Les questions à trancher (interview de Jean-Luc Mélenchon par France 2)

dimanche 24 mai 2009.
 

Interview de Jean-Luc Mélenchon

Que dîtes-vous aux électeurs qui aimeraient voir le Parlement européen basculer à gauche et qui hésitent entre les listes du PS, du NPA, d’Europe Ecologie… ?

JLM. Avant tout, il faut dire à quel point il est important d’aller voter. Quand on parle d’élections européennes les gens pensent qu’il s’agit d’une « instance » lointaine, un « machin exotique international ». Or, 80 % des lois et des règlements qui s’appliquent à la France et 100 % des lois que nous votons doivent être conformes au Traité de Lisbonne. Voter en juin, c’est donc voter directement pour ce qui va se passer dans ce pays. Si l’on croit à la démocratie élective comme système pour régler les problèmes de la vie en société, il serait absolument incroyable de déserter le principal vote politique depuis l’élection présidentielle. Si la politique a un sens, si le bulletin de vote a un sens, il faut aller voter.

Ensuite, pour les gens de gauche il y a trois points.

Primo, la question à trancher, c’est oui ou non au Traité de Lisbonne. Le reste, c’est du pipeau, des lettres au Père Noël. Les socialistes ont rempli des pages de propositions. Tout cela est absolument contradictoire au Traité de Lisbonne.

Secundo, il faut redessiner la gauche, la libérer de l’emprise des politiques libérales. C’est pourquoi, la première proposition qui rend toutes les autres crédibles, je le redis c’est de refuser le traité de Lisbonne sinon, on est obligé d’inscrire sa politique de gauche à l’intérieur de ce cadre. Je vous donne plusieurs exemples. Tout le monde dit : il faut arrêter le dumping social qui détruit tout ; le Traité interdit l’harmonisation sociale. Tout le monde dit : il faut limiter la libre circulation des capitaux ; le traité interdit leur limitation. Et je pourrais faire la liste comme cela de tous les articles.

Tertio, il faut choisir : la gauche solitaire ou la gauche unitaire. Nous au Front de gauche, face à la crise, face à l’Europe libérale, face à tous les défis, on essaye de formuler une proposition unitaire.

Enfin, au-delà de la partie proprement européenne, il y a un aspect de politique nationale. Il faut marquer un rapport de force dans les urnes et pas seulement dans la rue. Le mouvement social a sa propre autonomie et sa force. C’est lui aujourd’hui qui est la locomotive de la résistance au libéralisme. Mais il a ses limites, ce n’est pas une formation politique, d’ailleurs, s’il s’y risquait, il s’affaiblirait. C’est donc à nous d’assumer notre responsabilité.

Peut-on encore s’opposer au traité de Lisbonne ?

JLM. Il faudrait d’abord que le point de vue hostile soit représenté. C’est quand même une histoire de fou. Dans la circonscription du grand sud-ouest où 18 départements ont voté non, hé bien, tous les députés de gauche eux, ont voté oui au Traité. La règle de base de la démocratie à savoir, la confrontation des points de vue différents dans le Parlement, n’est donc pas respectée.

Alors comment on peut s’opposer ? Il y a deux points d’appui. Les Allemands attendent la décision de la Cour Constitutionnelle et il faut faire revoter les Irlandais.

Il y a une clause du traité qui dit : ou tout le monde est d’accord ou personne. Comme je suis un démocrate, je joue le jeu des institutions jusqu’au bout. Tant que le Traité n’ait pas ratifié, on peut essayer de le bloquer et tant qu’on est contre, il faut le dire.

On a le sentiment que la campagne a du mal à démarrer ?

JLM. On dirait que c’est un concours pour faire diversion. Un mois avant le scrutin, Valérie Pécresse présente sa liste aux régionales qui auront lieu dans plus d’un an et les socialistes eux parlent de la prochaine présidentielle. Pourquoi ils ne parlent pas des européennes tous ces gens ?

La gauche est absolument hors d’état de planter un décor ou de mettre un sujet en débat. La main est tout le temps à Nicolas Sarkozy et à la droite. On débat de ce que Sarkozy décide. Il y a un effet d’effacement du débat européen. Alors que cette élection a un fort relief politique, elle semble s’annoncer dans une espèce d’anomie civique incroyable dangereuse pour le pays là où il faudrait une insurrection civique.

Comment intéresser les citoyens ?

JLM. J’écoutais l’autre jour une émission à la radio consacrée à l’Europe. Elle a démarré sur le thème « Les élections européennes n’intéressent pas les français » et pour en parler, ils ont fait venir deux députés européens. Evidemment, ces derniers ne sont pas venus exposer leurs turpitudes. De quoi ils ont parlé ? Du fonctionnement du Parlement européen, de la grande nation politique… C’est du bidon ce genre de débat. Cela n’a pas de sens.

Pourquoi ces deux parlementaires ne disent pas ce qu’ils ont voté sur la directive électricité ou une chose que personne ne connaît, la constitution du grand marché transatlantique entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Europe pour 2015. Personne n’en a jamais entendu parler. Cela s’est voté deux ou trois fois. Je suis en train de préparer un dossier que je vais envoyer à toute la presse pour voir si, par hasard, quelqu’un accepte d’en discuter.

Si vous voulez que les gens s’intéressent au débat européen, il faudrait mettre sur la table des sujets européens, des choses sur lesquels ils se sentent engagés. Après on est pour ou on est contre, on discute. Là, c’est du « méta discours », c’est le discours à propos du discours. Pour intéresser les gens à l’Europe, réellement de ce qui fait réellement débat.

Vous êtes sévère, au PS les candidats parlent d’Europe, sont sur le terrain et font campagne…

JLM. Je ne parle pas de la bonne volonté ni même de la qualité des personnes, ce n’est pas le sujet, mais du dispositif politique qui est en place. Certains se croient très malin de parler d’autre chose que d’Europe et se demandent s’il faut faire ou non alliance avec le Modem, le piège le plus mortel, le plus dangereux pour la gauche.

Il n’y a pas d’exemple en Europe où l’illusion centriste n’ait donné autre chose que la dérive totale de la gauche. L’exemple le plus criant, le plus aveuglant a été celui de l’Italie.

Le PS va se faire dévorer par Bayrou.

Regrettez-vous de ne pas avoir convaincu le NPA d’Olivier Besancenot de vous rejoindre ?

JLM. Bien sûr. On ne leur demandait pas de renoncer à leurs idées, ni de fusionner mais s’ils avaient accepté de faire avec nous un front à gauche, on avait la possibilité de commencer à disputer au parti socialiste la première place à gauche d’après les sondages.

On faisait donc d’une pierre deux coups.

Premièrement, on avait une chance de régler le problème à l’intérieur de la gauche c’est-à-dire de lever le couvercle de la domination des sociaux libéraux et, deuxièmement, d’améliorer le rapport de force avec la droite.

Partie remise ?

JLM. Si nous passons devant le NPA, il y aura une leçon politique. Cela voudra dire que dans l’autre gauche, on donne la prime à ceux qui se rassemblent. Cela devrait aider au rassemblement de tous à une autre occasion.

Vous avec déclaré, il y a de la place entre une gauche trop timide et une gauche trop révolutionnaire, c’est un peu compliqué non ?

JLM. J’invite à l’ironie. Nous voilà avec des réformistes qui ne font pas de réformes et des révolutionnaires qui ne font pas de révolution. Deux impasses. On peut peut-être faire mieux que ça, non ?

Nous, on propose de s’inscrire dans une autre logique, dans une politique d’accompagnement sociale qui est celle de la sociale démocratie. Mais une vraie sociale démocratie pas comme en Allemagne. Si le SPD gagnait Outre Rhin et s’il appliquait aujourd’hui son programme, cela mettrait l’Allemagne dans un état social moins développé qu’elle ne l’était au moment où Schröder est arrivé au pouvoir. C’est dire l’extraordinaire ambition de ces gens… et tout cela, dans un pays où le quart de la classe ouvrière vit sous le seuil de pauvreté.

Et alors, côté révolutionnaire, c’est l’énigme absolue. Comment comptent-ils faire ? Comment comptent-ils s’y prendre vu qu’ils ne veulent pas faire de coalition. Ils construisent un parti par délimitation idéologique. Je le comprends mais c’est la gauche solitaire.

Quel est le problème des sociaux démocrates ?

JLM. Ils sont en panne absolue de stratégie. Ce n’est pas une affaire de bonne ou mauvaise volonté, d’audace ou pas. Le problème, c’est qu’ils raisonnent dans le cadre mental de la fin du 19ème siècle, du début du 20ème dans l’idée que le « compromis » avec le capital fera tomber du wagon des avantages sociaux pour les travailleurs.

Avec le capital financier transfrontalier, c’est fini cette histoire-là. Plus on fait de l’intégration économique et moins on a de droits civiques et de droits sociaux.

Que propose concrètement le Front de Gauche ?

JLM. Notre méthode est celle qui a fait le succès des révolutions démocratiques en Amérique latine, une certaine combinaison entre le mouvement social et la politique c’est-à-dire exprimer politiquement ce que dit le mouvement social socialement.

Notre programme de transformation sociale est basé sur quatre idées simples : le partage des richesses, la refondation républicaine du pays, la planification écologique et sortir de l’Europe de Lisbonne. Il n’y a pas besoin de faire un projet de 150 pages.

Le programme commun du peuple, c’est très simple : des enfants bien éduqués, la retraite quand on est fatigué, être soigné quand on n’est pas bien, avoir des vacances, de la culture un peu partout, arrêter de produire n’importe quoi, n’importe comment, arrêter de travailler comme des fous.

Les ouvriers français ont le meilleur taux de productivité horaire au monde et le premier taux de suicide.

Vous avez qualifié Martine Aubry « d’archaïquement social démocrate », pourriez-vous préciser votre pensée pour les plus jeunes générations ou pour tous ceux qui n’ont pas cette culture politique ?

JLM. C’est la vieille thèse du compromis entre patronat et syndicat comme base de l’Etat social, comme il y a 40 ans, quand le monde était un Etat nation. C’est finit tout cela. Cela n’a plus aucun sens. Martine Aubry est toujours dans la réparation sociale, dans la dialectique inclus/exclus. Tout le monde comprend aujourd’hui que ce n’est plus un problème entre capital et travail, entre riches et pauvres, c’est un problème structurel entre deux dimensions de la réalité économique ; d’un côté l’investissement qui veut tirer un dividende élevé et de l’autre, les gens qui « bossent » et qui ont besoin d’un salaire correct.

Mes camarades socialistes me disent « nous aussi ». Comment « eux aussi » alors qu’ils viennent de voter le paquet de directives EDF. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est de voir à quel point le parti socialiste est en retard. Autant le socialisme français a été à part pendant les années 70, autant maintenant, il est toujours en retard.

Pourquoi les socialistes ne regardent-ils pas ce qui se passe dans le monde, en Amérique Latine notammen ? parce que ça bouleverse leur schéma, cela les oblige à une autre vision du socialisme.

Ils ne voient pas non plus ce qui se passe en Europe, en Allemagne avec le parti Die Linke, cette formation de gauche qui s’est créée à la gauche du parti démocrate, en Grèce également. Partout, les gens disent qu’il faut arrêter le désastre, qu’ils ne sont pas de gauche pour voir ça. Je ne sais pas ce que cela va donner mais il suffit d’ouvrir un livre d’histoire. Tout le monde sait très bien qu’une telle crise ne se réglera pas sans grand bouleversement. Il arrive un moment où la machine se bloque. Regardez la Bolivie avec Eva Morales, personne ne pariait un euro sur le fait qu’un indien pouvait être élu au premier tour avec 54 % des voix.

Quel est votre objectif pour cette élection ?

JLM. Difficile de répondre. Je n’ai aucun moyen de me comparer au passé. On n’existait pas il y cinq mois. Dans ma circonscription du Sud-Ouest, si on pouvait atteindre les deux chiffres, ce serait très bien. Il y a de jolis clignotants. Il y a eu une élection à Douarnenez, il y a maintenant trois mois. Tout le monde a dit, c’est une élection locale, provisoire, c’est un cas particulier. Merci je suis au courant. Mais quand même, on triple le score et on passe devant les socialistes. Il vient d’y avoir une élection cantonale partielle à Nice. Personne ne s’y intéresse. On part de 2% pour le NPA et 2% PC, on propose un candidat Front de gauche. Résultat, on triple le nombre de voix. Je sais que c’est un cas particulier mais si c’était un cas particulier dans l’autre sens, tout le monde se chargerait de nous le faire remarquer.

Si on fait un bon résultat en Ile-de-France autour de Patrick Le Hyaric, dans le Nord avec Jacky Hénin et dans Sud Ouest, on atteindra un seuil de crédibilité et on changera la donne.

Je prends les paris que j’y arriverai. J’arriverai à convaincre les gens qui veulent se battre, parce qu’il y en a beaucoup dans le pays.

Et puis, il y a une autre dimension que l’on ne voit pas depuis Paris et qui a une grande importance pour moi, c’est la construction d’une entité politique de gauche indépendante.

Pourquoi ne la voit-on pas ici cette entité politique de gauche ?

JLM. Parce que la réalité politique se résume à deux dimensions internationales.

La première, c’est la politique libérale de droite. Ils sont au pouvoir, donc ils n’ont pas besoin d’un parti. Ils se réunissent entre chef d’Etats et décident.

L’autre réalité politique, c’est le PSE (Parti socialiste européen). Mais comment voulez-vous que les gens s’identifient au PSE alors que ce dernier cogère le Parlement et la Commission avec la droite.

Le comble, c’est quant Martine Aubry dit qu’ils vont s’opposer à M. Barroso alors qu’ils ont tous voté son investiture sauf les français qui se sont abstenus. Je m’en rappelle, j’étais là.

Ensuite, il reste quoi : le petit groupe d’ultra droite et la gauche unie européenne.

Si vous êtes élu parlementaire européen ?

JLM. Je le ressentirais comme une grande ouverture, comme une possibilité de porter le combat à un autre endroit.


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