Les petits Américains en colonies de vacances

samedi 17 décembre 2016.
 

Les petits Américains en colonies de finances

Par Emmanuelle RICHARD

Santa Barbara (Californie) envoyée spéciale

« Répétez avec moi : "Je suis le PDG de ma vie. Mon indépendance financière relève de ma responsabilité !" » Un samedi après-midi, dans un auditorium municipal de Santa Barbara, en Californie, une quarantaine d’enfants et de parents s’exécutent, telle une étrange secte. Sous les ballons verts comme des dollars, leur gourou, Elisabeth Donati, une blonde élancée, agite un billet devant les gamins à couettes et casquettes de base-ball, âgés entre 8 et 16 ans : « Vous voyez ce dollar ? Il ne vient pas avec un mode d’emploi écrit dessus, explique-t-elle, adoptant une mine exagérément navrée. Malheureusement, avant de dépenser de l’argent, on ne reçoit pas de formation à l’école. Alors bienvenue au Money Camp ! »

Cartes de crédit. Etabli sur le modèle des camps de foot ou d’équitation, le Money Camp organise des stages consacrés uniquement à l’argent, en Californie et désormais dans le reste des Etats-Unis ainsi qu’à l’étranger. Lors de formations de quatre ou cinq jours en été, ou de séminaires journaliers en hiver, les enfants se familiarisent avec l’épargne, les investissements boursiers ou immobiliers et apprennent à se méfier des redoutables cartes de crédit. Un jeu les met dans le bain : celui de la « course de hamsters ».

Brandon, 10 ans, en tenue de skateboard, en est la vedette. Il se projette dans un scénario du futur. Il a quitté le cocon familial et reçoit de ses parents 1 000 dollars mensuels. « J’suis riche ! » s’exclame le rouquin en brassant les faux billets. Mais une fois son loyer payé, les traites de la voiture et ses frais de scolarité universitaire remboursés, les courses effectuées... il ne lui reste que 100 dollars. « Savez-vous que 75 % des Américains vivent au jour le jour, sans jamais faire d’économies ? » relève Elisabeth Donati, cofondatrice et présidente du Money Camp. Alors Brandon apprend à investir dans les trois piliers du camp : l’immobilier, la Bourse et l’entreprenariat. Au fil du jeu, le gamin accumule des « sources de revenus passifs », encaisse loyers et dividendes et se mue en un petit Donald Trump. Plus besoin de bosser ! Une leçon s’impose : « Je fais travailler mon argent à ma place ! » entonne Elisabeth. Et l’assemblée de poursuivre d’une seule voix : « Les placements financiers, c’est cool ! »

Lancé en 2002 par Elisabeth Donati et l’avocat Larry Stein en tant qu’organisation à but non lucratif, Money Camp aurait déjà formé 2 000 stagiaires. « Dix heures d’initiation suffisent à transformer la façon dont un enfant va gérer son argent pendant toute sa vie », affirme Karen Dwyer, la jeune directrice. La formule est assez unique avec sa série de camps adaptés (pour teenagers entre 10 et 14 ans, pour filles seulement, pour parents et enfants...) entre 180 et 280 dollars (151 à 235 euros) par participant.

Stand limonade. D’autres associations, comme celle des comptables publics, organisent des formations dans des écoles publiques américaines. « Depuis cette année, le taux d’épargne des ménages est négatif aux Etats-Unis. Il nous semble primordial de sensibiliser les enfants le plus tôt possible », observe Carl George, chargé du programme « 360 degrés d’alphabétisation financière ». En février, l’association a permis à 650 000 écoliers de planifier un petit business : l’incontournable stand de limonade que les enfants américains vendent dans leur quartier, l’été. S’ils dépensent tous leurs revenus en bonbons, ils n’auront pas de quoi acheter les citrons et le sucre nécessaires pour une prochaine vente...

« L’argent est un sujet tabou partout dans le monde, même aux Etats-Unis », assure Donati, 47 ans, mère de famille. Selon elle, il constitue le sujet le plus redouté des parents, avant le sexe et les drogues. Mitch, un artiste quadragénaire venu au Money Camp avec deux enfants, acquiesce : « Je me sens coupable... J’aimerais être dans une meilleure situation et offrir davantage à mes enfants », confie ce père surendetté. « Les parents sont constamment encouragés à dépenser », commente Samantha, une éducatrice du camp, à Los Angeles. La facilité d’obtention des cartes de crédit, les injonctions patriotes du président Bush appelant à doper la consommation des ménages...

Au cours du Money Camp, Elisabeth invite les parents à confesser publiquement leurs erreurs financières. Doug, un ingénieur à barbiche, passe aux aveux : « J’ai mis tous mes oeufs dans le même panier en investissant dans un seul titre en Bourse, qui s’est effondré. » Applaudissements. Une blonde opulente déclare, les yeux dans ceux de son fiston : « J’ai pris des décisions émotionnelles avec l’argent. Mais j’ai appris qu’il faut investir avec sa tête, pas avec son coeur. » Embrassades et conclusion à voix haute du jeune Brandon : « Si on achète tout ce qu’on veut au lieu de tout ce dont on a besoin, on devient vite un clodo ! » Inspiré, le fils de Doug, Gregory, 12 ans, ressort du camp décidé à ne plus gaspiller son argent de poche en bonbons et jeux vidéo. Plus tard, il investira dans l’immobilier.

Obsession. La petite assemblée familiale de participants, majoritairement blonde et bronzée avec quelques participants latinos, a beaucoup parlé de véhicules tout-terrain, de yachts, de vacances exotiques mais aussi de paroisses et autres lieux de culte, objets de généreuses donations. Aucun n’a songé à évoquer la retraite, cette douloureuse obsession des baby boomers et de l’administration Bush. Pendant le Money Camp, la maire démocrate de Santa Barbara, Marty Blum, a rappelé aux bambins que le gouvernement ne sera probablement pas là pour les sortir d’affaire plus tard : « Le plus important, c’est que vous puissiez compter sur vous, et vous seuls, financièrement ! »

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