La stratégie de Lisbonne : le libéralisme toujours et encore
 (article national du Parti de Gauche)

samedi 6 juin 2009.
 

Lancée par le Conseil européen, en mars 2000, pour dix ans, la stratégie de Lisbonne a accentué le caractère néolibéral de l’Union européenne en soumettant plus encore les politiques sociales et environnementales aux « lois » du marché. A mi-parcours le Conseil européen de Bruxelles de mars 2005 a constaté son échec et proposé une relance qui reprend en la simplifiant la stratégie initiale. Cette relance a réaffirmé notamment les objectifs suivants : réalisation du marché intérieur des services (directive Bolkestein), réduction des aides de l’Etat aux services publics, accroissement du libre-échangisme mondial. Au coeur de l’Union européenne, la « nouvelle » stratégie de Lisbonne ne permettra ni de réduire le chômage qui frappe l’UE (19 millions en 2004), ni d’échapper à la déflation généralisée des salaires due à la concurrence mondiale sur le coût du travail.

I. Le Conseil européen de Lisbonne - 23 et 24 mars 2000

« L’Union européenne s’est aujourd’hui fixé un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. La réalisation de cet objectif nécessite une stratégie globale [.] [1] » L’expression « économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » sera ensuite ressassée et deviendra une véritable incantation quasi-religieuse de l’Union européenne.

Cette stratégie globale qui est appelée Stratégie de Lisbonne, Processus de Lisbonne ou Agenda de Lisbonne comporte alors deux finalités et un moyen.

Première finalité : « préparer la transition vers une économie compétitive, dynamique fondée sur la connaissance »

Cette transition comporte six composantes :

- mettre en place une société de l’information ;

- créer un espace européen de la recherche et de l’innovation ;

- instaurer un climat favorable à la création et au développement d’entreprises novatrices, notamment de PME ;

- achever et rendre pleinement opérationnel le marché intérieur ;

- assurer l’efficacité et l’intégration des marchés financiers par l’achèvement du marché intérieur ;

- coordonner les politiques macroéconomiques et assurer la viabilité des finances publiques.

Alors que la bulle de la e-economy (l’économie numérique) va exploser un mois après le Conseil européen de Lisbonne, en avril 2000 [2], le Conseil européen est sous le charme et apporte un soutien explicite au secteur de l’information et des communications. Il faut passer à une « économie numérique », « établir un plan global eEurope », « exploiter pleinement le potentiel électronique de l’Europe », faire « prospérer le commerce électronique et l’Internet ».

A côté de ce soutien, on retrouve tous les ingrédients du néolibéralisme : favoriser « l’investissement privé dans la recherche », « éliminer les entraves aux services [3] », « accélérer la libéralisation dans les secteurs tels que le gaz, l’électricité, les services postaux et les transports », « moderniser les règles relatives aux marchés publics », « poursuivre les efforts visant à favoriser la concurrence et à réduire le niveau général des aides de l’Etat », donner « un rôle plus important aux politiques structurelles », « réduire la pression fiscale qui pèse sur le travail ». Un objectif mérite une mention spéciale : « Réorienter les dépenses publiques de manière à accroître l’importance relative de l’accumulation du capital - tant humain que physique - et appuyer la recherche et le développement, l’innovation et les technologies de l’information. »

Deuxième finalité : « moderniser le modèle social européen en investissant dans les ressources humaines et en créant un Etat social actif »

Cette deuxième finalité a quatre composantes :

- l’éducation et la formation à la vie et à l’emploi dans la société de la connaissance ;

- des emplois plus nombreux et de meilleure qualité pour l’Europe : vers une politique active de l’emploi ;

- moderniser la protection sociale ;

- favoriser l’intégration sociale.

Sur l’éducation et la formation, la stratégie de Lisbonne veut « créer des centres locaux d’acquisition des connaissances, promouvoir de nouvelles compétences de base, notamment dans les technologies de l’information [.], adopter un cadre européen définissant les nouvelles compétences de base. » Ainsi donc la connaissance est réduite aux compétences : le savoir a disparu. L’objectif affirmé de « réduire de moitié, d’ici à 2010, le nombre des personnes de 18 à 24 ans n’ayant accompli que le premier cycle de l’enseignement secondaire » n’est assorti d’aucun moyen à la mesure de l’enjeu.

La composante relative à l’emploi consiste à mentionner quatre domaines où il convient de faire des efforts : insertion professionnelle, éducation, emploi dans les services et égalité des chances. L’objectif annoncé est de faire passer le taux d’emploi de 61% à 70% des 16-65 ans d’ici à 2010. L’objectif ne porte donc pas sur la baisse du taux de chômage. La hausse du taux d’emploi peut être obtenue en repoussant l’âge de la retraite et c’est ce que préconise explicitement l’Union..

Deux mesures accompagnent la modernisation de la protection sociale : « renforcer la coopération entre les Etats membres par l’échange d’expériences et de meilleures pratiques », et « charger le Groupe de haut niveau sur la protection sociale de favoriser cette coopération ».

L’intégration sociale est réduite à trois dispositions : « favoriser une meilleure compréhension de l’exclusion sociale », « intégrer la promotion de la solidarité dans les politiques » et « définir des actions prioritaires pour des groupes cibles (par exemple les groupes minoritaires, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées) ».

Au total, dans l’énoncé de cette seconde finalité de la stratégie de Lisbonne, le Conseil européen passe à côté des vraies questions : le caractère néolibéral des politiques, la concurrence sociale entre les Etats membres, les lacunes en matière de droits individuels et collectifs, et enfin la faiblesse des normes sociales.

Un moyen : la nouvelle méthode ouverte de coordination

« Il n’est nul besoin de nouveaux processus. » Les grandes orientations des politiques économiques (GOPE) et le « rôle phare d’orientation et de coordination » du Conseil européen sont mentionnés. La Commission européenne est « invitée à élaborer chaque année un rapport de synthèse sur les progrès réalisés. » Il faut citer le début du paragraphe intitulé « Mobiliser les moyens nécessaires » : « La réalisation du nouvel objectif stratégique [la réalisation de la stratégie de Lisbonne] reposera essentiellement sur le secteur privé et sur des partenariats entre les secteurs public et privé. »

La seule nouveauté est la mise en ouvre d’« une nouvelle méthode ouverte de coordination. » Cet instrument va entrer dans le riche lexique européen. De quoi s’agit-il ?

La nouvelle méthode ouverte de coordination doit permettre « de diffuser les meilleures pratiques [des Etats membres] et d’assurer une plus grande convergence. »

Elle consiste à :

- définir les lignes directrices de la stratégie de Lisbonne ;

- établir, le cas échéant, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères d’évaluation par rapport aux meilleures performances mondiales ;

- traduire ces lignes directrices en politiques nationales et régionales ;

- procéder périodiquement à un suivi, une évaluation et à un examen par les pairs, c’est-à-dire par les autres Etats membres.

La nouvelle méthode de coordination ouverte n’est pas anodine. Elle vient tout droit des techniques managériales américaines où on la connaît sous le nom de benchmarking [4] (étalonnage par rapport aux concurrents).

Elle a cinq buts essentiels :

- imposer des politiques néolibérales qui sont dénommées « meilleures pratiques » ; il s’agit donc de converger vers plus de néolibéralisme ;

- accentuer la concurrence entre les Etats membres ;

- augmenter le champ de compétence de l’Union européenne et son pouvoir d’encadrement des politiques nationales ;

- réduire le champ législatif (le champ des normes) en matière sociale ;

- transformer les questions politiques en questions techniques.

« L’apolitisme » de l’Union européenne a trouvé un nouvel instrument qui délégitime la puissance publique. Par ce biais, il y a une essentialisation de la politique qui devient intemporelle. La politique est déconnectée de l’histoire nationale. Les moyens sont absents. Le conflit est nié. Il y a des recettes. Il faut les appliquer. « Se généralisent aussi « les méthodes ouvertes de coordination » destinées à faire converger les politiques sociales nationales : elles sortent le social du domaine législatif et déconnectent les « acquis » de leur histoire conflictuelle. La législation sociale européenne se réduit, dès lors, à peu de chose, alors que celle organisant la libre circulation des capitaux, des services et des marchandises ne cesse de s’étoffer. Or la réglementation économique influe nécessairement sur le contenu des politiques sociales.[5] »

II. Le conseil européen de Göteborg - 15 et 16 juin 2001

Le Conseil européen de Göteborg corrige un oubli de taille du Conseil européen de Lisbonne : l’environnement. La stratégie de Lisbonne qu’on devrait donc appeler stratégie de Lisbonne-Göteborg passe de deux finalités et un moyen à trois finalités et un moyen.

Troisième finalité : « Une stratégie de développement durable[6] »

Les Etats membres « élaborent leurs propres stratégies nationales ». « L’Union européenne mettra en avant les questions de gouvernance internationale [.] et cherchera à conclure un « pacte planétaire » sur le développement durable lors du sommet mondial de 2002 [.] Elle s’engage à atteindre dans les meilleurs délais l’objectif de 0,7% du PNB pour l’aide publique au développement [.] Elle réaffirme son engagement d’atteindre les objectifs de Kyoto [.] Elle donne priorité aux réseaux trans-européens de transport [.] Elle s’engage à limiter les risques pour la santé publique [7]. Elle gèrera les ressources naturelles de façon plus responsable [au travers de la PAC et de la politique commune de la pêche]. »

On peut dire que le Conseil de Göteborg n’innove pas et que la stratégie de Lisbonne n’apporte aucune nouveauté à la politique de l’environnement de l’Union européenne.

III. Une usine à gaz en forme d’utopie pour cacher l’Europe SA

28 objectifs, 120 sous-objectifs, 177 indicateurs

Dans les mois qui suivent son annonce, la stratégie de Lisbonne fait l’objet de centaines de communications écrites : un tsunami bureaucratique. Les seuls objectifs quantifiés à Lisbonne sont au nombre de cinq : le taux d’emploi total, le taux d’emploi des femmes et des travailleurs âgés, la croissance moyenne de 3%, et la réduction de moitié d’ici à 2010 du nombre de personnes de 18 à 24 ans n’ayant accompli que le premier cycle de l’enseignement secondaire. Le sommet de Barcelone de mars 2002 fixe un sixième objectif quantifié : 3% du PIB pour les dépenses de recherche et de développement.

Mais comme elle traite de tout [9], la stratégie de Lisbonne va être déclinée en 28 objectifs principaux et 120 sous-objectifs. Pour gérer ces objectifs selon la méthode ouverte de coordination, 117 indicateurs différents sont définis. Comme il y a très peu d’objectifs quantifiés, les indicateurs servent à comparer leurs évolutions entre les Etats membres, plutôt qu’à définir une cible homogène pour tous qui assure la convergence et la cohésion de l’ensemble.

L’utopie de la fin des arbitrages politiques

L’OFCE souligne l’utopie que représente la stratégie de Lisbonne en ces termes : « Comment ne pas souscrire à une stratégie économique, sociale et environnementale visant à assurer simultanément la croissance, la productivité, la cohésion sociale et le développement durable ? « Lisbonne » se présente de ce point de vue comme la réalisation d’une utopie contemporaine, celle de la fin des arbitrages politiques. Or ces arbitrages ont la vie dure. La question qui se trouve posée au coeur de cette stratégie est bien celle de sa cohérence : cohérence entre les différents objectifs à atteindre ; cohérence entre les objectifs fixés et les moyens déployés. » [10]. Mais cette utopie est un habillage idéologique.

L’Europe SA

Cette usine à gaz, cette utopie contemporaine qui tente d’abolir la politique, ses débats, conflits et arbitrages est un masque qui peine à cacher l’Europe SA.

Le lendemain du sommet de Lisbonne le Financial Times [11] titre son éditorial : « Un plan d’entreprise pour Europe SA » et ajoute : « par son style, le rassemblement de chefs de gouvernement qui vient de se terminer à Lisbonne a ressemblé beaucoup plus à un conseil d’administration qu’aucun des conseils européens précédents. Un fil directeur de bon sens a donné sa cohérence au communiqué final : l’économie de marché, la reconnaissance explicite que les principaux moteurs de la performance économique doivent être des entreprises qui réussissent et des marchés libéralisés. Les gouvernements doivent largement se confiner au rôle de facilitateurs, l’Union agissant comme catalyseur » [12]

IV. Le mauvais rapport Kok

Pressentant l’échec, en avril 2004, l’Union européenne crée un Groupe de haut niveau dirigé par Wim Kok, ancien premier ministre des Pays-Bas, pour passer la stratégie de Lisbonne au crible [13].

Le rapport [14] explique les résultats décevants par « un agenda surchargé, une coordination médiocre et des priorités inconciliables » : une vraie mise à mort des quatre premières années de « Lisbonne ».

Rien sur les finalités

Mais les recommandations que fait le rapport Kok sont vagues et reprennent les objectifs initiaux annoncés à Lisbonne et Göteborg : « faire de la recherche-développement une priorité de premier plan ; promouvoir l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ; procéder à l’achèvement du marché intérieur ; soutenir les partenariats en faveur de la croissance et de l’emploi ; créer un environnement plus favorable pour les entreprises ; diffuser les éco-innovations et acquérir une position prépondérante dans l’éco-industrie. » Le rapport recommande de limiter le nombre des objectifs mais ne desserre pas la logique libérale de « Lisbonne ».

Le rapport Kok ne dissipe pas les ambiguïtés et la confusion de « Lisbonne » : il ne voit pas que la faible croissance - donc la montée de l’insécurité - est peu propice à la « modernisation du modèle social », c’est-à-dire à la réduction du degré de solidarité ; il ne se prononce pas sur le modèle européen de développement qui encourage les technologies respectueuses de l’environnement et des ressources naturelles.

Rien sur les moyens

Pauvre dans la remise en cause des finalités de « Lisbonne », le rapport Kok ne dit rien de nouveau sur les moyens. Il suggère que « le Conseil européen pilote les efforts visant à faire avancer la stratégie de Lisbonne » et que « les Etats membres élaborent des programmes nationaux et s’engagent ainsi à obtenir des résultats ». Le seul moyen reste donc la méthode ouverte de coordination (MOC) dont la lourdeur et la lenteur sont maintenant démontrées.

Le rapport Kok ne dit rien de la nécessaire réforme du Pacte de stabilité et de croissance qui réduit pourtant les dépenses porteuses d’avenir dans les périodes de basse conjoncture.

De plus le rapport Kok est très vague et prudent sur les moyens budgétaires : « Le budget de l’UE devrait, dans la mesure du possible, être remanié afin de respecter les priorités de Lisbonne. Un volet de cette refonte consisterait en une analyse des possibilités d’introduction d’incitants budgétaires ayant pour but d’encourager les Etats membres à réaliser les objectifs de Lisbonne. »

Enfin le rapport Kok est muet sur les moyens de restaurer l’unité européenne autour d’une stratégie commune et propose, au contraire : « Au Conseil européen de printemps, la Commission européenne devrait présenter, de la manière la plus publique possible, un classement annuel des progrès accomplis par les Etats membres sur la voie de la réalisation des quatorze indicateurs et objectifs clés de Lisbonne. Les pays qui ont obtenu de bons résultats devraient être félicités, tandis que ceux dont les performances sont médiocres devraient être blâmés ». Il s’agit là d’une méthode classique dans les entreprises multinationales.

V. L’échec reconnu à mi-parcours

A mi-parcours les objectifs quantifiés de la stratégie de Lisbonne ne sont pas atteints. L’échec est patent et concerne tous ses objectifs. Face à l’objectif de croissance moyenne de 3% du PIB entre 2000 et 2010, le résultat est mauvais : entre 2000 et 2004, l’UE-15 croît à 1,4% et l’UE-25 à 1,5%.

Loin de s’être résorbé, l’écart de productivité entre l’UE à 15 ou à 25 et les Etats-Unis se creuse d’environ 4% [15].

Les données disponibles de 2000 à 2003 en matière de taux d’emploi montrent que les objectifs intermédiaires (2005) et finals (2010) ne peuvent être atteints aussi bien pour le taux d’emploi total (70%) que pour les taux d’emploi des femmes (57%). Le taux d’emploi des travailleurs âgés (50%) est par contre bien orienté, mais il progresse au rythme prévu en 2000.

Les dépenses de recherche et de développement restent inférieures à 2% et la cible de 3% en 2010 requiert une volonté politique totalement absente.

Enfin, en matière d’environnement, les perspectives d’évolution future des émissions de gaz à effet de serre restent très incertaines : les années 2000 et 2001 ont été mauvaises ; l’année 2002 a permis de retrouver le niveau initial de 2000.

Le 2 mars 2005, le rapporteur du Sénat [16] déclare : « On sait d’ores et déjà que ces objectifs ne pourront pas être atteints en 2010. La perte de compétitivité de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine est devenue très préoccupante. L’Europe doit faire face non seulement à la compétition de ses grands partenaires des pays industrialisés, mais elle doit en outre se battre avec les économies émergentes à bas coût de production. Son déficit comparatif de croissance s’accroît, son retard d’investissement dans la formation, la recherche et les nouvelles technologies s’accentue, les délocalisations d’entreprises européennes s’amplifient.

Tous les indicateurs sont au rouge : faible croissance, baisse du niveau des investissements productifs et de la demande, précarisation des emplois, fermeture de sites européens de production, exode des chercheurs, creusement des déficits publics, coût croissant de la protection sociale liée au vieillissement de la population et au chômage de masse. »

Le Conseil européen de Bruxelles de mars 2004 reconnaît cet échec en des termes à peine diplomatiques : « L’Union s’est fixé des objectifs ambitieux en mars 2000. Quatre ans plus tard, le bilan est mitigé. Des progrès considérables ont été accomplis et le Conseil européen réaffirme que le processus et les objectifs de Lisbonne restent d’actualité. Cependant, il convient d’accélérer sensiblement le rythme des réformes si l’on veut atteindre les objectifs fixés pour 2010. Le Conseil européen est déterminé à faire preuve de la volonté politique nécessaire à cet effet. » [17]

VI. La relance de la stratégie de Lisbonne (mars 2005)

Sous le titre « Relancer la stratégie de Lisbonne : un partenariat pour la croissance et l’emploi », le Conseil européen de mars 2005 [18] essaie de tirer les enseignements de l’échec à mi-parcours et d’exploiter les recommandations du rapport Kok : c’est la relance de « Lisbonne ». Le Conseil réaffirme que « Lisbonne » est une « stratégie d’actualité ». Il faut « procéder au recentrage des priorités sur la croissance et l’emploi [.], mobiliser tous les moyens nationaux et communautaires appropriés ». Parallèlement « les perspectives financières pour la période 2007-2013 devront doter l’Union de moyens adéquats [.], les modifications au Pacte de stabilité et de croissance [19] y contribueront ».

Le Conseil européen de mars 2005 définit ensuite les axes essentiels de la relance :

connaissance et innovation ;

un espace attrayant pour investir et travailler ;

la croissance et l’emploi au service de la cohésion sociale.

On peine à trouver quoique ce soit de nouveau dans cette relance par rapport à ce qui avait été décidé cinq ans plus tôt. Il faut mentionner, une fois encore, la tonalité néolibérale des propositions :

- pour promouvoir la croissance et l’emploi et pour renforcer la compétitivité, le marché intérieur des services doit être pleinement opérationnel tout en préservant le modèle social européen ;

- tout accord sur les substances chimiques (accord REACH) doit concilier les soucis de protection de l’environnement et de la santé avec la nécessité de promouvoir la compétitivité de l’industrie européenne ;

- au-delà d’une politique de concurrence active, le Conseil européen invite les Etats membres à poursuivre sur la voie d’une réduction du niveau général des aides d’Etat, tout en tenant compte des éventuelles défaillances du marché ;

- l’économie mondiale ouverte offre de nouvelles opportunités pour stimuler la croissance, la compétitivité et le redéploiement de l’économie européenne. Le Conseil reconnaît l’importance de parvenir à un accord ambitieux et équilibré dans les négociations de Doha ainsi que l’intérêt de développer des accords de libre-échange bilatéraux et régionaux ».

Des propositions pourtant fort timides de la Belgique [20], par exemple, n’ont pas été retenues : « l’harmonisation de l’assiette fiscale des sociétés » [21] ; « la discrimination et l’exclusion sur le marché du travail doivent être combattues de manière active » ; « la diminution de la pauvreté » ; « un mécanisme européen qui règle les conflits sociaux transfrontaliers » ; l’attention aux quatre thèmes environnementaux suivants : « le climat, la santé publique, la nature et la biodiversité, les ressources naturelles et les déchets »

La relance ne comble pas les lacunes recensées par le Sénat [22] en France qui considère que les propositions de relance de la Commission ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le Sénat regrette que la directive sur les services dite Bolkestein ne soit pas assortie « d’études d’impact et d’analyses sérieuses ». Il « cherche vainement [.] la moindre ligne sur les questions de réglage des politiques monétaires et budgétaires ». Il mentionne que l’élargissement intervenu au 1er mai 2004 n’a pas été pris en compte et que, soulevée par l’Allemagne la question de la désindustrialisation et de la révision de la politique de la concurrence n’est pas abordée. Même l’UNICE s’en inquiète : « L’UNICE pense pourtant que les commissaires devraient faire en sorte q’une stratégie industrielle ne soit pas entravée par des considérations qui ne seraient pas à la hauteur des enjeux mondiaux. [23] » Le Sénat constate « l’absence de toute réflexion et de toute proposition sur la protection des secteurs exposés aux délocalisations et sur la préservation des secteurs dotés d’avantages comparatifs ou à haute technologie ».


[1] Sauf mention contraire, les citations de ce paragraphe proviennent du document « Conclusions de la présidence - Conseil européen de Lisbonne - 23 et 24 mars 2000 », site de l’Internet de l’Union européenne : http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/do... ».

[2] L’indice boursier des valeurs technologiques, le NASDAQ, s’effondre. L’indice de la bourse de Paris, le CAC 40, est divisé par 2,5 en quelques semaines.

[3] C’est l’acte de naissance de la directive sur les services dite Bolkestein.

[4] Le benchmarking est une méthode qui a été développée au début des années 1980 par la société Xerox pour une prise de décision concernant un investissement lourd destiné à moderniser la gestion des stocks. David T. Kearns, alors président de Xerox Corporation, le définit comme "le processus continu et systématique d’évaluation des produits, des services et des méthodes par rapport à ceux des concurrents".

[5] « Les faussaires de l’Europe sociale », Corinne Gobin, Le Monde diplomatique, octobre 2005.

[6] Sauf mention contraire, les citations de ce paragraphe proviennent du document « Conclusions de la présidence - Conseil européen de Göteborg - 15 et 16 juin 2005 », site de l’Internet de l’Union européenne : http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/do... ».

[7] Cet objectif inclut explicitement la mise en place d’ici 2004 d’une politique sur les substances chimiques. C’est le règlement REACH.

[9] Le rapport du Groupe de haut niveau dirigé par Wim Kok indique : « Lisbonne traite de tout, donc de rien », novembre 2004.

[10] « La stratégie de Lisbonne engluée dans la tactique de Bruxelles », Jérôme Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Lettre de l’OFCE n°259 - http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/....

[11] Cette citation du Financial Times est mentionnée par Bernard Cassen dans « Naissance de l’Europe SA », Le Monde diplomatique, juin 2000.

[12] « A corporate plan for Europe Inc. », Financial Times, Londres, 25 mars 2000.

[13] Lire une critique dans « La stratégie de Lisbonne engluée dans la tactique de Bruxelles », Jérôme Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Lettre de l’OFCE n°259 - http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/....

[14] « Relever le défi - la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi », site de l’Internet du Sénat : http://www.senat.fr/europe/textes_e...

[15] Mesuré en taux de croissance annuel de la productivité de travail par personne occupée.

[16] Jean Bizet, site du Sénat, http://www.senat.fr/europe/textes_e....

[17] « Conclusions de la présidence - Conseil européen de Bruxelles - 25 et 26 mars 2004 », site de l’Union européenne, http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/do... ».

[18] « Conclusions de la présidence - Conseil européen de Bruxelles - 22 et 23 mars 2005 », site de l’Union européenne, http://europa.eu.int/european_counc... ».

[19] A partir des propositions de la Commission européenne du 3 septembre 2004, après une longue négociation, le Conseil européen du 22 mars 2005 a entériné l’accord du Conseil Finances du 20 mars 2005, qui « assouplit » le Pacte de stabilité et de croissance.

[20] Position de la Belgique sur la stratégie de Lisbonne en vue de révision à mi-parcours en 2005, site du ministère des affaires étrangères, du commerce extérieur et de la coopération au développement de la Belgique, http://www.diplomatie.be/fr/policy/....

[21] La formule est ambiguë : s’agit-il de s’aligner sur le paradis fiscal qu’est la Belgique ?

[22] Révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne - Communication de M. Jean Bizet - 2 mars 2005 - Site du Sénat, http://www.senat.fr/ue/pac/E2752.html.

[23] Ibid.


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