Comment développer la démocratie locale ? (table ronde de L’Humanité PCF, PS, Verts, CGT)

dimanche 27 décembre 2009.
 

Le 20 octobre dernier, le président de la République présentait la réforme des collectivités territoriales, qui prétend « renforcer la démocratie locale ». La discussion a commencé cette semaine au Sénat.

Le gouvernement n’en est certes pas à une imposture près. Reste qu’avec la réforme des collectivités territoriales, il paraît se lancer un nouveau défi en la matière. Les élus départementaux et régionaux coûteraient trop chers, nous explique-t-on en substance. Or ils ne représentent que 0,04 % des budgets des collectivités. Déjà trop, manifestement, pour le gouvernement, qui compte réduire de moitié les effectifs (6 000 élus) en créant un statut de « conseiller territorial ». Censé siéger à la fois au conseil général et au conseil régional, quel lien ce nouvel élu pourra-t-il entretenir avec ses administrés ? Le gouvernement parle de rendre les départements et les régions « plus complémentaires ». Mais dans le même temps, il confond coopérations librement choisies entre communes et absorption des unes par les autres. Un nouveau type de collectivité, les métropoles, devrait ainsi voir le jour pour les agglomérations de plus de 450 000 habitants, afin de les « rendre plus attrayantes » dans le cadre de « la compétition avec leurs concurrentes européennes et internationales », indique l’argumentaire gouvernemental. Il s’agit donc bien, encore et toujours, de jouer la course aux profits contre la souveraineté populaire. De fait, ces métropoles, dotées de compétences jusque-là dévolues aux communes, dans des domaines aussi divers que l’urbanisme, les transports ou la culture, contribueront à éloigner les citoyens des lieux de décision. Autre péril pour la démocratie : les conseillers territoriaux ne seraient que 20 % à être élus à la proportionnelle, une évolution visant à renforcer le bipartisme. Ces dangers appellent une mobilisation citoyenne d’ampleur. Pourtant, d’après un récent sondage TNS-Sofres pour l’Association des régions de France (ARF), 43 % des Français ne se prononcent pas sur la réforme. Et en juin 2009, un sondage Ipsos indiquait que 83 % des Français jugent trop compliquée l’organisation administrative du pays. La mobilisation attendue paraît donc dépendre de la capacité à lier explication de la nocivité du projet actuel et contre-propositions, comme s’y emploient, chacun(e) à leur manière, les élu(e)s et le syndicaliste dont nous publions ici les contributions.

LAURENT ETRE

1) Impulser des pratiques participatives et un développement humain durable

PAR FRANÇOIS AUGUSTE, VICE-PRÉSIDENT (PCF) DE LA RÉGION RHÔNE-ALPES, DÉLÉGUÉ À LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

L’actuelle réforme des collectivités est une immense réduction des services, des investissements et des emplois publics, un recul terrible de la démocratie locale, une mise à mort clinique des communes, des départements, des régions, et la création d’un nouvel espace territorial, les métropoles, pour la concurrence capitaliste mondialisée. Les nouvelles instances territoriales seront des sous-régions, pas des super-régions. Il y a néanmoins besoin d’une réforme des collectivités, et profonde, pour trouver des solutions au cloisonnement entre collectivités, à l’absence de reconnaissance de la démocratie participative, à la fiscalité injuste, à l’hyper recentralisation de l’État qui accompagne, ce n’est pas contradictoire, son désengagement financier.

Je vois une réforme en 5 axes. Premièrement, il faut maintenir les trois niveaux de collectivités, mais en développant les coopérations entre elles. Une collectivité pourrait être chef de file des deux autres dans une compétence et avoir à ce titre un pouvoir de coordination, de recherche des financements, notamment de l’État, d’impulsion des projets. À titre d’exemple, il serait logique que les régions soient chef de file en matière de multimodalité des transports ferroviaires, urbains et ruraux, avec les autorités organisatrices concernées. Il y a également nécessité de décentraliser les politiques dans les territoires, en pratiquant la démocratie participative avec tous les acteurs concernés et les citoyens, notamment à travers des budgets participatifs, en limitant le nombre de ces instances par territoire.

Cela nous amène à notre deuxième axe : mettre la démocratie participative au coeur des pratiques de gestion, à tous les niveaux. Ces pratiques ne pourront pas rester expérimentales, sauf à prendre le risque de leur enlisement. Nous proposons la création d’espaces participatifs dans les départements et les régions, composés de salariés et de leurs représentants syndicaux, d’élus locaux, de citoyens tirés au sort et d’autres représentant la vie associative. Ces espaces auront des pouvoirs d’interpellation, d’avis sur les décisions en matière économique et de maîtrise du crédit, d’aménagement du territoire. Nous proposons que les budgets participatifs représentent 10 % des budgets des collectivités locales. Les formes, le fonctionnement, la gestion de ces budgets seront décidés par les collectivités. Dans le même temps, la démocratie représentative doit être défendue et améliorée par la création d’un statut de l’élu et l’instauration de la proportionnelle à toutes les élections, garantissant la parité entre les femmes et les hommes.

Troisièmement, une profonde réforme de la fiscalité locale sera entreprise, avec la contribution des actifs financiers des entreprises. À un taux de 0,5 %, cela rapporterait 25 milliards d’euros. Cette réforme devra aussi porter sur la fiscalité nationale avec un rééquilibrage en faveur des prélèvements directs et progressifs (revenus, ISF, impôt sur les sociétés…), au détriment des prélèvements indirects ( TVA, Tipp), et une maîtrise nouvelle du crédit.

Quatrièmement, le rôle de péréquation de l’État devra être affirmé, pour une répartition juste et équitable des financements, pour faire reculer les inégalités sociales et territoriales, pour favoriser le développement humain durable. Le problème n’est pas de défendre un « retour de l’État » au moment où les collectivités locales sont sacrifiées et où c’est l’hyperrecentralisation de l’État qui caractérise le sarkozysme et sa réforme. Avec celle-ci, l’État ne paiera presque rien mais décidera de presque tout ! Il faut redonner à l’État le rôle de garant du service public, de l’égalité d’accès aux droits, de financeur du développement des territoires. Enfin, cinquièmement, nous sommes favorables au développement des coopérations décentralisées entre les collectivités locales et celles du monde entier, dans l’objectif de contribuer à construire une mondialisation humaine, sociale et solidaire. Les collectivités peuvent faire beaucoup dans ce sens. Il faut leur en donner les moyens financiers et humains.

2) À l’inverse du projet gouvernemental, améliorer la lisibilité des collectivités pour le citoyen

PAR JEAN-PIERRE BALLIGAND, DÉPUTÉ PS DE L’AISNE ET PRÉSIDENT DE L’INSTITUT DE LA DÉCENTRALISATION

Une réforme territoriale est nécessaire. Son contenu doit être totalement différent de celui de la réforme gouvernementale, car sa philosophie doit procéder de la nécessité d’améliorer la lisibilité pour le citoyen et non d’un souci affiché d’économies.

Qui dit décentralisation dit dévolution de pouvoir aux collectivités. Or, la réforme territoriale présentée par le gouvernement ne comprend aucun transfert de compétences ou de pouvoirs aux collectivités locales. Il ne s’agit donc pas d’une loi de décentralisation. Pourtant, tout le monde est à même de constater à quel point une telle loi est aujourd’hui nécessaire : l’État s’avère en effet de moins en moins capable d’assumer ses missions d’impulsion du développement économique territorial.

Une véritable réforme passerait, par exemple, par le transfert aux régions de la construction et de l’entretien des universités. Il suffit de se souvenir de l’état des collèges et des lycées avant la décentralisation, quand ils relevaient encore de l’État et non des départements et des régions ! Ensuite, il est impératif de renforcer la démocratie locale, sauf à fragiliser davantage la légitimité de l’action publique locale. La question se pose notamment pour les communes et les intercommunalités. Aujourd’hui, on élit des conseils municipaux, dont le rôle le plus important est en fait de déléguer certains de leurs membres à l’intercommunalité, qui est le lieu où les véritables décisions sont prises et qui est même autorisée à lever des impôts, pouvoir normalement intimement lié à la légitimité conférée par le suffrage universel. Pourtant, les questions traitées au niveau de l’intercommunalité (développement économique, habitat, transports collectifs, gestion de l’eau, assainissement, ordures ménagères…) ne font jamais l’objet d’un débat avec les citoyens. Le projet de loi marque à cet égard un très léger progrès en prévoyant un dispositif de « fléchage » qui pourrait permettre aux citoyens de mieux identifier les élus chargés de représenter leur commune au niveau de l’intercommunalité. Mais je pense que cela ne sera pas suffisant pour faire véritablement émerger un véritable débat sur les choix opérés au sein de chaque intercommunalité.

Il est donc impératif de mettre fin à ce système où l’espace de vote et l’espace de décision ne coïncident pas.

À titre personnel, j’ai déjà proposé que soient élus au suffrage universel direct les présidents des intercommunalités ; l’organe délibérant de l’intercommunalité serait toujours composé de représentants des communes. On pourrait ainsi avoir un véritable débat sur la politique intercommunale, sans pour autant oublier les problématiques des communes. Cela conduirait, en outre, à la mise en place d’un véritable contre-pouvoir délibératif face à un exécutif aujourd’hui omnipotent et complètement dépolitisé.

Enfin, il faut traiter correctement la question des relations entre les différents échelons de collectivités. Nombreux sont nos concitoyens pour lesquels notre système est trop complexe, et devrait donc être simplifié pour être plus efficace. Mais la réponse apportée par le gouvernement – le conseiller territorial, qui serait en fait à la fois conseiller général et conseiller régional – est profondément régressive. Sans même revenir sur les problèmes démocratiques qu’il pose et sur la professionnalisation de la vie politique que cette institutionnalisation du cumul des mandats induit, ce nouvel élu sera conduit à évaluer des problématiques telles que la recherche et l’enseignement supérieur, qui nécessitent une prise de distance, à la seule aune de sa circonscription électorale ; il ne pourra donc pas prendre la mesure des enjeux. C’est pourquoi, plutôt que d’agiter des solutions expéditives qui ne règlent rien, il vaut mieux, même si c’est plus difficile, réfléchir aux moyens d’articuler l’action des différents niveaux de collectivité, par exemple à travers les notions de collectivité « chef de file » et de contractualisation entre les collectivités.

3) Réformer ? D’accord, mais dans le sens d’une république unitaire

PAR PATRICK HALLINGER, SECRÉTAIRE NATIONAL DE L’UNION GÉNÉRALE DES FÉDÉRATIONS DE FONCTIONNAIRES (UGFF-CGT)

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter aux années 1970, au moment où commencent à se diffuser les premières thèses libérales prônant le marché comme mode de fonctionnement et de régulation des sociétés.

L’attaque vise d’abord l’État, dont les moyens sont progressivement réduits. Puis, au début des années 2000, les lois de décentralisation (et notamment celle du 13 août 2004) organisent de gigantesques transferts de missions que l’État ne veut plus assumer. Les dotations allouées en contrepartie aux collectivités sont très loin de leur permettre de faire face à des dépenses en forte hausse, dépenses sociales (RMI, handicapés…), infrastructures routières, éducation (personnels TOS des collèges et lycées)… ce qui conduit à terme à des choix soit d’augmentation de la fiscalité, soit d’abandon de missions publiques. Le lancement de la RGPP en juillet 2007 avec la présidence Sarkozy représente une nouvelle étape, « une révolution culturelle », avec l’objectif d’opérer un basculement en fermant la page des grands acquis historiques, notamment ceux de 1945, voire de la Révolution française. Dès le départ, les collectivités territoriales sont dans le collimateur. Comment admettre en effet que celles-ci puissent continuer à déployer des politiques que l’État démantèle par ailleurs ? Un rapport Lambert à la fin de l’année 2007 prône l’alignement sur la fonction publique de l’État en matière de non-remplacement d’un départ en retraite sur deux et l’accompagnement d’« une moindre évolution des concours de l’État ». Pour obliger les collectivités territoriales à indexer leurs actions sur celle de l’État, l’arme majeure va être la suppression de la taxe professionnelle. Cette pression s’exerce particulièrement sur les départements et les régions avec le projet de réforme du mode d’élection des conseillers territoriaux et la perte de la clause de compétence générale.

C’est un nouveau paysage qui s’ouvrirait ainsi avec un recul généralisé des politiques solidaires et la fin de l’égalité de traitement du fait de politiques différenciées en fonction des territoires. Dans le même temps, cette politique libérale suscite des oppositions de plus en plus larges dans le pays et au sein même de la fonction publique. La votation citoyenne contre la privatisation de La Poste a montré l’attachement de la population, des maires et des élus locaux au maintien des services publics de proximité. En 1789, le chef-lieu de département était à une journée à cheval de n’importe quel point du département, en quoi être obligé de faire aujourd’hui 30 kilomètres ou plus en voiture pour atteindre un service public serait un élément de progrès ?

Le besoin de réformes ne peut être nié, pour prendre en compte par exemple l’évolution de l’urbanisation, les nouvelles demandes sociales, la montée du fait régional ou les questions environnementales…

Mais la question est celle d’un développement qui place la satisfaction des besoins humains essentiels en son coeur. Il s’agit de promouvoir une république unitaire et démocratique avec les mêmes droits assurés à tous et des espaces permettant l’expression et l’intervention des citoyens, des salariés, des élus dans les territoires.

Les collectivités locales sont les premiers services publics à la disposition des citoyens et doivent être à ce titre considérés comme des biens publics à défendre, à améliorer avec le développement de coopérations intercommunales volontaires et des complémentarités avec les services territoriaux de l’État pour garantir les droits fondamentaux de chacun. Ces questions doivent être au centre des rassemblements à construire, usagers-salariés-élus, pour des politiques publiques au service de tous.

4) La réforme du gouvernement, c’est l’oligarchie comme système assumé

PAR ANNE SOUYRIS, CONSEILLÈRE RÉGIONALE ÎLE-DE-FRANCE, PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DÉMOCRATIE RÉGIONALE DES VERTS

La réforme territoriale, telle qu’annoncée par Nicolas Sarkozy, n’est pas qu’une illusion, un coup médiatique supplémentaire. C’est une régression sans précédent en termes de démocratie et d’égalité. Le plus terrible de l’histoire, c’est que les Français ne s’intéressent guère aux instruments de cuisine que semble être ce type de transformation législative. Ainsi, notre hyperprésident peut-il agir en toute impunité, c’està- dire bien loin de tout scandale médiatique. Et pourtant, ce texte n’est pas ce qu’il prétend être, une rationalisation des instances de notre République, avec une économie de moyens à la clé, voire plus de démocratie en prime… Non, la réalité est tout autre : cette réforme des institutions est un pas de géant vers une nouvelle mise à mal de nos principes fondateurs, ceux de l’égalité et de la démocratie. En effet, les outils qui, ces dernières années, semblaient enfin, petit à petit, pouvoir modestement participer à leur réalisation, soit la décentralisation et un début de système proportionnel, disparaissent du scrutin territorial qui nous est promis.

Ces disparitions ont des conséquences très concrètes : d’abord, par le scrutin uninominal à un tour, les acquis en termes de parité et de représentation des diversités tombent. Fini les premiers tours qui permettaient à de petites listes de présenter leurs idées, fini le nombre d’élus obligatoirement paritaire femmeshommes. Fini enfin cette diversité culturelle et sociale qui est l’apanage des scrutins de listes, les élus sur un nom étant dans l’immense majorité réservés à ce bon vieil-homme-blanchétérosexuel- CSP+++ qui reste l’élu type de notre République… et qui risque, si l’on en croit cette nouvelle réforme, de se trouver conforté pour un bout de temps encore.

Regardons le triste exemple des conseils généraux, élus à l’aune d’un scrutin uninominal : ils sont composés à ce jour de 87 % d’hommes… Enfin, par le retrait de la clause de compétence générale pour les conseils régionaux – en clair, le fait qu’ils ne puissent plus traiter ni de social, ni de démocratie, ni de tout domaine que les régions estiment concrètement nécessaire au vu d’une situation politique ou économique locale –, c’est la capacité d’une démocratie de proximité balbutiante qui est de nouveau réduite à néant, les pouvoirs municipaux étant dans de nombreux domaines largement insuffisants.

Dommage, une réforme digne de ce nom aurait pu être à la hauteur des enjeux, à condition, pour une fois, de s’inspirer des avancées concrètes déjà à l’oeuvre dans certaines localités, comme en Île-de-France. Pour exemple, un dispositif de projets citoyens associant tous les groupes politiques pour leur sélection – transparence qui permet de diminuer très fortement le clientélisme –, et aide à la mutualisation des actions et réseaux associatifs pour renforcer leur projet et leur autonomie. Autre exemple, un cadre transversal pour la lutte contre la discrimination mise en place sur toutes les délégations, et un financement du tiers secteur audiovisuel de proximité, qui se meurt de la désaffection de l’État, quand ce n’est pas de sa mainmise…

La partie fiscale de la réforme proposée produit aussi plus d’injustice sociale. En effet, déjà inégalitaires puisque non fondés sur les revenus, les impôts locaux individuels se verraient devenir les trois quarts de la fiscalité directe régionale au lieu de la moitié actuellement, le reste étant composé par un impôt moindre payé par les entreprises, en remplacement de la taxe professionnelle. En bref, ce n’est pas une réforme sapin de Noël sans lendemain. Elle ne s’éteindra pas avec guirlandes et bougies hivernales. Elle s’inscrit dans la droite ligne inégalitaire et hyperprésidentielle, elle signe l’avenir des prochaines années de tout un peuple. En affaiblissant une démocratie déjà mal en point, en ôtant la parole des plus faibles, c’est un renforcement oligarchique assumé qui s’annonce. C’est un système de castes qui proclame sans faillir : « Chacun à sa place et les femmes, les pauvres et les minorités seront bien gardés. » Accepterons- nous cet état de fait ?


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