G. W. F. Hegel, La philosophie de l’histoire, sous la direction de Myriam Bienenstock, appareil critique de Norbert Waszek. Éditions le Livre de poche, 2009, 760 pages, 18 euros.
Contrairement aux anciennes éditions - celles de J. Gibelin et de K. Papaoiannou - qui traduisaient un texte résultant de la compilation de notes diverses, cette nouvelle traduction (*) se fonde sur les manuscrits de Hegel lui-même (les introductions de 1822-23 et de 1830-31) et sur la transcription, par H. G. Hotto, du cours de 1822-23, le premier donné par Georg Wilhelm Friedrich Hegel sur la philosophie de l’histoire. Outre une présentation, un appareil critique et un dossier de très grande qualité, les traducteurs ont eu l’excellente idée d’ajouter à ce texte les notes que Hegel avait préparées pour son dernier cours, celui de 1830-31. En offrant ainsi un accès à un texte bien plus fiable dont Hegel n’a eu de cesse de modifier le plan, cette édition constitue un instrument de travail incontournable permettant de faire face à toutes les falsifications dont sa pensée est aujourd’hui encore l’objet, particulièrement sa pensée de l’histoire. En effet, si c’est bien sur le terrain de l’histoire que « l’Esprit est dans son effectivité la plus concrète » (p. 62), nous pouvons alors supposer que c’est aussi sur ce terrain que l’Esprit reçoit sa définition propre. Or, et c’est l’une des difficultés que pose le texte hégélien, si le processus historique de l’Esprit est parfois référé à Dieu, de sorte que lsemble lui être identifié, il est également défini de la manière suivante : « l’Esprit, ou l’homme comme tel » (p. 63). C’est notamment parce qu’on a longtemps rabattu la seconde définition sur la première, voire qu’on l’a exclue, qu’on s’est cru autorisé à lire la philosophie hégélienne de l’histoire comme une théologie sécularisée.
Or, cette seconde définition - que l’on retrouvera dans l’être générique de Feuerbach et du jeune Marx - permet d’affirmer qu’il n’y a pas chez Hegel de métahistoire divine qui donnerait sens à la simple histoire de l’humanité, mais bien une seule et même histoire, celle du genre humain qui réalise progressivement l’idée de liberté. Puisque, contrairement à Dieu dans le récit de la genèse, l’Esprit, ou l’homme comme tel, ne plane pas et constitue bien le seul principe moteur de l’histoire qui est ainsi intérieurement travaillée par lui, l’histoire apparaît comme étant tout autant l’oeuvre des actions individuelles (l’histoire finie) que celle de l’activité du genre humain (l’histoire infinie, celle de l’Esprit).
Relire Hegel aujourd’hui, c’est ainsi se ressaisir de l’affirmation radicale du principe de faisabilité humaine de l’histoire. Elle n’est pas l’oeuvre d’une quelconque entité abstraite transcendante utilisant les hommes pour se produire, mais celle dhumanité se sachant et se faisant, l’affaire de l’Esprit étant bien de se savoir et de se produire. C’est bien ce qui doit nous conduire à ne pas accorder trop d’importance au thème, relativisé par Hegel lui-même, de la « ruse de la raison », souvent considérée comme le concept philosophique de la Providence, qui semble ainsi transférer à un autre, Dieu, la capacité à agir qui définit pourtant en propre l’homme. Or, c’est bien cette capacité qui permet de saisir le processus historique comme une production proprement humaine, thèse hégélienne qu’il est aujourd’hui plus que jamais essentiel de remettre au centre des débats.
(*) Traduction française de Myriam Bienenstock, Christophe Bouton, Jean-Michel Buée, Gilles Marmasse et David Wittmann. Fayçal Touati, philosophe
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