L’étau se resserre autour de Nicolas Sarkozy dans le plus grand scandale de la Vème République : ce que l’on sait de l’affaire Karachi.

dimanche 5 juillet 2009.
 

L’affaire est incroyable. Qu’elle soit avérée ou pas, elle concerne Nicolas Sarkozy. "Je connaissais la rumeur" a commenté Dominique de Villepin dimanche dernier sur Canal Plus.

1. Le 8 mai 2002, trois jours après la réélection de Jacques Chirac à la Présidence de la République, un attentat détruisait un bus, coûtant la vie à 14 personnes à Karachi, dont 11 ingénieurs français travaillant pour la Direction des Constructions Navales.

2. En septembre 1994, la France vendait au Pakistan trois sous-marins Agosta. En 1994, Edouard Balladur était premier ministre, et Nicolas Sarkozy son ministre du Budget. Le contrat de vente, un document de 164 pages récupéré par les juges menant l’enquête, révèle le montage : signé entre la DCN, la Sofratem et l’Etat pakistanais, confiait l’ingénierie financière à une société, la "Financière de Brienne". Cette vente était déjà surprenante, car "à perte" : la DCN savait qu’elle perdrait de l’argent sur l’opération, entre 43 et 99 millions d’euros. Le 28 octobre 2005, la Cour de discipline budgétaire et financière dévoilait la supercherie. Pourquoi le gouvernement Balladur avait-il besoin de vendre "à tout prix" de tels sous-marins ?

3. Des commissions occultes ont été versées. Cette vente d’armements à un pays étranger s’est accompagnée de versements de commissions à divers intermédiaires. C’est une pratique courante, paraît-il. Parmi ces intermédiaires, on cite M. Ziad Takieddi, dont la société MERCOR FINANCES a bénéficié d’un contrat avec la DCN lui assurant 4 % du montant de la vente. La rétrocession d’une partie de ces sommes à des résidents ou des sociétés françaises est explicitement interdite dans le contrat. Ces rétrocessions sont effectivement illégales.

4. Différentes personnalités de la droite sont impliquées dans cette vente d’armements. Le "casting" est "prestigieux" note Libération :

* Nicolas Sarkozy a donné le feu vert à la DCN "en vue de créer une structure luxembourgeoise, Heine, par laquelle transiteront des commissions à l’exportation", en d’autres termes les pots-de-vin divers et variés versés aux intermédiaires étrangers de l’opération ;

* François Pérol, ancien conseiller du président Sarkozy et devenu le controversé président des Banques Populaires et Caisses d’Epargne en début d’année, était administrateur de la DCN à l’époque ;

* Brice Hortefeux, actuel ministre du Travail, était ministre délégué de Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2005. Il est intervenu auprès du ministère des Finances de l’époque pour plaider la cause de la DCN qui souhaitait pouvoir déduire intégralement ces commissions de son impôt sur les sociétés ;

* Jean-François Copé était, toujours en 2005, le ministre du Budget. Il transmet la demande de la DCN au parquet.

5. Elu en 1995 à la Présidence de la République, Jacques Chirac avait gagné contre son rival de droite et "ami de 30 ans", Edouard Balladur. Nicolas Sarkozy, soutien et suppôt de l’ancien premier ministre, entamait une traversée du désert qui dura 7 ans. En 1996, Jacques Chirac exige du gouvernement que les versements des commissions prévues soient interrompus. Interrogé sur Canal Plus dimanche 21 juin, Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée, confirme que Chirac souhaitait "moraliser" ces pratiques. Mais il se refuse à confirmer toute instruction spécifique dans cette affaire de Karachi. Dans un document saisi par les juges d’instruction chargés de l’enquête, on peut lire : « Les commissions ont été versées jusqu’en 1996, puis les paiements bloqués sur instruction des autorités françaises, faisant état de retours illicites de tout ou partie des commissions en France. »

6. D’après les magistrats chargés de l’enquête, Jacques Chirac soupçonnait le Pakistan ou certains intermédiaires de rétrocéder à l’équipe Balladur une partie des commissions perçues sur ces ventes de sous-marins. "Tout remonte au refus de Jacques Chirac, en 1996, de verser les commissions liées à la vente de sous-marins, lorsqu’il apprend qu’il existe des rétro-commissions destinées à son rival Edouard Balladur", a rapporté Maître Morice, l’un des avocats des victimes.

7. Les juges chargés de l’enquête sur l’attentat ont expliqué aux avocats des victimes qu’il est "logique" de soupçonner l’attentat de 2002 comme une mesure de rétorsion des autorités pakistanaises à l’arrêt de ses versements. L’un des avocats a rapporté que "le magistrat a jugé extrêmement sérieuse l’idée que le mobile de cet attentat soit le non-versement de commissions dues par les Français à des militaires pakistanais." François Chipaux, pour Slate.fr, explique que la responsabilité des services pakistanais dans l’attentat est probable.

8. Les juges n’ont pas abandonné la piste d’un attentat d’Al Qaïda. C’est ce qu’a expliqué un "haut magistrat", anonyme, au journal Le Monde.

9. Des pièces du dossier d’instruction comporteraient des preuves d’une autre opération, française cette fois-ci : la DGSE se serait vengé de l’attentat pakistanais de mai 2002. Des agents français auraient fait tuer un officier et briser les jambes de trois amiraux pakistanais quelques mois après l’attentat. Oeil pour oeil, dent pour dent.

10. Vendredi dernier, Nicolas Sarkozy a qualifié de "fable" l’intégralité de cette affaire. N’aurait-il pas pu expliquer sa version des faits ? Cette affaire sera donc enterrée. Le Watergate à la Française n’est pas pour aujourd’hui... La presse s’est déjà couchée.

1) Karachi. Les dessous d’un dossier compliqué

Vente d’armes, attentat, règlements de compte et corruption politique  : chronologie d’une affaire d’État riche en rebondissements qui aura coûté la vie à quatorze personnes.

1992. Les négociations pour le contrat de ventes de sous-marins français débutent. La Direction des constructions navales (DNC) donne mandat à la société française Sofma. Une enveloppe de 52 millions d’euros est réservée à ses agents, chargés de les redistribuer aux décideurs politiques et militaires pakistanais.

1994. Renaud Donnedieu de Vabres impose au patron de la DCN International l’arrivée de deux nouveaux intermédiaires, Ziad Takieddine et Abdulrahman El Assir. Ils sont le réseau K.

Création au Luxembourg de la société offshore Heine SAA, par laquelle doivent transiter les commissions promises au réseau K. En tant que ministre du Budget, Nicolas Sarkozy a supervisé et donné son aval à sa création.

1995. Dix millions de francs sont déposés sur le compte de l’association de financement de la campagne d’Édouard Balladur. Les rapporteurs du Conseil constitutionnel proposent le rejet des comptes de campagne mais, après l’intervention de Roland Dumas, le Conseil les valide.

1996. Soupçonnant le versement de rétrocommissions à ses ennemis balladuriens, Chirac prend la décision de stopper la rémunération de tous les intermédiaires du contrat Agosta.

2002. Le 8 mai, une voiture piégée fait sauter un bus convoyant des salariés de la DCN, à Karachi. Quatorze personnes, dont onze Français, sont tuées. Trois suspects sont condamnés à mort par la cour antiterroriste de Karachi. Ils seront innocentés en 2009.

 2010. Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire confiée au juge Renaud Van Ruymbeke, après une plainte avec constitution de partie civile des familles des victimes de l’attentat.

2011. Ziad Takieddine, Nicolas Bazire et Thierry Gaubert, trois proches de Nicolas Sarkozy, sont mis en examen. L’ex-ministre Renaud Donnedieu de Vabres (UMP) est placé en garde à vue. C’est la première arrestation d’une personnalité politique dans l’affaire Karachi.


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