Sécularisation, communautarisme et intégrisme (Par Bernard Teper)

lundi 28 septembre 2009.
 

A la question : « pourquoi y-a-t-il un paradoxe entre le mouvement inexorable à l’échelle mondiale de la sécularisation et du recul des religions et la forte montée des communautarismes et des intégrismes religieux depuis une trentaine d’années ? », l’UFAL répond : « en raison de l’arrivée des politiques néolibérales à l’échelle mondiale ». Non pas que la lutte antinéolibérale soit consubstantielle au combat laïque, mais parce que les contingences historiques d’aujourd’hui font que ce sont les politiques néolibérales qui sont la cause du phénomène en question.

Nous avons noté que l’application à l’échelle mondiale du Consensus de Washington (1979) engageait la marche forcée vers la privatisation et la marchandisation de toutes les activités humaines et donc des services publics et de la protection sociale. Et que les dirigeants du monde avaient donc besoin du soutien des communautarismes et des intégrismes ethniques et religieux à l’échelle mondiale pour s’occuper des « pauvres » abandonnés par la destruction des services publics et de la protection sociale. Et que cela était au coeur des formations et financements des dirigeants du capitalisme aux forces intégristes et communautaristes.

Et la même année, la CIA avec ses agents forment et financent les intégristes talibans en Afghanistan contre les soviétiques et le président Najibullah en demandant aux services secrets pakistanais (ISI) de faire une partie de ce travail.

Ce tournant détruit toutes les anciennes formations combattantes dans ces pays. Par exemple, les partis communistes irakiens et iraniens très puissants se scindent en trois : une partie devient pro-américaine (et participe au gouvernement fantoche irakien), une partie se solidarise avec les intégristes musulmans lorsque que ceux-ci décident de se retourner contre les EU (coordination de Falloudja), et la troisième partie (celle qui nous a contactés depuis longtemps !) organise la résistance contre la présence étasunienne au Moyen-Orient et contre les islamistes. Ne pas comprendre que dans l’ensemble de ces pays arabes et musulmans les seules forces organisées sur le terrain avec qui nous pouvons travailler sont cette troisième composante implique une cécité politique et historique. Cette troisième composante ne peut avoir confiance qu’en ceux qui mènent la bataille conjointe contre l’impérialisme américain et contre les islamistes. Si nous organisons une alliance avec les partisans du Choc des civilisations (ou avec les boboïsants : Philippe Val, Bernard Henri-Lévy ou similaire) ou en voulant agglomérer tous ceux qui ne représentent rien ou ceux qui représentent de grandes orgas mais ne peuvent pas influer comme nous le pouvons sur le cours des choses, nous allons nous couper des forces vives qui militent sur le terrain et nous allons constituer le nième collectif qui n’aura aucune influence.

Par ailleurs, si nous sommes demandés en educ’ pop et en formation dans les pays arabes et musulmans par les combattants de ces pays, c’est parce que nous avons l’analyse ci-dessus. Sinon, nous serions condamnés à faire au mieux des collectifs avec les partisans du Choc des civilisations qui contrôlent les médias, et au pire avec des inconnus sans possibilité d’action sur le terrain. L’UFAL n’a jamais réussi à entraîner l’avenir sans tenir compte des réalités sur le terrain.

Aujourd’hui, l’enjeu est de taille : nous sommes en contact avec les laïques sociaux de gauche (que cela plaise ou pas !) latino-américains que nous allons mettre en contact avec les militants des pays africains, arabes et musulmans qui partagent cette même analyse. Ils nous ont contactés pour cela, pas pour que nous fassions un texte brillant dans les journaux boboïsants qui sera sans suite. La grande force de l’UFAL a toujours été dans les 20 ans passés de traduire les pensées philosophiques et juridiques en discours politique audible par les forces combattantes. C’est ce qui nous a singularisé par rapport à tous les autres qui ont construit des collectifs sans impact sur la réalité concrète.

Si on prend en compte ce qui précède, nous pouvons traduire la coupure épistémologique dans les faits. L’UFAL ne sera l’UFAL que dans la traduction de cette coupure épistémologique et non dans un texte ahistorique. Et c’est dans ce seul cadre que peuvent avoir lieu les 3ème Rencontres Laïques Internationales prévues à Bruxelles.

SECULARISATION ET COMMUNAUTARISME

Dans la confusion idéologique actuelle, il est nécessaire de clarifier chaque élément de notre pensée critique pour l’action. Des "bonnes âmes", des "charlatans sociaux" confondent laïcité et sécularisation. L’apothéose mystique advient quand ces "âmes confuses" déclarent : « je traduis en anglais laïcité par secularism » ! L’anglomanie contre la pensée rationnelle !

En fait, on peut montrer que la bataille laïque contre le communautarisme est constante depuis le XVIIIe siècle et la grande Révolution française, que l’église catholique a regagné du terrain depuis la loi du 9 décembre 1905, que les évolutions politiques du PCF et de la SFIO d’une part et la querelle corporatiste des syndicats SNES et SNI d’autre part ont permis le retour du communautarisme pendant la période 1947-1977, que depuis 1979 , nous vivons une alliance stratégique entre les intérêts du néolibéralisme et de l’ensemble des forces communautaristes et intégristes de toutes les religions.

Mais pendant ce temps-là, la sécularisation continue malgré la montée des "visibilités communautaristes et intégristes" bien orchestrées par les médias qui sont globalement au service de l’alliance stratégique dont nous venons de parler. Nous pouvons même dire que ce qui est la caractéristique de la période est le processus de découplage entre la baisse du sentiment d’appartenance et de la pratique religieuse (sécularisation) et la montée des communautarismes et intégrismes de toutes les religions.

Contrairement à ce que nous racontaient et nous racontent toujours les "bonnes âmes" et les "charlatans sociaux", la majorité des femmes d’origine maghrébine ont toujours été pour la loi contre les signes religieux à l’école, que ce soit avant (voir le sondage du journal Elle auprès de 3 000 femmes d’origine maghrébine) ou après le vote de la loi.

Les enseignements d’une étude

L’institut de sondage IFOP a sorti une étude le 15 août dernier montrant que le mouvement de sécularisation des personnes d’origine catholiques continue. Et cela malgré la propagande médiatique et les grands rassemblements du pape Woytila alias jean-Paul II. Les données présentées proviennent d’enquêtes historiques de l’IFOP et d’un cumul réalisé à partir d’enquêtes sur la période 2005-2009. 135 enquêtes ont été effectuées auprès d’échantillons nationaux représentatifs de 960 personnes, selon la méthode des quotas.

Indépendamment des évolutions théologiques, des papes, de leurs campagnes médiatiques, des initiatives de "visibilité communautariste", des discours de nouveaux prêtres cathodiques, la proportion des Français se disant catholiques serait passée ,d ’après cette étude, de 87 % en 1972, à 76 % en 1976, puis le mouvement de baisse reprend en 1987 pour aboutir aujourd’hui à 64 % (passage de 21 % en 1987 à 28 % pour les "sans religion", de 1à 3 pour les protestants à cause des évangéliques, et pour les autres religions-judaïsme-islam-bouddhisme passage de 3 % en 1987 à 6 % en 2001 pour revenir à 5 % en 2009). Quand à la pratique de la messe le dimanche (les « messalisants) », ils passent de 20 en 1972, à 14 % en 1978 (année d’arrivée du pape Woytila alias Jean-Paul II) et à 4,5 % aujourd’hui.

Et tout mène à penser que ce mouvement de sécularisation va continuer car la pyramide des âges des "catholiques" ne leur est pas favorable. Les moins de 35 ans représentent 30 % de la population française et seulement 23 % de ceux qui se reconnaissent comme catholiques. Les plus de 50 ans sont 42 % de la population mais 50 % de ceux qui se reconnaissent comme catholiques. Pour les pratiquants du dimanche, 65 % ont plus de 50 ans !

Les catholiques sont plus souvent des femmes - différence sexuée qui affecte encore plus ceux qui vont à la messe (60 % des messalisants). Les retraités sont nombreux (25 % chez les croyants, mais 46 % chez les messalisants). La note souligne que les catholiques sont sous-représentés dans les catégories populaires (ouvriers et employés) puisqu’elles constituent seulement 23 % des croyants (et 18 % des messalisants).

Les bastions catholiques restent l’Est (Moselle, Alsace et Franche-Comté excepté le territoire de Belfort), l’Ouest intérieur (de la Manche aux Deux-Sèvres, Vendée et Morbihan) et le sud du Massif central (Cantal, Aveyron, Haute-Loire et Lozère). Mais la pratique religieuse recule dans la Meurthe-et-Moselle et les Vosges, en Côtes d’Armor, en Finistère et en Loire-Atlantique.

De plus en plus, la géographie du catholicisme recoupe la géographie du vote de droite. On peut même dire qu’il y a une accélération de ce point de vue. Ce qui explique le renforcement de la pratique religieuse du dimanche dans les départements aisés de l’Ile-de-France : Yvelines, Val d’Oise et Paris.

Alors que 25 % des Français se déclarent proche de l’UMP, c’est 30,6 % des catholiques et 38,9 % des messalisants. Alors que 10,3 % des Français se déclarent proche de l’extrême droite (Le Pen + de Villiers), ils sont 11,8 % pour les catholiques et 13,8 % pour les messalisants. L’électorat catholique, hostile, dans les dernières années du XXe siècle, aux discours de l’extrême droite a amorcé un virage au début du XXIe siècle pour renforcer cette extrême droite. Le MoDem conserve une part élevé des pratiquants catholiques (12,9 %) comme dans l’ancienne UDF. Les cathos de gauche, en perte de vitesse, pèsent 21,2 % dans l’électorat de la gauche (PS et gauche de la gauche, hors écolos) alors que 36,2 % de Français se déclarent proche de cet électorat.

D’où la conclusion de Jérôme Fourquet, directeur adjoint de l’IFOP :" L’électorat catholique vieillit, se droitise et se radicalise". On comprend mieux maintenant, à condition de s’intéresser à la réalité, c’est-à-dire de s’écarter des "bonnes âmes" militantes et des "charlatans sociaux", la stratégie de Nicolas Sarkozy. Et on voit bien le retard à l’allumage du PS et de l’ensemble de la gauche de la gauche.

Karl Marx écrivait en 1848 « les charlatans sociaux de tout acabit voulaient, à, l’aide d’un tas de panacées et avec toutes sortes de rapiéçages, supprimer les misères sociales sans faire le moindre tort au capital et au profit... ». On pourrait aujourd’hui reprendre la même phrase et modifier la fin de la phrase par « ...sans faire le moindre tort au capital, au profit et au communautarisme montant... »

Tout cela devrait tordre le cou aux propos des "bonnes âmes" militantes ou "charlatans sociaux" qui estiment que le clivage gauche-droite est dépassé, que le combat laïque doit être au-dessus du clivage droite-gauche, que le combat laïque est dépassé ou "terriblement secondaire et marginal" face au désastre "écologique et social". Mais ce serait trop demander car on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !

par Bernard Teper

Secrétaire national de l’UFAL


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