais et de l’establishment irlandais. Les républicains entrent en résistance et une guerre civile atroce oppose d’anciens camarades. Les républicains anti-traité sont d’abord supérieurs en nombre, mais l’armée de l’« Etat Libre », appuyée par les Britanniques, les défait en moins d’un an...

Donal. O’ DRISCEOIL Conseiller historique du film

D) Synopsis (Télérama)

En Irlande, en 1920, à l’issue d’un match de cricket, les joueurs sont interpellés par les redoutables « Black and Tans », soldats anglais envoyés pour mater la révolte des indépendantistes irlandais. Un jeune homme, Micheail, refuse d’obéir aux ordres : il est battu à mort. Cet événement met le feu aux poudres et de nombreux jeunes Irlandais décident de riposter. De son côté, Damien, un étudiant en médecine, s’apprête à rejoindre Londres pour y poursuivre ses études. A la gare, il soutient Dan, un conducteur de train qui refuse de transporter des soldats anglais. Les deux garçons sympathisent et décident de rejoindre la lutte armée...

La défense des opprimés chez Ken Loach n’est pas aussi simple qu’on le dit : elle oblige à des sacrifices. C’est le sujet même de cette fresque, Palme d’or de 2006. En 1920, Teddy et Damien, deux frères très proches, sont engagés dans la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. Mais vient le moment où la guerre d’indépendance vire à la guerre fratricide, au double sens du mot. D’un côté, les partisans du traité de paix avec les Britanniques, qui se satisfont de ce premier pas ; de l’autre, ceux qui considèrent cela comme un recul. Pour Loach, marxiste devant l’Eternel, le débat occulte surtout une chance historique : la possibilité de la révolution socialiste.

L’échec est d’autant plus poignant que les deux frères sont traités avec la même compassion. C’est toute la force du film, qui tend souterrainement mais sûrement vers la tragédie shakespearienne. Loach combine le général — l’histoire politique et militaire — et le particulier. Il reste toujours concret, direct et sec, d’un classicisme digne des grands comme Ford. Il y a bien quelques phases d’exaltation. Mais l’amertume domine le tableau, intense, avec ses couleurs de tweed, ses intérieurs de ferme plongés dans la pénombre, ses ciels bas et lourds au goût de cendre.

Par Jacques Morice


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