L’UFAL propose que le principe de séparation de la laïcité soit étendu à la sphère économique (2e Rencontres Laïques Internationales) Par Bernard Teper

mardi 19 mai 2009.
 

La laïcité donne lieu, aujourd’hui encore, à bien des confusions et à de fâcheuses contre-vérités : certains la considèrent comme une « religion », une doctrine qui aurait ses zélotes. Pas plus tard qu’il y a deux semaines, Xavier Darcos affirmait tranquillement à la radio que la laïcité était « la religion de la sortie des religions », et que, les religions ayant renoncé à leurs visées hégémoniques, le « laïcisme » était une idéologie dépassée. Nicolas Sarkozy ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que la laïcité doit devenir positive, comme d’autres ont pu dire qu’elle devait devenir plus « ouverte », comme si la laïcité pouvait être « négative » ou bien « fermée ».

D’autres l’ont dit ici avant moi, mais l’idée mérite d’être soulignée : la laïcité n’est pas une doctrine, elle n’est pas une religion. Elle est un principe. Ce principe est contenu dans la loi de 1905, qui fonde la séparation entre les Eglises et l’Etat. L’Etat, qui représente l’autorité publique, n’a pas à prendre en considération les croyances religieuses. Si la République connaît tous les cultes, elle n’en reconnaît aucun. Affirmer cette séparation, revient à défendre deux idées : d’une part, l’idée selon laquelle la loi n’est pas affaire de foi. D’autre part, l’idée selon laquelle l’Etat n’a pas à instituer les représentants des religions en agents politiques. C’est là une façon de protéger le droit : celui-ci ne doit pas être le reflet de croyances particulières, elle doit être l’expression de la volonté générale. J’ai bien dit volonté générale au sens de Jean-Jacques Rousseau et non intérêt général. Seule la volonté générale peut prendre en compte à un instant donné le rapport des forces entre antagonismes sociaux, antagonismes sociaux qui sont l’un des moteurs de l’histoire. Seule la volonté générale peut déterminer la volonté majoritaire du peuple par un processus démocratique au sens de Condorcet.

Le contexte qui est le nôtre est marqué par trois phénomènes, qui remettent chacun en question ce principe de séparation :

1. La montée des intégrismes.

2. La communautarisation du droit.

La montée des intégrismes atteste de ce que les religions n’ont pas renoncé, loin s’en faut, à leurs visées hégémoniques. La communautarisation du droit montre, quant à elle, que l’idée d’un droit qui aurait pour seule source la volonté générale, c’est-à-dire la volonté majoritaire des citoyens, ne va plus de soi.

La défense de la laïcité n’est donc pas un combat d’arrière-garde : il est plus que jamais d’actualité. Il suffit de voir que les démocraties anglo-saxonnes, qui ignorent le principe de laïcité, sont beaucoup moins armées que la République pour combattre l’intégrisme et le communautarisme.

Il est un troisième phénomène qui caractérise notre époque : la globalisation et la déréglementation des marchés. L’économie est, depuis une trentaine d’années, tributaire d’un dogme, qu’on désigne par le terme de néolibéralisme. Certains pensent que le combat en faveur de la laïcité et que le combat social sont deux combats disjoints. Il n’en est rien. Plus que jamais, la liaison du combat laïque et du combat social, liaison chère à Jaurès, est nécessaire. C’est pourquoi nous aurions tort de circonscrire le combat laïque à sa contingence historique : nous aurions tort de l’assigner au combat qui a eu lieu de la fin du 19e siècle et du début du 20e. Si nous nous situons dans la filiation des anciens combats comme celui de la défense de la loi de 1905 par exemple, nous sommes, aujourd’hui, obligés de replacer la bataille laïque et la bataille sociale dans son contexte historique, économique et social sous peine de ne pas être compris par le mouvement social en pleine effervescence aujourd’hui à cause de la crise du capitalisme et de ses aspectes désastreux pour tous mais en particulier pour les couches populaires, ouvriers, employés.

Aujourd’hui, les « puissants », les « prédateurs capitalistes » qui dirigent la planète sont une alliance des forces qui lient d’une part les politiques les plus néolibérales de déréglementation, de marchandisation et de privatisation et de compression relative de la part des revenus du travail direct et socialisé et d’autre part des entités communautaristes voire intégristes.

Nous n’oublierons jamais que les services secrets étasuniens ont formé et financé les talibans de Omar et de Ben Laden dans la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan en 1979. Nous n’oublierons jamais qu’il est plus facile d’avoir des subventions pour les associations quand on défend le communautarisme plutôt que la laïcité. Nous n’oublierons jamais que ceux qui ont pactisé avec ces forces dominantes, à droite et à l’extrême droite bien sûr mais malheureusement aussi à gauche et à l’extrême gauche, ont accepté, sur l’autel de la finance généralisée, la régression pour le droit des femmes dans les pays ou l’intégrisme ou le communautarisme sont aux postes de commande.

Comment penser l’articulation du combat laïque et du combat social ? Il y a d’abord un fait qui montre, à lui seul, que cette articulation est pertinente : à chaque fois qu’un espace est déserté par la puissance publique, ce sont les structures ethniques et religieuses qui ramassent la mise. Rappelons-nous la façon dont Sarkozy, qui était alors ministre de l’intérieur, a courtisé, pendant les émeutes de 2005, les chefs religieux qui avaient alors beau jeu de se présenter comme le dernier recours pour « tenir » une jeunesse qui « baisserait les yeux devant Allah ».

Pour penser l’articulation entre combat laïque et combat social, il faut avoir à l’esprit que la laïcité est porteuse d’un modèle politique qui, en lui-même, est l’ennemi du néolibéralisme. Catherine Kintzler l’a montré avec force hier : le modèle laïque considère le citoyen comme un atome, à savoir une entité déliée. Le modèle laïque ne part pas des communautés, mais du citoyen qui est pensé comme une entité déliée de ses particularismes. Un tel modèle interdit par conséquent le recours à d’autres formes de solidarité que celles que le droit produit. Pour que le citoyen soit libre, il convient de lui octroyer non seulement des libertés constitutionnelles (des droits-libertés) mais aussi des droits-créances : le droit à la sécurité sociale, le droit à l’instruction, le droit à un salaire digne, le droit à un logement digne. Si vous n’accordez pas ces droits aux citoyens, vous les obligez à recourir aux solidarités communautaires -aux solidarités familiales ou religieuses. Du modèle laïque découle mécaniquement la lutte pour les droits sociaux. La lutte pour les droits sociaux est non seulement une lutte pour l’égalité mais aussi pour la liberté : un citoyen qui peut bénéficier de services publics dignes de ce nom, d’une retraite digne, d’une sécurité sociale solidaire est plus libre que celui qui n’en bénéficie pas. Qu’on ne s’y trompe pas : tous ceux qui ont fait l’apologie de la concurrence libre et non faussée, (c’est –à-dire de la concurrence faussée car concurrence non faussée est un oxymore !) d’un marché déréglementé, ce sont eux les vrais ennemis de la liberté.

Comme vous voyez, notre lutte est loin d’être terminée !

Je dirais que la transformation sociale à laquelle nous aspirons ne pourra voir le jour que si nous « poussons jusqu’au bout » les principes républicains qui sont les nôtres et sans jamais dire que celui-là est plus important que l’autre. La promotion de ces principes doit être faite une et indivisible comme la république. Restons guidés par les 9 principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de démocratie, de solidarité, de sûreté, de souveraineté populaire et de développement durable. Sortir un élément sans le lier aux autres, cela revient à refuser de poursuivre la marche de l’émancipation humaine.

Nos anciens nous ont appris qu’il fallait refuser que les dogmes ethniques et religieux polluent la sphère publique, à savoir la sphère de l’autorité politique et de la constitution des libertés (ce qui exclut la société civile). Mais ils nous ont appris aussi que la République reposait sur un dualisme de principe : si la sphère publique doit être régie par le principe de laïcité, l’espace de la société civile doit être, quant à lui, être régi par le principe de tolérance. Les individus doivent pouvoir jouir de leurs droits et de leurs libertés (qui doivent être à caractère universel), pourvu qu’ils respectent les limites qu’impose le droit commun. C’est pourquoi le modèle laïque garantit la liberté de conscience. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, le modèle laïque n’est pas l’ennemi des religions. Ne confondons pas laïcité et athéisme : les défenseurs de la laïcité n’ont jamais voulu interdire à quiconque le droit de pratiquer le culte de leur choix, pourvu qu’ils respectent la laïcité et les lois légitimes qui valent pour tous les citoyens.

Mais dites-moi, pourquoi ce principe de séparation ne s’appliquerait pas à la sphère publique économique dans notre projet de transformation sociale, pourquoi nous ne devrions pas exclure les dogmes économiques et financiers de la sphère publique économique ? Pourquoi être contre les signes religieux à l’école et ne pas l’être contre les lits et consultations privées dans l’hôpital public ? Pourquoi être contre le financement public des écoles privées confessionnelles et ne pas l’être contre le financement public des cliniques privées à but lucratif pour les actionnaires. L’argent public ne doit pas « nourrir » une école qui segmente l’humanité, pas plus qu’elle ne doit « nourrir » les actionnaires des cliniques privées et des firmes multinationales de l’assurance.

C’est pourquoi l’UFAL propose que ce principe de séparation soit étendu à la sphère économique et que dans ce cas, ce principe de séparation né dans le mouvement social laïque devient la pierre angulaire de notre projet de transformation sociale car il s’applique à tous les domaines, celui du domaine ethnique et religieux, sur celui des institutions et aussi de l’économie.

Dans cette acception, la sphère publique économique doit être protégée de tous les dogmes ethniques, religieux, économiques et financiers. Elle n’a donc pas à être régi par la logique du marché, même encadré par la loi de la république. Mais elle n’a pas à être géré par un bonapartisme social qui devient vite une bureaucratie qui se détache du peuple comme nous l’avons vu pour les services publics naguère étatisés. Nous devons inventer une logique citoyenne basé sur l’élection des gestionnaires de ces services publics sur la base des conditions de Condorcet de la démocratie à savoir l’information de tous sur tous les supports médiatiques possibles, le débat raisonné puis l’application du suffrage universel. Est-ce une utopie ?

Non, parce que nous avons déjà vécu ainsi. Vous savez comme disait Antonio Gramsci, le neuf préexiste toujours dans le vieux. Il n’y a jamais de création ex nihilo.

Eh bien ce système, c’est celui qu’a inventé, je dis bien inventé, le Conseil national de la résistance en créant la Sécurité Sociale par les ordonnances du 4 et 19 octobre 1945. Pendant 22 ans, la Sécu n’a pas été géré par l’Etat, elle a été gérée par les représentants élus des assurés sociaux sur listes syndicales. On pourrait discuter d’ouvrir ces élections à d’autres structures associatives ou mutualistes par exemple. Mais pendant cette période, c’est la seule période ou les inégalités sociales de santé ont diminué (aujourd’hui elles augmentent), c’est la période d’éradication de certaines maladies infectieuses comme la tuberculose (plus de 5000 personnes sont contaminés par cette maladie aujourd’hui). Mais donner le pouvoir au peuple, c’est insupportable pour les « prédateurs capitalistes », qui, des ordonnances de Gaulle de 1967 à la loi Sarkozy-Bachelot de 2009, ont détruit, sur 42 ans, tout ce qu’avait construit le Conseil national de la résistance. Denis Kessler ancien n° 2 du MEDEF disait que la politique du gouvernement était la « déconstruction méthodique de tout ce qui a été construit par le Conseil national de la résistance de 1945 à 1952 » (Challenges, 4 octobre 2007)

Comme quoi ce principe de séparation qui est né dans la bataille laïque et dans la bataille de la résistance grâce à nos anciens, je propose, non de le supprimer au nom de je ne sais quel modernisme plus ou moins post-moderne, mais de le conserver et de l’étendre au projet de transformation tout entier dans tous les domaines ethniques ,religieux, économiques et financiers et ainsi de présenter dans les combats internationaux cette pierre angulaire née dans le combat laïque et dans la résistance. Ainsi nous refuserons la double dérive que représente et le capitalisme financier et le communisme soviétique. Le capitalisme financier voudrait que l’espace civil -en l’occurrence l’espace du marché- envahisse la sphère de l’autorité politique : il faudrait que le politique n’ait d’autre horizon que la loi du Marché. On voit aujourd’hui à quelle catastrophe un tel dogme conduit. Le communisme soviétique a conduit à la dérive inverse : l’autorité politique envahissait l’espace de la société civile puisqu’il n’y avait plus d’espace dans lequel les citoyens pouvaient jouir de leurs libertés. Ainsi en généralisant ce principe de séparation né dans le combat laïque et dans la Résistance, nous pouvons proposer au monde un modèle philosophique de transformation politique et sociale qui lient tous les principes que nous avons évoqués. A la privatisation des esprits et du profit, à la socialisation des pertes et au développement de la charité que nous propose le turbocapitalisme, opposons-lui la socialisation des biens communs de l’humanité grâce aux principes nés dans la résistance et dans le combat laïque et social. Et si on vous demande quel est votre projet, je vous propose la réponse suivante : notre projet est « la laïcité et la république sociale dans une perspective internationaliste » !

Texte de l’intervention aux 2e RLI de Saint-Denis le 6 avril 2009


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