A l’occasion des 90 ans de l’Organisation Internationale du Travail, fondée en 1919 pour construire un monde de paix fondé sur la justice sociale, Nicolas Sarkozy a délivré un discours où il reconnait, sinon une hiérarchie des normes internationales qui placerait les normes sociales et environnementales en tête des grandes règles multilatérales, au moins la nécessité que l’OMC ou la Banque Mondiale soumettent leurs litiges à l’avis préalable de l’OIT, et que soit réalisée, fut-ce par la conditionnalité des aides, l’application universelle des quatre grandes normes de l’OIT, à savoir l’interdiction du travail forcé, l’interdiction du travail des enfants, l’interdiction de la discrimination à l’emploi, et l’interdiction d’atteindre à la liberté syndicale.
90 ans après sa création, la vigueur des normes de l’OIT est frappante puisque cet anniversaire est concomitant avec la crise financière et économique.
Pour sortir de la crise, l’OIT, soutenue sur ce point par Joseph Stiglitz, qui a récemment rendu un rapport à l’ONU sur le diagnostic de la crise financière, met en avant un concept pratique : l’harmonisation des droits sociaux par l’universalisation du Travail Décent. La définition du travail décent est simple, c’est le travail exécuté, d’une part, dans le respect des quatre normes fondamentales du travail précitées, et d’autre part assorti d’un salaire et d’une protection sociale décents.
Ainsi, en période de crise, rien ne serait pire, selon l’OIT et Joseph Stiglitz, que de remettre en cause des régimes de protection sociale qui sont au contraire des « stabilisateurs automatiques » puisque qu’ils impliquent automatiquement une dépense publique là où la consommation décroit du fait du chômage et de la précarité.
Le Travail Décent cher à l’OIT est, par exemple, incompatible avec la volonté de reculer l’âge de départ à la retraite tel que préconisé cette semaine par le Gouvernement Sarkozy. Le principe de Travail Décent implique, par exemple, que l’on se félicite de l’existence de régimes de sécurité sociale et du fait que ces régimes s’endettent en période de crise pour protéger l’appareil productif, c’est-à-dire les travailleurs et leur pouvoir d’achat. Le principe de Travail décent s’oppose aussi à ce qu’on aggrave l’exploitation des travailleurs en légalisant le travail du dimanche.
Enfin, n’oublions pas que l’objectif de l’OIT est d’atteindre l’universalité de ses normes. La concurrence libre entre marchés du travail et régimes sociaux est donc LE principal frein à la réalisation du Travail décent. Au contraire, la concurrence permet, sans qu’il soit nécessaire de légiférer, une harmonisation par le bas des conditions de travail au plan mondial. En Europe, cette concurrence est réalisée grâce aux traités en vigueur et le sera encore davantage par le Traité de Lisbonne.
Contrairement à ce que laisse entendre Nicolas Sarkozy dans sa harangue aux délégués de l’OIT, il ne faut pas croire que le Travail décent est réalisé en Europe et qu’il ne s’agirait aujourd’hui, que d’en obtenir l’application dans les pays pauvres ou émergeants. D’une part, il faut indiquer que les deux pays qui ont le moins ratifié les normes fondamentales du travail sont la Chine.. et les Etats-Unis. D’autre part, l’Union Européenne est très loin d’être exemplaire. Pour ne prendre l’exemple que de la liberté syndicale et le droit à la négociation collective, on peut relever un mouvement vers des atteintes de plus en plus graves, et singulièrement par la Cour de Justice Européenne qui dans une série d’arrêts de fin 2007 a fait prédominer le droit d’établissement des entreprises sur le droit syndical, notamment en Suède (Arrêt Laval). En France, la possibilité de déroger aux conventions collectives de branche par les accords d’entreprise (Loi Fillon) est une atteinte au droit à la négociation collective car il soumet les délégués syndicaux à l’emprise d’un patron unique et au chantage à la délocalisation. On le sait : on ne négocie pas vraiment, dans ces conditions-là.
Pour finir, on voit que derrière un vocabulaire abstrait où il est question de lutte de classes (pour la regretter, d’ailleurs), de Jaurès, et de justice sociale, Nicolas Sarkozy s’absout lui-même des violations, par la France, des règles de l’OIT. Faut-il rappeler qu’il aura fallu un juge d’un tribunal de Longjumeau pour dire illégal le Contrat Nouvelle Embauche(CNE) au motif qu’il était une violation de la convention 158 de l’OIT qui interdit d’avoir des périodes d’essai trop longues... ?
Raquel GARRIDO
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