Grande manifestation paysanne en Indonésie pour la réforme agraire et la souveraineté alimentaire

mardi 30 mai 2006.
 

Le 17 mai, les rues de Jakarta étaient remplies de milliers de personnes. Plus de dix mille hommes, femmes et enfants des villages reculés de Java sont venus en masse jusqu’au centre ville, avec leurs bannières, leurs chansons et le bruit des tambours pour accompagner un des plus gros rassemblements de contestation de la pour réforme agraire depuis la fin du « Nouveau Régime », en 1998. Ils ont été rejoints par des ouvriers, des étudiants, des groupes de jeunes, des pauvres des zones urbaines et d’autres représentants de la société civile.

La Fédération indonésienne des syndicats paysans (FSPI) et la Via Campesina sont à l’origine de cette mobilisation de masse afin de protester contre deux événements importants à Jakarta, qui sont néfastes pour l’orientation prise par les politiques nationale et régionale de la réforme agraire.

En primier, la Food and Agriculture Organisation (FAO) tenait sa 28ème Conférence régionale pour l’Asie et le Pacifique à Jakarta. Pendant cette conférence, des paysans de partout en Asie ont rappelé à la FAO de respecter son programme : réduire la faim et la pauvreté. Le 15 mai, environ 500 paysans membres de la FSPI manifestaient devant le lieu de la conférence pour montrer à la FAO que la production de nourriture - c’est-à-dire la réforme agraire - et pas le libre-échange - sont les clés de la réduction de la pauvreté dans les régions rurales.

Cependant, le seul endroit où les paysans et les organisations des peuples pouvaient s’exprimer, était dans les rues. Les groupes représentant la société civile ont été interdits de parole pendant la conférence ministérielle le 18 mai, après que le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, est revenue sur son engagement qui devait le leur permettre. La conférence régionale de la FAO avait été conclue sans qu’ils aient été entendus. Dans la déclaration finale de la conférence, les ministres ont réaffirmé leur confiance dans la marché libre pour éradicer la pauvreté « dans la droite ligne avec l’esprit de l’Agenda du développement de Doha de l’OMC » - position à laquelle s’opposent la Via Campesina et d’autres mouvements paysans depuis des années.

Les terres à ceux qui les cultivent !

En second, les paysans en Indonésie sont inquiets du projet National Land Body (une institution qui dépend directement de la Présidence de la République) de réviser la Loi agraire basique (connue comme UUPA 1960). Cette loi a été développée en 1960 sous le régime Sukarno afin de transformer la structure coloniale inéquitable de l’époque en quelque chose de plus équitable. À l’époque, la possession des terres était fortement concentrée dans les mains de très peu de personnes et la majorité des paysans était sans terre ou presque.

Adoptée sous la pression des mouvements paysans, cette loi donne un cadre fondamental pour la réforme agraire dans le pays. Elle déclare que le contrôle primordial sur les ressources de la terre, de l’eau et du ciel, toutes les ressources dans et sur la terre, restent du ressort de l’Etat et ne peuvent être utilisées que pour la prospérité du peuple. Elle reconnaît aussi l’égalité entre hommes et femmes, les droits des peuples indigènes ainsi que le principe de la propriété de la terre pour ceux qui la cultivent.

Cette loi donnait une base valable pour la distribution des terres et la justice sociale, mais son application a été stoppée avec l’arrivée du régime dictatorial du Soeharto en 1967. Aujourd’hui, la distribution des terres demeure extrêmement injuste, ce qui crée massivement la sous-alimentation, la pauvreté, le chômage et la faim dans un pays qui a une richesse agricole importante. Actuellement, 70% des paysans contrôlent seulement 13% de la terre, pendant que 30% des propriétaires contrôlent complètement 87% des terres arables.

Bien que la Loi agraire basique n’ait jamais été appliquée, elle n’a jamais été formellement abandonnée non plus et elle continue à être un critère important pour la distribution des terres. Elle est quand même menacée par le Parlement, qui va débattre d’une révision de la loi en juillet ou août 2006. La révision actuelle est inspirée par le concept de la Banque Mondiale « réforme agraire soumise au marché »[i] et elle se concentre sur la libéralisation du marché de la terre (par les titres de propriété) et non sur la répartition des terres.

Une coalition nationale contre l’impérialisme nouveau

Dans le contexte de la conférence de la FAO et de la menace pour la loi agraire, le FSPI a invité d’autres mouvements sociaux et des ONG en Indonésie à unir leurs forces pour promouvoir la réforme agraire. Ils ont crée la People’s Coalition Against Neo Imperialism, dont le but était l’organisation de la mobilisation de masse du 17 mai[ii]. Comme les révisions de l’UUPA 1960 avaient divisé les mouvements sociaux dans un passé récent, la formation de cette coalition était un sérieux pas en avant pour l’unification des mouvements du peuple.

En 2001, le Parlement a adopté un décret sur la réforme agraire[iii] qui a ouvert la porte au démantèlement de la Loi agraire basique. Certaines organisations de sociétés civiles qui étaient pour le décret, le voyant comme moyen de remettre la réforme agraire à l’ordre du jour de l’agenda politique, d’autres par contre, comme le FSPI, étaient férocement contre, car ils le voyaient comme l’ouverture de la « boîte de Pandore » aux politiques néolibérales. Le décret stipule que le UUPA 1960 doit être révisé et reduit à la question du management de la terre, et que les autres ressources naturelles seront désormais réglementées par des lois nouvelles. Depuis que le décret a été adopté, une série de nouvelles lois, nouvelles orientations politiques, concessions et régulations ont été adoptées ou amendées afin de développer une politique néolibérale (par ex. la Basic Forestry Law, la Law of Foreign Investment, la Law of Mining et la Law of Water Resources). Elles sont conçues pour attirer l’investissement étranger et pour doper le commerce et l’exportation des ressources naturelles tout en démantelant les droits du peuple.

Donc, la mobilisation du 17 mai était politiquement significative pour les mouvements sociaux indonésiens et les ONG parce que c’était la première fois depuis la controverse sur le décret parlementaire qu’ils font campagne ensemble contre la révision de l’UUPA 1960. Il y a un accord maintenant parmi les différents groupes selon lequel toute révision de la loi serait dangereuse, car elle pourrait modifier sa philosophé.

Le jour de la manifestation, la coalition a proclamé une plateforme politique unie demandant :

la mise en oeuvre d’une réforme agraire réelle

l’application d’une réforme agraire l’UUPA 1960 et le rejet de la révision de cette loi

d’arrêter toute forme de criminalisation et de répression envers ceux qui luttent

une solution pour tout conflit agraire basé sur le principe de la justice sociale

d’arrêter la libéralisation du commerce agricole et de rejeter tout engagement dépendant de l’OMC

de rejeter les importations du riz et d’instaurer la souveraineté de l’alimentation

Telles étaient les demandes qu’ont apportées pendant toute la journée de cette marche pacifiste et pittoresque dans les rues de Jakarta. Les manifestants sont partis de la mosquée Istiqlal tôt le matin et ont marché jusqu’au Palais présidentiel. Là, le président a envoyé une délégation officielle (le ministre de l’agriculture, le chef du National Land Body, le secrétaire du cabinet et son porte-parole) pour rencontrer les dirigeants paysans. La délégation officielle a dit aux manifestants qu’elle avaient « le même cœur et le même état d’esprit » que les paysans, mais que « même si le pouvoir était entre ces mains, elles n’étaient pas seule à l’exercer ». Les paysans ont répondu que si aucune démarche concrète n’était prise dans le sens d’une réforme agraire réelle, ils organiseraient davantage d’actions de masse et d’occupations de terrains dans le futur.

Devant le Palais présidentiel, plusieurs dirigeants paysans se sont adressés à la foule. Parmi eux, un représentant de la Ligue coréenne des paysans a lu un bref message de solidarité aux paysans indonésiens. Il faisait partie d’une délégation internationale d’organisations des paysans membres de la Via Campesina venus de 10 pays asiatiques pour participer à la conférence de la FAO et la Conférence des peuples sur le riz et la souveraineté alimentaire.

Ensuite, les manifestants ont marché jusqu’à un lieu central (l’Hôtel Bundaran Indonesia) pour diffuser les informations sur la réforme agraire parmi le public qui passait par là. Pendant toute la journée de protestation, les rues de Jakarta ont résonné de chansons d’espoir et de contestation. Franky Sahilantua, un chanteur pop très connu et renommé pour ces chansons sur la vie des paysans, des travailleurs immigrés et des ouvriers, a chanté avec les manifestants. Il chante pour les mouvements de paysans indonésiens depuis qu’il a accompagné le FSPI à la manifestation anti-OMC à Hong Kong en décembre 2005.

Le défilé a ensuite marché jusqu’au bâtiment du Parlement où les représentants de plusieurs partis ont parlé aux paysans. Depuis le plateau d’un camion, ils ont promis la mise en œuvre de la réforme agraire, mais les paysans avaient déjà entendu ces paroles. Ils ont crié aux parlementaires : « Pas des promesses, des actions ! » Ils ont aussi crié : « Venez dans notre village, rendez-vous compte, vous-même, de comment on vit ! »

Le groupe le plus grand de la manifestation était sûrement le Serikat Petani Pasunda (SPP), un syndicat paysan de West Java et membre du FSPI. 7,500 paysans du SPP sont venus à Jakarta dans 120 cars. Après une journée éreintante sous un soleil de plomb, ils ont passé la nuit dans la cité et sont partis à l’aube pour revenir dans leurs villages. Le jour même, les manifestants du SPP de Ciami (West Java) ont occupé 300 hectares de terre appartenant à une entreprise de plantation de tek. Un signe montrant que la réforme agraire en Indonésie ne peut plus attendre.

Achmad Ya’kub

Policy Studies and Campaigns - FSPI Jakarta, 23 mai 2006


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