Terra Nova (proche du PS) et Institut Montaigne(proche de l’UMP) Le prêt-à-penser des lobbyistes sur la réforme des retraites

dimanche 26 février 2017.
 

Comment Terra Nova et l’Institut Montaigne, les clubs de réflexion qui fournissent respectivement la matière programmatique 
au Parti socialiste et à l’UMP, travaillent la question des retraites en privilégiant l’intérêt économique de leurs mécènes.

Il n’y aurait plus de penseurs dans les partis  ? Les « think tanks » (littéralement « réservoirs à idées » – NDLR), construits sur le modèle américain, prennent le relais. Ainsi, après avoir remis leur stratégie politique entre les mains d’agences de communication, certains partis, de droite comme de gauche, avalent et régurgitent les préceptes de ces lobbys économico-politiques.

Parmi les organismes qui se disputent le marché aux idées, deux ont su s’imposer. Dans une France qui « se réforme avec peine », dit-il, le très libéral Institut Montaigne entend « faire endosser par les décideurs publics les prescriptions opérationnelles » qu’il publie régulièrement. Du lobbying politico-économique, que la fondation Terra Nova, qui prétend se placer « au sein de la gauche progressiste, par opposition à la droite et à l’extrême gauche anticapitaliste », résume ainsi  : « du matériau intellectuel disponible » aux « débouchés politiques identifiés ».

Différents sur le papier, les deux think tanks ont la même destination et la même construction, mêlant milieu des affaires, de la politique et des médias. S’il n’est pas choquant de trouver à l’Institut Montaigne des personnalités de droite (Claude Bébéar, patron d’Axa et président, l’ancien ministre UMP Luc Ferry…), l’organigramme de Terra Nova réserve plus de surprises. Certes, Denis Olivennes, directeur du Nouvel Observateur, affiche une image de gauche, comme Mathieu Pigasse, codirecteur de la banque Lazard Europe et propriétaire des Inrockuptibles, ou le directeur de France Culture, David Kessler. Mais peut-on classer Bruno Jeanbart, directeur des études de l’institut de sondage OpinionWay, le commissaire européen Peter Mandelson (ardent défenseur de la directive Bolkestein) ou le patron de l’Unedic et adhérent UMP Geoffroy Roux de Bézieux dans la «  gauche progressiste  »  ? Cas particulier  : l’économiste, président de l’OFCE, éditorialiste associé au Monde et membre du Conseil d’analyse économique Jean-Paul Fitoussi, émarge carrément aux deux  !

L’exemple le plus frappant d’une entreprise « dépolitisée » et « pragmatique » menée en parallèle par ces faiseurs d’opinion  : la réforme des retraites. Dans son rapport « Retraites  : quelles solutions progressistes  ? », Terra Nova écrit qu’« il n’y a pas de « bonnes » solutions. Il n’y en a que des mauvaises  : soit en redistribuant moins aux retraités (baisse des pensions), soit en prélevant plus sur les actifs (qui devront cotiser plus ou plus longtemps) ». La fondation « de gauche » pose le cadre, sous couvert de « dire la vérité aux Français », expression reprise mot pour mot par le président UMP du Sénat, Gérard Larcher, sur France Inter le 25 mai. Il poursuivait ainsi  : « Vous vivez plus vieux, il va donc falloir travailler plus longtemps. » Dans la presse, Claude Bébéar ne dit pas autre chose. « Face à l’allongement spectaculaire de la durée de la vie humaine dans notre pays, discuter d’un âge légal de la retraite a-t-il encore un sens  ? » s’interrogeait-il, le 16 avril 2010, dans les Échos.

Le président de l’Institut Montaigne plaide également pour la retraite par points telle qu’elle est appliquée en Suède, une idée que les think tanks ont largement diffusée, et qui est reprise à gauche comme à droite. En juin 2009, le socialiste Manuel Valls estimait que « la gauche pourra défendre le principe d’un allongement du nombre d’annuités en proposant la mise en place d’un système de retraite par points inspiré du modèle suédois ». Il suivait l’avis de Jean-François Copé, qui, le 12 juin 2008, lors de la convention sociale des députés UMP, avait lancé  : « Nous avons beaucoup à apprendre du modèle suédois. » Ce modèle, dont Ségolène Royal vantait l’efficacité durant la campagne présidentielle de 2007, a bonne presse depuis qu’Alain Madelin et l’économiste Jacques Bichot l’ont vanté en 2003, en pleine réforme Fillon des retraites (1). L’économiste explique ce « big bang » suédois » dans la Tribune du 24 juin 2009  : c’est un « système des comptes notionnels – forme particulière de points – (qui) a permis aux bénéficiaires, en modulant les prestations, de partir au moment de leur choix, sans accabler les générations à venir ». Il s’agit d’instaurer la « retraite à la carte » pour rendre les assurés sociaux « libres et responsables ». Un brûlot libéral, écrit par un ancien d’Occident et un éminent membre de l’Institut Montaigne, ferait donc référence dans la « gauche progressiste »…

Il ne restait plus qu’à appeler au consensus national sur la question, puisque droite officielle et gauche officielle étaient d’accord. Ce qui fut fait par quelques voix « pragmatiques ». Dans la Tribune du 28 mars 2008, Manuel Valls espérait « un pacte national » sur la réforme des retraites « non seulement avec les partenaires sociaux mais aussi avec la majorité » « au nom de la responsabilité ». Réponse au « pacte républicain autour de la question des retraites » demandé par le premier ministre François Fillon en janvier  ?

Les solutions communes, prônées par Terra Nova et l’Institut Montaigne ne sont pas développées au hasard. Parmi les mécènes de Terra Nova, on retrouve la Caisse des dépôts, qui gère 48 régimes de retraite pour le compte de l’État. Une réforme du système (hausse des cotisations, allongement de la durée de cotisation ou introduction d’un système de capitalisation) lui permettrait-elle de faire quelques économies  ? Une chose est sûre  : en pesant sur la réflexion politique, assurances, banques et mutuelles cherchent à orienter la réforme, d’un système de répartition vers un système par capitalisation, dans lequel elles pourraient développer des «  produits  » à destination des « clients ». Une aubaine qu’AGF-Allianz, Groupama ou la propre entreprise de Claude Bébéar, Axa, n’ont pas laissé passer  : toutes figurent parmi les « partenaires » de l’Institut Montaigne… Claude Bébéar peut s’extasier (dans les Échos du 16 avril 2010) sur l’efficacité des think tanks, qui ont bien cadré le débat au PS et à l’UMP  : « Plus de discussion sur l’âge de la retraite. Voilà une guerre de religion enterrée. » Avec l’intérêt général.

(1) Quand les autruches prendront 
leur retraite. Éditions du Seuil, 2003.

Grégory Marin


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