Proche-Orient : Une solution nommée Barghouti (3 articles)

dimanche 30 août 2009.
 

C’était il y a plus de sept ans déjà. Marwan Barghouti était fait prisonnier en plein coeur de la terre palestinienne, à Ramallah, par un commando de l’armée d’occupation israélienne. En violation flagrante du droit international puisque l’un des plus hauts représentants du peuple palestinien était ainsi arrêté en territoire occupé et transféré vers une prison de la puissance occupante. Ce qu’interdisent très précisément ces conventions de Genève dont on célébrait hier le soixantième anniversaire.

Procès biaisé, actes de résistance systématiquement assimilés par la partie civile (sic) israélienne à du terrorisme, condamnation à cinq peines de prison à vie, séjours successifs à l’isolement, périodes de détention dans des conditions inhumaines, se sont succédé durant ces sept années d’emprisonnement illégal.

Et pourtant rien n’aura permis de briser physiquement et surtout moralement Marwan Barghouti, qui bénéficie d’une aura extraordinaire en terre palestinienne. Au point d’y être encore et de très loin le dirigeant le plus populaire. Son élection toute récente à la direction du Fatah et maintenant le débat qui refait irruption au sein même du cabinet israélien sur le bien-fondé ou non de son éventuelle libération sont le signe d’un charisme étonnamment intact qui fait toujours de lui un interlocuteur décisif en dépit de son enfermement. Il est un personnage « clé », comme le furent jadis d’autres grands résistants à un moment décisif de l’histoire de leurs peuples opprimés. Comment ne pas penser à Nelson Mandela en ces temps où les autorités israéliennes dominées par les ultras bâtissent des murs dans l’espoir de consolider définitivement un système d’apartheid ?

Le « document des prisonniers », rédigé du fond de sa cellule en juin 2006 avec d’autres détenus politiques palestiniens, dont des dirigeants du Hamas ou du Djihad islamique, constitue l’une des initiatives politiques parmi les plus marquantes du leader palestinien. Alors que le Hamas et le Fatah s’affrontaient ouvertement sur le terrain avec la bénédiction des autorités occupantes israéliennes, ce texte a cherché à sceller l’unité nationale au-dessus des clans, du fait religieux ou de ces avantages si particuliers qu’ouvre la corruption qui mine malheureusement une partie de l’administration palestinienne. Voilà pourquoi Marwan Barghouti incarne avec autant de force l’unité de son peuple et sa légitimité à résister à l’occupation.

Les signaux émis ces jours-ci illustrent à leur manière combien la libération de Barghouti peut être décisive pour qui entend en venir à un vrai début de solution au Proche-Orient. Avec comme préalable la fin de la colonisation et le retrait d’Israël des territoires qu’il occupe depuis 1967. Pour permettre l’avènement d’un État palestinien viable à « côté de celui d’Israël », comme le souligne l’inspirateur de la deuxième Intifada qui ne cache pas son ouverture à la société israélienne - il parle parfaitement l’hébreu - et sa disponibilité pour une négociation fondée sur ces principes-là.

Il ne faut pas se leurrer cependant. Les extrémistes savent qu’ils n’ont rien de bon à attendre d’une libération du leader de la résistance palestinienne. Ils le préfèrent au fond d’une prison, voire mort. « Seulement pris ? Dommage », avait regretté Ariel Sharon en avril 2002 en apprenant son interpellation.

Le combat des Palestiniens comme l’amplification du mouvement de solidarité internationale sont donc, on l’aura compris, plus indispensables que jamais afin que la libération de Marwan devienne incontournable. Pour que justice soit faite. Mais aussi pour déverrouiller enfin la situation au Proche-Orient.

2) Marwan Barghouti « Un prisonnier illégal »

Daniel Voguet, avocat, qui a suivi le procès du leader palestinien, estime que sa libération serait une chance pour les Palestiniens et pour Israël.

Vous avez fait partie du Comité international de défense de Marwan Barghouti et suivi son procès. Que pouvez-vous nous dire de l’homme ?

Daniel Voguet. Je veux d’abord rappeler l’illégalité totale de son procès et de sa condamnation : cinq fois la perpétuité et quarante ans de sûreté ! Il avait été enlevé dans un territoire occupé par la puissance occupante et transféré dans le pays occupant, ce qui est totalement contraire aux conventions de Genève dont on célèbre ces jours-ci les soixante ans. Quant à l’homme, je l’ai rencontré plusieurs fois : j’étais à toutes les audiences, parfois avec Gisèle Halimi et des élus français, comme le député Jean-Claude Lefort, ou de la Gauche européenne comme Francis Wurtz et Louisa Morgantini. Je l’ai aussi rencontré plusieurs fois en prison et me suis entretenu avec lui. Son procès a été un procès politique car c’est un dirigeant important du Fatah pour la Cisjordanie et un député. Il a été poursuivi pour cela, pour le rôle qu’il a joué dans la résistance à l’occupation. Ils l’ont qualifié de terroriste comme l’avaient fait les autorités françaises pour les résistants algériens.

N’était-il pas très engagé dans la lutte armée ?

Daniel Voguet. En fait, il était le responsable de la deuxième Intifada, qui était un mélange de lutte armée et de protestation populaire, avec manifestations, attaques contre les soldats et harcèlement des colons. Mais son objectif, il nous l’a longuement expliqué, était des négociations avec Israël pour un État palestinien viable, débarrassé des colonies. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la déclaration des prisonniers qu’il a publiée avec des responsables de divers mouvements mais aussi du Hamas, emprisonnés avec lui.

Que signifierait sa libération selon vous ?

Daniel Voguet. Le gouvernement israélien, en l’arrêtant, a voulu donner un signe fort aux dirigeants palestiniens et leur signifier que la lutte armée entraînerait une répression terrible. Le libérer aujourd’hui serait le signe qu’Israël veut créer les conditions de vraies négociations de paix. Barghouti est resté très populaire, comme vient de le montrer son élection à la direction du Fatah avec un nombre impressionnant de voix. Mais sa popularité dépasse largement le cadre du Fatah. Il est de ceux qui sont pour un dialogue, voire une union avec le Hamas pour présenter un front uni face à l’occupant. Il est de ceux qui peuvent rassembler des gens d’opinion politiques différentes. C’est très nécessaire à un moment où la division du mouvement national palestinien l’entraîne dans une impasse et sert de prétexte à Israël pour refuser tout dialogue sérieux, toute concession. Cela contribuerait à ouvrir les portes de l’avenir pour les deux pays, la Palestine mais aussi Israël.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin

3) Marwan Barghouti, l’espoir au présent

Proche-orient . Un ministre israélien estime qu’il faut le libérer. L’élection du populaire leader palestinien au comité central du Fatah relance la campagne pour le sortir de prison.

Paradoxalement, Benyamin Ben Eliezer, actuel ministre israélien du Commerce et de l’Industrie mais, surtout, ancien ministre travailliste de la Défense lorsque Ehoud Barak dirigeait le gouvernement, vient de relancer l’idée de la libération de Marwan Barghouti, leader palestinien emprisonné depuis avril 2002 et condamné à cinq fois la prison à vie. « Il faut le libérer immédiatement et s’asseoir avec lui, personne d’autre que lui n’est capable de prendre des décisions difficiles », a affirmé, hier, Ben Eliezer. « On ne fait pas la paix avec des beaux esprits, mais avec des dirigeants capables de prendre des décisions et d’imposer leur autorité à l’ensemble des factions palestiniennes ». Le même a affirmé à propos d’Ehoud Barak - ministre de la Défense du gouvernement Netanyahou : « À ma connaissance, il ne fait pas partie des opposants à la libération de Barghouti. » Quel que soit le fond réel de la pensée de Benyamin Ben Eliezer et le moment choisi pour cette déclaration (une lutte commence à sourdre entre les diverses factions gouvernementales israéliennes, lire ci-contre), la question de la libération de Marwan Barghouti ne doit pas cesser d’être posée, exigée.

Une stratégie politique stable

Le congrès du Fatah, la principale organisation palestinienne, que Barghouti dirigeait en Cisjordanie avant son arrestation, a montré le poids politique de ce leader de cinquante ans. Formé lors de la première Intifada, emprisonné à plusieurs reprises - ce qui a permis à cet ancien étudiant de l’université de Bir Zeit, près de Ramallah, d’étudier l’hébreu -, Marwan Barghouti n’a jamais dévié de la stratégie politique qu’il a adoptée pour parvenir à la création d’un État palestinien, aux côtés d’Israël, dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. S’il a toujours déclaré vouloir privilégier le dialogue avec Israël pour y parvenir, il a également toujours affirmé que la légitimité de la résistance n’était, elle, pas négociable, entendue comme un droit des peuples, reconnu par les Nations unies. Cette résistance - et contrairement aux accusations de la « justice » israélienne qui a agi en toute illégalité, puisque Marwan Barghouti a été arrêté alors qu’en tant que député il bénéficiait d’une immunité et que son arrestation s’est déroulée à Ramallah, en territoire palestinien -, il n’a jamais voulu qu’elle frappe les civils israéliens. En revanche, il estime totalement légitime le combat contre les colons, qui occupent la terre de Palestine, et l’armée israélienne, dont le rôle est celui d’une armée coloniale, maintien de l’ordre, répression et bouclage des territoires palestiniens.

« Un droit à la résistance »

Au sein d’un Fatah vieilli, d’une direction figée et d’une montée en puissance des islamistes du Hamas incarnant de plus en plus la résistance palestinienne, les idées de Marwan Barghouti, portées par ses proches comme Qadoura Fares, ont envahi le congrès de l’organisation, sous l’oeil du défunt Yasser Arafat. Dans le document final, le Fatah a rappelé « son attachement à l’option d’une paix juste » avec Israël, tout en réitérant « le droit du peuple palestinien à la résistance contre l’occupation, conformément à la loi internationale ».

Un important mandat populaire

Dans un éditorial, Hafez Al Barghouti, rédacteur en chef du journal Al Hayat Al Jadida, écrivait, hier : « Le grand vainqueur des élections est le président Abou Mazen (Mahmoud Abbas - NDLR) qui a réussi à mener à bien le congrès, à régler de nombreux problèmes et à mettre en échec une scission qui menaçait. » Il ajoutait : « Le deuxième vainqueur est Marwan Barghouti, qui a reçu un important mandat populaire en dépit de la campagne hostile dont il a fait l’objet avant et pendant le congrès. » Marwan fait partie des trois seules personnalités qui ont recueilli plus de 1 000 voix (sur 2 000 délégués) lors de l’élection au comité central du mouvement. Ce qui, de fait, fait de lui l’un des dirigeants les plus populaires au sein du Fatah et au-delà. Les nombreux sondages réalisés dans les territoires occupés, en Cisjordanie et à Gaza, montrent que, dans tous les cas de figure, en cas de présidentielle, il réalise un meilleur score que Mahmoud Abbas ; surtout, ce dernier pourrait être battu par un candidat du Hamas, ce qui n’est pas le cas de Marwan Barghouti.

La force du mouvement national palestinien, c’est évidemment son unité. Une unité actuellement perdue, d’où son affaiblissement. D’un côté le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. De l’autre la Cisjordanie, où règne ce qui reste du Fatah. Malgré son emprisonnement, Marwan Barghouti n’a de cesse d’appeler à l’unité et surtout à prendre des initiatives de caractère politique visant à recréer cette unité de toutes les organisations palestiniennes. Il est ainsi à l’origine de ce qu’on appelle le « document des prisonniers », signés par les représentants incarcérés de toutes les parties palestiniens sans exception, à la base de la rencontre entre le Hamas et l’OLP à La Mecque, à une période où tout dialogue était rompu. Limor Livnat, ministre israélien Likoud, le parti du chef du gouvernement Benyamin Netanyahou, ne s’y trompe pas. « Nous ne devons pas vérifier l’état d’avancement des négociations avec les Palestiniens en libérant un tueur, cela ne nous amènera pas à la paix », avance-t-il. Venant du représentant d’un parti qui poursuit la colonisation et cherche à différer tout accord de paix, c’est un appel au développement de la campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouti.

Pierre Barbancey


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