Non à l’attaque frontale contre le statut des fonctionnaires et les garanties que ce dernier représente pour tous les citoyens

mardi 21 juillet 2020.
 

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues,

les députés communistes, républicains et du parti de gauche estiment que le présent texte s’inscrit pleinement dans la révolution culturelle annoncée par le Président de la République le 19 septembre 2007 à Nantes, laquelle vise à mettre en place une nouvelle fonction publique, inspirée du modèle libéral européen, à l’anglo-saxonne.

Il s’agit d’une attaque frontale contre le statut des fonctionnaires et les garanties que ce dernier représente pour tous les citoyens ; il s’agit, en d’autres termes, d’une nouvelle remise en cause de la conception française de la fonction publique, laquelle repose, je le rappelle, sur le service public à la française qui est au cœur de notre pacte social et républicain, lui-même hérité de la Libération.

Si la loi du 19 octobre 1946 doit être considérée comme la première expression majeure, dans notre droit, de cette conception républicaine de la fonction publique, les avancées intervenues depuis ont permis d’accorder aux fonctionnaires de nouveaux droits et un statut spécifique.

Comme le rappelait récemment Anicet Le Pors, auteur de la grande loi de 1983, l’unité de ce statut est fondée sur trois principes. Le premier est l’égalité, par référence à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que l’accès aux emplois publics s’effectue « sans autre distinction que celle [des] vertus et [des] talents » : c’est donc par la voie du concours que l’on entre dans la fonction publique.

Le deuxième principe est l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique comme de l’arbitraire administratif, principe assuré par le système dit de la « carrière » ou du grade, propriété du fonctionnaire et distinct de l’emploi, qui, lui, est à la disposition de l’administration ; ce principe ancien se trouve déjà formulé dans la loi relative aux officiers de 1834.

Troisième et dernier principe : la citoyenneté, qui confère au fonctionnaire la plénitude des droits des citoyens et reconnaît la source de sa responsabilité dans l’article XV de la Déclaration de 1789, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Cette conception du fonctionnaire-citoyen s’oppose à celle du fonctionnaire-sujet. C’est sur cette base qu’a été construite une fonction publique à trois versants, ensemble à la fois unifié et respectueux des différences, comme l’indiquent ses quatre titres adoptés successivement en 1983, 1984 et 1986.

À vrai dire, ce projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique est une nouvelle étape de l’offensive menée depuis plusieurs années contre la fonction publique et les services publics. Il est le prolongement des multiples déstabilisations menées depuis plus de vingt ans : mise à l’écart progressive, depuis le début des années 90, de la fonction publique de La Poste et de France Télécom, établissements suivis en cela par bien d’autres services ou établissements administratifs ; loi Hoeffel de 1994, qui a permis le recrutement sans concours des agents administratifs à l’échelle 2 ; rapport annuel du Conseil d’État de 2003, qui esquissait la théorie d’un autre modèle de fonction publique en érigeant le contrat en source autonome de son droit ; loi de juillet 2005, qui a introduit le contrat à durée indéterminée dans la fonction publique ; loi du 2 février 2007, dite de « modernisation », qui, sous couvert de renforcer le droit à la formation des agents, a rapproché la fonction publique du secteur privé ; Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique du 17 avril 2008, rédigé par Jean-Ludovic Silicani ; enfin, proposition de loi déposée par quatre-vingt-sept collègues de la majorité le 21 janvier dernier pour instituer la liberté de recrutement par les collectivités territoriales et faire du recours au contrat de travail de droit commun la règle.

Le présent texte poursuit donc un objectif de réduction des dépenses et des effectifs ; il encourage les départs sous couvert de mobilité et donne en réalité à l’État les outils nécessaires pour mettre en œuvre un plan social d’une ampleur inégalée. Enfin, dans le même but de réduction des dépenses publiques, il permettra à l’État de se désengager, au détriment des collectivités territoriales.

L’argument de la mobilité est en réalité utilisé pour inciter les fonctionnaires à quitter la fonction publique.

C’est dans cette intention que vous proposez d’accroître le champ de la contractualisation au sein de la fonction publique, d’y organiser l’instabilité de l’emploi et, à vrai dire, de favoriser le clientélisme.

L’extension des possibilités de cumul d’emplois à temps partiel accroîtra incontestablement la précarité ; enfin, la facilitation du recours aux contractuels ou, pis encore, celui, légalisé, à l’intérim, ouvrent encore davantage la brèche de la contractualisation dans le recrutement au sein de la fonction publique. Couplée à l’intérim, cette contractualisation renforcée revient à fonder le recrutement sur le clientélisme et à en faire une filière d’embauche à part entière, pour transformer les agents de la fonction publique en variables d’ajustement, comme le sont les salariés des entreprises privées.

Alors que toute réforme ne devrait se fixer comme objectif que l’intérêt général et le progrès social pour tous, il s’agit bien ici de démanteler le statut de la fonction publique, pour mieux mettre en place la révision générale des politiques publiques qui commande des suppressions massives de postes de fonctionnaires. L’objectif est bien de donner aux administrations de nouveaux outils pour gérer les restructurations qu’imposera cette RGPP.

Le dispositif principal du projet de loi traduit parfaitement cet objectif, notamment aux articles 6, 7, 8, 9 et 10, dont toutes les organisations syndicales demandent le retrait.

Ce projet de loi utilise donc le thème de la mobilité comme un paravent, à des fins purement comptables et financières. Il doit être analysé dans son ensemble sous l’angle de la révision générale des politiques publiques. Vos objectifs sont la réduction des dépenses publiques et le remodelage de l’appareil de l’État - vous ne vous en cachez d’ailleurs pas.

Avec ce texte, vous vous donnez les moyens d’organiser dans la fonction publique un vaste plan social qui ne dit pas son nom. Personne n’est dupe. Tous les syndicats, dans leur diversité, ont exprimé leur opposition au projet. Au moment même où je m’exprime, ils se rassemblent devant l’Assemblée nationale pour manifester leur volonté de résister à ce dispositif.

Il s’agit donc bien à nos yeux d’une remise en cause de la conception républicaine du statut de la fonction publique. Nous avons une tout autre idée de ce que devrait être cette fonction publique. Notre pays doit développer ses services publics pour leur permettre de répondre pleinement aux besoins de la population. C’est d’autant plus vrai que la montée de la précarité place les collectivités territoriales en première ligne face à des familles que le chômage fragilise ou jette dans des difficultés insurmontables.

Notre opposition résolue s’explique donc à la fois par le contenu même du texte qui nous est présenté et que nous désapprouvons, et par notre attachement indéfectible à une fonction publique au service de tous, respectant l’égalité du traitement des citoyens, avec des agents exerçant leur mission de manière neutre et impartiale.

Intervention de Marc DOLEZ ce 2 juillet 2009


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message