Gabon : La mort d’Omar Bongo, pilier de la Françafrique

mercredi 10 juin 2009.
 

Avec le décès du président gabonais Omar Bongo, la France perd un allié privilégié, qui a longtemps financé les partis politiques de tout bord.

La France a perdu lundi l’un des meilleurs analystes de sa vie politique. El Hadj Omar Bongo Ondimba, dont la mort a été confirmée par le Premier ministre gabonais, connaissait mieux que personne les us et coutumes de la Ve République. Sa face lumineuse -celle des alliances et des grands rendez-vous électoraux- et sa face sombre -celle du financement occulte, des assassinats couverts et de la corruption pétrolière.

Albert-Bernard Bongo est quasiment un inconnu lorsqu’il est placé au pouvoir en 1966-67 pour succéder au président sortant Léon M’ba, agonisant (déjà) d’un cancer à Paris.

Pour être certain de contrôler le processus, les hommes du Service de documentation et de contre-espionnage (Sdece, ancêtre de la DGSE), -Jacques Foccart, Maurice Robert, Guy Ponsaillé- ont fait enregistrer un message radio-télévisé où le chef d’Etat désigne son chef de cabinet comme vice-président.

Pour cela, Bongo a été « testé » par le général de Gaulle, en 1965 lors d’un entretien à l’Elysée. Test réussi : l’homme est dôté d’une mémoire prodigieuse, d’une vraie intelligence politique et d’un cynisme lui assurant la longévité des vrais dictateurs. Il aura tenu quarante-et-un ans. Le Gabon devient un émirat pétrolier stratégique pour la France

Minuscule pays d’un million d’habitants, le Gabon devient alors un émirat pétrolier stratégique pour la France, qui voit s’éloigner le pétrole algérien, nationalisé en 1971. Avec le quadruplement des prix du brut en 1973, El Hadj Omar Bongo se converti à la fois à l’islam et à la finance.

L’argent coule à flots, il a l’intelligence de le placer en diversifiant ses investissements. En 1975, il créé avec l’aide du franc-maçon René Plas, membre de la Grande Loge de France et gouverneur de la Banque européenne d’investissement, trois banques :

* La Banque du Gabon et du Luxembourg (BGL) à Libreville

* La Société internationale de banque (Siba) au Luxembourg

* La French Intercontinental Bank (Fiba) à Paris, la plus importante

Jusqu’en 2000, la Fiba, dirigée par Pierre Houdray et longtemps présidée par Jack Sigolet, deux hommes d’Elf Aquitaine, sera LA banque de Bongo.

Le chef d’Etat y dispose d’un compte personnel et d’un sous-compte sur lequel son beau-père, le président congolais Denis Sassou Nguesso, a procuration. Elle est alimentée par la compagnie pétrolière française à hauteur d’au moins 40 millions de dollars par an.

La Fiba sert de bas de laine au clan de Libreville : la famille, les proches, les conseillers comme celui qui gère les affaires pétrolières, Samuel Dossou Aworet.

Dans la ligne de mire des ONG

La banque a aussi négocié un accord de clientèle avec le Crédit foncier de Monaco (CFM), qui accueille les Corses ayant des intérêts en Afrique. L’enquête sur l’affaire Elf évaluera à 125 millions de francs les avoirs placés sur les dizaines de comptes « africains » du CFM.

Une opulence qui se retrouve dans le patrimoine immobilier de Bongo.Depuis plusieurs années, les ONG Sherpa et Transparency internationalmènent un combat judiciaire contre le détournement d’argent par les chefs d’Etat africains.

Elles avaient fait l’inventaire des "biens mal acquis" de cesderniers, notamment leur patrimoine immobilier en ile-de-France. Le président gabonais et sa famille y figurent en bonne place. (Voir la carte)

Mais la Fiba est aussi le réservoir dans lequel puise Omar Bongo pour « aider » ses amis politiques français. Le rituel est immuable : lors de ses passages à Paris, où il descend à l’hôtel Meurice, il faut obtenir audience et remporter l’adhésion du patron. Un coup de téléphone à Pierre Houdray et l’affaire est réglée.

Il suffit alors de se présenter au siège, 30, avenue Georges-V, pour prendre livraison du "don", en liquide. Bongo a ainsi activement soutenu Jacques Chirac dans les années 70, mais aussi François Mitterrand pour l’élection de 1981.

D’après les hommes d’Elf, notamment André Tarallo, le « Monsieur Afrique » du groupe, tous les partis politiques ont bénéficié de cette aide, à l’exception du Front national. Symbole musical de cette solide "amitié" franco-gabonaise, cette chanson composée pour la visite de Valéry Giscard d’Estaing. (Ecouter la musique)

Dans les années 90, avec la multiplication des lois sur le financement de la vie politique, le système devient plus complexe. Plus opaque aussi, utilisant les ressources de nombreux paradis fiscaux (Liechtenstein, Caraïbes, Bank of New York…) qui lui vaudront les foudres du Congrès américain dans une commission d’enquête consacrée au blanchiment.

Candidats à la succession, ses enfants Pascaline et Ali

Sa fortune, inestimable mais s’élevant probablement à plusieurs milliards d’euros, fait l’objet de convoitises. A commencer par ses deux aînés les plus ambiteux :

* Sa fille aînée, Pascaline Bongo, diplômée en gestion de Dauphine, ayant fait toute sa carrière dans l’ombre de l’administration présidentielle. Un observateur estime qu’elle n’a pas « l’autorité et la présence de son père ».

* Son fils Ali Bongo, ministre de la Défense, plutôt impopulaire, à cause des très nombreuses affaires louches auxquelles il est mêlé.

Les mécanos du pouvoir gabonais auront aussi à tenir compte de l’équilibre ethnique du pays où les Fang, au pouvoir, représentent un tiers de la population, alors qu’Omar Bongo est un Téké, groupe très minoritaire au Gabon. Ses obsèques devraient voir défiler le ban et l’arrière-ban du « village » franco-africain.

Par David Servenay | Rue89


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